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Le poids du commandement

Les officiers généraux et les adjudants-chefs peuvent eux aussi tomber malades. Ils se fracturent les os et souffrent de problèmes de santé mentale au même titre que le reste d’entre nous. Il est donc important de parler de la pression exercée par leur fonction de commandant dans des contextes difficiles, ou de ce que j’appelle le « poids du commandement ».

Je ne saurais faire abstraction de la souffrance que peuvent ressentir ceux et celles qui défoncent les portes, sécurisent nos routes ou déplacent les blessés. Ce sont eux qui sont les plus durement touchés et qui subissent les plus grandes pertes. Les soldats et les caporaux voient le conflit de près et n’ont besoin d’aucun interprète pour comprendre ce qui se passe. Ils ne réalisent toutefois pas toujours ce qu’implique la responsabilité d’ordonner une attaque ou de choisir un itinéraire. Or, nous savons, grâce à notre compréhension des préjudices moraux, que les majors et les adjudants doivent assumer leurs décisions et en répondre, qu’elles soient sources de fierté ou empreintes de regrets.

Au cours de certains déploiements auxquels j’ai participé, il m’est arrivé de recevoir des instructions et de me demander ce que la personne à l’origine d’un tel plan pouvait bien « avoir fumé ». Lors d’un déploiement ultérieur, je faisais partie de l’équipe en attente d’informations, alors que l’une de nos équipes était entrée en contact avec un potentiel ennemi. C’était une position vraiment inconfortable. Je préfère de loin être sur le terrain plutôt que d’être en retrait et d’appréhender les répercussions sur des vies humaines que pourrait avoir le plan que l’on a orchestré. Ce que l’on ressent en attendant de voir si notre équipe pourra s’en sortir ressemble un peu à ce que l’on vit dans une salle d’attente alors qu’une personne proche de nous est en train d’accoucher ou subit une opération. Si l’on sait que des personnes compétentes s’affairent à la question, on ne peut en rien influencer l’issue depuis notre position. Une telle attente peut sembler interminable.

Je repense aussi à l’époque où l’on commençait tout juste à prêter attention à la santé mentale, et que l’on en apprenait un peu plus chaque jour. Nous y portions de plus en plus attention au sein des troupes. Nous nous faisions un devoir de leur en parler et de leur rappeler qu’ils pouvaient compter sur notre soutien. Nous leur ouvrions la porte. Le problème était que, bien souvent, c’était nous, derrière le bureau, qui avions des problèmes. Les membres dans le mess des sergents, responsables de veiller sur les plus jeunes, étaient souvent ceux qui avaient le plus besoin d’aide. Et lorsque j’en ai pris connaissance, j’ai constaté qu’il en était de même dans le mess des officiers.

Dans le cadre de mon travail après mon service militaire, j’ai fait la connaissance de plusieurs généraux et adjudants-chefs de haut niveau; plus que je n’en ai par ailleurs connu lorsque j’étais au sein des Forces armées canadiennes (FAC). Je peux vous assurer que ces gens-là aussi souffrent. Et il en va de même des aumôniers et des médecins des FAC. Bien souvent, ceux qui forment l’équipe visant à soutenir les troupes portent aussi le fardeau de ce qui leur arrive, qu’il s’agisse de ceux qui ont dû attendre, au centre tactique des opérations, l’issue d’une mission qu’ils avaient commandée, ou qui ont donné l’ordre de tourner à gauche à un carrefour en T au lieu de tourner à droite. Ce sont eux qui portent le poids du commandement.

Avec le recul, je sais maintenant pourquoi je n’ai pas cherché à obtenir de l’aide à l’époque. J’avais l’impression que lutter contre le poids du commandement faisait en quelque sorte partie d’une punition que m’infligeait la vie. Que les personnes qui prennent ce genre de décisions sont payées en conséquence et doivent en porter le fardeau.

Je reconnais que cette façon de penser est quelque peu rétrograde, mais c’est comme ça que je le voyais à l’époque. Et je sais que certains voient encore les choses de la sorte, mais je suis bien mal placé pour leur dire de faire quelque chose que je n’ai pas osé faire moi-même. S’il y a une chose que je peux leur dire pour leur donner un peu d’espoir, c’est peut-être que le fait d’être en mesure de nommer le problème porte en soi cette lueur d’espoir. Le reste se fera de lui-même.

 


Brian McKenna, adjudant (retraité)
Conseiller stratégique national – Vétérans
Institut Atlas pour les vétérans et leur famille

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