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Dans ce deuxième épisode de L’esprit au-delà de la mission, Brian et Laryssa discutent avec Polly Maher, responsable de l’expérience vécue par les familles à l’Institut Atlas, de la façon dont les familles des vétérans sont touchées par les blessures de stress opérationnel et les problèmes de santé mentale.

Épouse d’un vétéran souffrant du trouble de stress post-traumatique, Polly parle de son expérience personnelle de l’équilibre entre la maternité, la vie professionnelle, son propre bien-être et le diagnostic de son conjoint. Polly, Brian et Laryssa réfléchissent à leurs expériences et défis en matière d’usure de compassion, de communication, d’autosoins, de la vie en « mode survie » et de gestion des attentes. Ils présenteront des ressources et des stratégies qui les ont aidés dans leur parcours.

Ce balado a été enregistré en anglais. Des transcriptions en français sont disponibles pour chaque épisode.

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MIND BEYOND THE MISSION EPISODE 2 : « ET LEUR FAMILLES »

Brian :

Bienvenue à Après la mission, un balado fait pour et par les vétérans et les membres de leur famille. Je suis l’un de vos hôtes, Brian McKenna, conseiller stratégique à l’Institut Atlas et soldat canadien à la retraite.

Laryssa :

Je m’appelle Laryssa Lamrock et je suis conseillère stratégique à l’Institut Atlas et fière membre de la famille militaire. Dans ce balado, nous nous pencherons sur les problèmes réels vécus par les vétérans, les anciens membres de la GRC et leurs familles.

Brian :

Nous ne vous promettons pas de tout faire parfaitement. Mais nous pouvons vous assurer que les expériences que beaucoup d’entre nous ont en commun, mais dont nous ne parlons pas toujours, sont authentiques.

Laryssa :

Nous espérons que vous trouverez dans nos paroles et nos expériences une certaine solidarité et, surtout, l’espoir que les choses peuvent vraiment s’améliorer. Vous pouvez vivre dans le moment présent et de façon authentique.

Brian :

Commençons. Nous sommes donc à Ottawa.

Laryssa :

En effet.

Brian :

C’est intéressant. Je travaille ici depuis 23 mois et je t’ai rencontrée pour la première fois il y a 3 jours. Et nous ne sommes pas seuls, nous sommes accompagnés de Polliann Maher. Elle se joint à nous aujourd’hui. L’un des sujets aujourd’hui, en ce qui concerne les familles, c’est encore le fait de dire « et leurs familles », et nous constatons que dans le monde des vétérans, nous avons de plus en plus d’influence, mais nous devons quand même rappeler aux gens qu’il y a ce groupe de personnes qui viennent avec moi, qui font partie de ce que je vis – en fait, de ce que j’avais l’habitude de vivre – parce que quand je revis ça dans des cauchemars, je dors à côté de quelqu’un. Quand j’ai une mauvaise journée, ça se répercute sur d’autres personnes. Et nous sommes tous dans le même bateau, mais on continue d’utiliser l’expression « et leurs familles ». On disait toujours que si l’armée voulait que vous ayez une famille, elle vous en aurait donné une. Et ça fait un peu rire. Mais ce n’est pas un argument complètement inventé. C’était un peu la façon de faire. Je me souviens d’avoir assisté à des séances d’information où nos conjoints et conjointes entraient dans une autre salle, parce qu’ils allaient à la séance d’information pour les familles, et nous allions à la séance d’information opérationnelle ailleurs, et c’était un progrès. À l’époque, c’était « et leurs familles ». Voilà où nous en sommes.

Laryssa :

Exact. On sait que les familles des vétérans sont des sources de soutien essentielles pour ceux et celles qui ont des blessures physiques, mais aussi des blessures psychologiques. Polly et moi allons donc avoir une petite discussion aujourd’hui sur la façon dont les familles sont touchées lorsqu’il faut un vétéran qui a des problèmes de santé mentale. Alors, Polly, parle-nous un peu de toi.

Polly :

C’est formidable d’être ici à Ottawa et de vous rencontrer. J’ai eu l’occasion de rencontrer Brian à Vancouver. J’ai donc pu le rencontrer avant toi. Je suis l’épouse d’un vétéran à la retraite qui souffre du TSPT et qui a reçu un diagnostic en 1999. J’ai donc plus de 20 ans d’expérience de ces montagnes russes avec lui. Et nous avons 2 fils. J’avais l’habitude de dire « les enfants », mais ce ne sont plus des enfants. Ils ont 29 et 27 ans et ils ont vécu tout ça avec nous. Je suis donc heureuse d’être ici aujourd’hui.

Laryssa :

On veut parler de la façon dont les familles sont touchées. Une grande partie de l’éducation offerte ou des conversations porte sur les vétérans. Aujourd’hui, on va vraiment parler des répercussions sur la famille. Et on veut garder à l’esprit qu’il y a une séparation entre le vétéran et sa famille. Brian nous rappelle que le vétéran fait partie de la cellule familiale, que nous ne devrions pas les séparer. Les deux ne s’excluent pas mutuellement. La santé du vétéran a une incidence sur celle de la cellule familiale, et vice versa. On va en parler aussi. Alors, allons-y. Comment et pourquoi les familles sont-elles touchées par les blessures de stress opérationnel, comme le TSPT, l’anxiété et d’autres problèmes de santé mentale?

Polly :

Comment pourraient-elles ne pas l’être? Il y a un changement énorme dans la santé mentale de leur proche. Pour nous, ça s’est mis à monter lentement après sa libération. Après environ 6 mois, les cauchemars ont commencé et une odeur a tout déclenché. Il disait : « Sens-tu ça? » Et je ne savais rien. C’était les années 1990. J’étais complètement dans le noir. Nous avons échangé des lettres sans arrêt. Il n’y avait pas d’Internet. Je ne me suis jamais rendu compte qu’il y avait un rapport. Il ne faisait plus partie de l’armée. Il a adopté des méthodes d’adaptation malsaines qui ont joué un rôle et auxquelles se sont ajoutés la drogue et l’alcool, l’évitement et l’isolement, et cela m’a donné l’impression d’être une mère monoparentale. C’était probablement l’une des premières répercussions sur nous en tant que couple. Il y avait moi et les enfants, puis il y avait lui. Et je ne savais pas qui se lèverait le matin, le Dr Jekyll ou M. Hyde. Ça nous touche, on est en mode survie, on devient hypervigilant pour les enfants. En tant que conjointe, je ne pouvais pas mettre le doigt sur tout cela à l’époque. Je faisais de mon mieux avec ce que j’avais. Quand il a reçu son diagnostic, ça a été comme un soupir de soulagement.

Laryssa :

Toi et moi en avons déjà parlé, Polly. Les choses s’améliorent beaucoup, mais il n’était pas rare qu’il y ait une période d’environ 10 ans avant que les militaires soient diagnostiqués ou qu’ils le soient après leur libération. On ne comprend donc pas ce qui se passe dans notre famille pendant 10 ans. Non seulement le militaire ou le vétéran peut trouver des stratégies d’adaptation négatives, mais les familles aussi. Je me souviens de mes expériences et du fait que je ne connaissais rien à la santé mentale. En tant que membres de la famille, on n’a pas été formés sur ce à quoi on doit être attentif, ce à quoi s’attendre et ce qui pourrait se produire. Je pensais vraiment que c’était moi la cause de l’isolement, du retrait. J’ai exploré ce qui, rationnellement, aurait eu du sens pour moi à ce moment-là, et ça voulait dire que c’était ma faute. Alors, quelles ont été tes expériences lorsque ces événements se produisaient? Comment procédais-tu?

Polly :

Je ne les analysais pas. Je ramenais tout à moi. Je me demandais ce que je pouvais faire mieux. Comment je pouvais garder les enfants tranquilles. Comment je pouvais éviter d’exercer une pression financière sur lui. De quelles autres tâches je pouvais me charger. J’essayais d’en faire toujours plus, jusqu’à ce qu’il y ait un point où je m’écrase, épuisée, et ça a été comme une claque au visage. Ça s’est fait graduellement, mais j’ai compris que la seule personne qui pouvait m’aider, c’était moi.

Laryssa :

Parle-moi donc davantage de cet épuisement et de la suite des choses.

Polly :

En fait, c’était le résultat de petites choses qui s’étaient accumulées. Il avait été diagnostiqué, alors je pensais que les psychologues allaient tout régler.

Brian :

Comme pour les blessures physiques.

Polly :

Oui, exactement. Je me disais : « Oui, ça va aller. » On va en thérapie chaque semaine, on en parle, on rentre à la maison et on va être « normal », peu importe ce que ça veut dire. Mais ça n’a pas été le cas. Et à mesure que j’en faisais toujours plus et que j’essayais de travailler et d’élever 2 enfants, il y avait le silence, les luttes intestines, les disputes. Donc, c’était ma faute. Je ne faisais pas du bon travail. Je n’étais pas une bonne épouse. Je n’étais pas une bonne mère. Et un jour, j’ai pris une bouteille de pilules. C’était mon appel à l’aide. C’était un peu draconien. Ma sœur nous a rejoints à l’hôpital. Je n’ai pas pris de pilules qui me tueraient. De toute évidence, c’était un appel à l’aide. Mais c’était par désespoir. Je voulais dire : « et moi dans tout ça? »

Brian :

Oui, on est un patient aussi. Penses-tu que les gens comprennent ça?

Polly :

Non, parce que de l’extérieur, j’ai l’air de bien aller. Je mets ce masque tous les jours.

Brian :

Il me semble assez évident que ce qui arrive, c’est que beaucoup de gens regardent les conjoints et les conjointes, les enfants et les fournisseurs de soins en se disant : « Quelle est leur capacité d’aider cette personne? » Donc, le vétéran s’occupe de la situation du vétéran, sa conjointe ou son conjoint s’occupe de la situation du vétéran. Les enfants se demandent : « Que fait Papa? » Tout cela est en quelque sorte axé sur la façon dont on peut aider son conjoint et sur le fait qu’on doit comprendre qu’on est un être humain, qu’on est un patient. Je pense que c’est ce que nous devons faire. Oui, c’est l’espoir dans tout ça. Explorons cette question. Comment peut-on commencer à regarder les gens comme ils sont?

Polly :

À l’époque, j’étais l’épouse qui prenait sa défense auprès du ministère des Anciens Combattants. Le bureau de notre ville nous connaissait très bien. J’ai écrit à de nombreux ministres au fil des ans. Certains m’ont répondu, alors j’espère avoir ouvert la voie à d’autres familles. J’essayais toujours d’être proactive et d’obtenir entre autres de l’aide pour mes enfants. Mais en fait, la première conseillère qui a vraiment compris la situation faisait partie d’un programme d’aide aux employés de l’entreprise pour laquelle mon mari travaillait à l’époque. Ce n’était pas ACC à l’époque. Et en ce qui me concernait, elle a parlé de deuil et de perte.

Nous nous sommes donc un peu engagés dans cette voie, mais elle m’a vraiment expliqué comment prendre soin de moi et comment gérer ma dépression. Elle m’a expliqué quoi faire quand la situation devient accablante. Ce que je devais créer autour de moi. C’était une sorte de sensibilisation. Et j’ai dévoré des livres sur les autosoins, les traumatismes et ce genre de choses. C’était donc moi qui m’éduquais à l’époque, avec un peu d’aide d’une travailleuse sociale, pour m’aider à comprendre ces émotions. Pour être honnête, je n’ai pas été admise à l’hôpital. Je suis entrée, je me suis sentie humiliée et les médecins m’ont dit : « Eh bien, vous voyez un psychologue », parce que j’allais, à l’époque, de façon sporadique avec mon conjoint, à ses visites chez le psychologue. C’était donc une case à cocher.

Brian :

As-tu eu l’impression que tu devais cacher ton problème? Parce qu’on s’occupe déjà de l’autre?

Polly :

Tout à fait. Honnêtement, j’étais responsable des finances. Et je ne suis pas une spécialiste. Je ne suis pas très bonne, mais je faisais de mon mieux. Mais encore une fois, je ne voulais pas alourdir le fardeau de mon mari.

Brian :

J’aimerais donc vous poser une question à toutes les deux. Laryssa, tu peux peut-être répondre. J’ai expliqué aux gens la différence, à mon avis, entre motivation et capacité. Et là où cela devient évident pour moi, c’est que je devais remplir de nombreux formulaires. Je suis sûr que vous savez de quoi je parle. En fait, la simple vue de l’enveloppe du gouvernement, cette tache brune qui ressemble à du café renversé… je déteste regarder ces lettres. Peu importe d’où elles viennent. Il pourrait s’agir d’un formulaire de déclaration de revenus. Mais je les vois et je me dis : bon, je recommence à remplir ces formulaires. Sur ces formulaires, l’une des questions est : pouvez-vous aller faire vos achats? Pouvez-vous préparer des repas?

Oui, je peux. J’en suis capable. Mais ma femme s’occupe de 80 % de ce genre de choses. Je peux aller reconduire les enfants à l’école, je le fais plus souvent, en fait. Parce que c’est notre manière d’équilibrer les tâches à la maison. Mais il était toujours évident qu’on me posait la mauvaise question. Si vous me parlez des tâches ménagères, oui, je peux faire tout ça. Mais je ne le fais probablement pas. Et si c’est à l’extérieur de la maison, surtout lorsque vous souffrez, le fardeau repose entièrement sur l’autre personne. Alors, comment détermine-t-on qu’une personne peut faire quelque chose? Peut-elle vraiment le faire ? Et est-ce qu’elle le fait vraiment?

Laryssa :

Il y a tellement de niveaux à tes questions. Je pense que, dans bien des cas, le vétéran veut contribuer, participer et faire partie de la cellule familiale. Il peut donc faire de son mieux et contribuer, venir à l’épicerie ou aider à faire les courses, selon le cas, en amenant les enfants ici et là. Mais en soi, si le vétéran utilise toute son énergie pour accomplir cette tâche, cela devient souvent difficile pour le reste de sa famille. Et cela nous impose des exigences supplémentaires pour gérer cette tâche et nous assurer que les enfants sont prêts à monter dans la voiture. Et ensuite, il faut essayer de gérer les symptômes du vétéran. On finit souvent par tout faire nous-mêmes, parce que c’est plus facile.

Brian :

On en est donc à : « Je peux faire les courses, mais je pourrais revenir dans un état pire, par exemple, à cause des odeurs de la section boucherie, du bruit, de l’agitation. Ce serait tout simplement plus simple si tu t’en chargeais ». Et donc, c’est ce qui arrive.

Polly :

Exactement. Et ça devient une seconde nature. On ne se rend même pas compte qu’on prend cette responsabilité. Parce que c’est l’environnement qu’on peut contrôler en tant que conjoint ou conjointe. On maintient donc les symptômes, les déclencheurs qui aggravent les symptômes au minimum. On se dit : je vais y aller. Je vais faire ceci. Je vais faire cela. Même si on a 6 autres choses à faire et qu’on doit aller reconduire les enfants quelque part.

Brian, je pense que tu as soulevé un très bon point. Quand je repense à ma vie, il m’est arrivé de faire 100 % des choses, puis c’est passé à un scénario 90/10. Ça fait maintenant depuis plus de 20 ans et c’est habituellement 60/40. Il arrive, mais rarement, que ce soit 50/50 et il sera d’accord avec toi; je ne dis rien qu’il ne reconnaîtrait pas aussi. Mais si le vétéran travaille, comme dans notre cas quand mon conjoint travaillait, il consacrait toute son énergie à la vie militaire et au travail. Et puis nous en faisions les frais quand il rentrait à la maison, parce qu’il y avait des conséquences au travail si son comportement dérangeait ou s’il ne faisait pas son travail correctement.

Brian :

Des conséquences directes et importantes.

Polly :

Exactement. Et quand il rentrait, le masque tombait; il était en colère ou il ne voulait voir personne. Il s’isolait et passait en mode « bunker », puis son psychologue lui a dit :» c’est votre travail ou votre famille ». Et nous nous sommes séparés à quelques reprises. Ce que je veux dire, c’est que je me considère comme l’une des chanceuses, car nous avons été en mesure de passer au travers. Mais on a failli signer un accord de séparation. Puis on a décidé d’essayer encore une fois. Et je suis heureuse de dire que nous avons réussi. Parfois, je regarde mes enfants et je me demande si c’était la meilleure décision. Je ne sais pas. Mais je l’ai fait à l’époque avec les informations que j’avais, et le cœur que j’avais, parce que ce n’était jamais une question d’amour. C’était une question de comportement. Je l’ai toujours aimé. Et j’ai dû faire la distinction entre les deux. Ensuite, il était plus facile de dire qu’il n’était pas une mauvaise personne. Son comportement est incontrôlé aujourd’hui, ou il n’est pas gentil. Vous comprenez?

Laryssa :

On pourrait donc en quelque sorte lier le comportement au fait qu’il a eu un diagnostic. Ce comportement, c’est lié aux symptômes du TSPT. Ton mari a un TSPT, et tu as donc été en mesure de l’identifier. On a parlé de la possibilité que le fait de faire des courses provoque ou déclenche le comportement problématique du vétéran. Tu as parlé de ton mari qui revenait du travail, qui était en colère et qui s’isolait. Quelle est l’incidence sur les membres de la famille? Je pense qu’en tant que membres de la famille, nous avons souvent l’occasion de relever des subtilités réelles et de développer une hypervigilance et d’autres choses qui ressemblent parfois presque au TSPT lui-même. Mais à ce moment-là, quelles sont les répercussions pour toi? À quoi ressemble cette expérience?

Polly :

Je pense qu’on devient hypervigilant et qu’on perd un peu notre identité. Parce que je vivais ma vie sociale au travail. J’aimais ça quand je pouvais travailler. J’ai quitté plusieurs emplois, à cause de sa santé mentale. Je devais prendre un congé pour cause de stress, ou je quittais tout simplement mon emploi, ce qui a eu des répercussions parce que mon curriculum vitae contient plusieurs emplois différents. Les gens se demandent pourquoi je ne pouvais pas garder un emploi. Ce n’était pas moi, la cause, mais la situation, ma vie à la maison. Alors on accepte un emploi qui fonctionne, qui offre de la flexibilité, peut-être que ce n’est pas la carrière qu’on veut ou un travail qu’on est apte à faire. Je pense qu’avec l’isolement et tout le reste, il y avait les garçons et moi… et lui. Il y avait donc un certain fossé, même si ce n’était pas ce qu’on voulait. Les enfants venaient toujours me voir pour tout, ne sachant pas comment il allait réagir. Encore aujourd’hui. Mes enfants sont dans la vingtaine, et ils ne réveillent pas leur père s’il dort. Quand ils étaient petits, ils ont essayé, et quand il s’est réveillé, il les a attrapés ou a été agressif. Il n’est plus comme ça. Mais ils s’en souviennent. Vous comprenez?

Laryssa :

Peux-tu m’en dire plus à ce sujet? On a parlé de l’incidence sur le conjoint ou la conjointe, de la dynamique de la relation de couple. Parlons des répercussions sur les enfants.

Brian :

Je voulais mentionner quelque chose. À cet égard, mes enfants ont dû apprendre à me réveiller correctement. Et ils ont dû apprendre qu’on peut réveiller quelqu’un en lui tapant l’épaule, ou simplement en s’approchant du lit, en disant « Hé! » et en commençant à parler très fort. Ils ont appris très rapidement que cela ne fonctionnait pas avec Papa. Je n’ai jamais donné de coup de pied à quelqu’un, mais ça pourrait arriver si tu es au mauvais endroit et que tu me réveilles au mauvais moment. Qu’en penses-tu? Comment les enfants doivent-ils apprendre des choses que les enfants ne devraient pas avoir à apprendre?

Polly :

C’est un excellent point, Brian. Je pense que c’est vrai. J’ai dû apprendre comment réveiller mon mari, que ce soit à la suite d’un cauchemar ou le matin, pour un rendez-vous, par exemple. Et j’ai assez bien réussi. Je mettais ma main doucement sur son épaule, sa poitrine ou ailleurs, selon sa posture, et je lui disais : « Hé, Sean, c’est Polly. On est couchés. Tu es en sécurité. » Personne ne m’a appris à faire ça. Il n’y avait pas de guide, pas de médecin, rien. J’ai juste compris que ça fonctionnait.

Brian :

Oui. Mais ce qui est intéressant, c’est que les médecins sont payés cher pour faire ce que tu as fait. Ils m’ont dit : « Vous devez voir les couleurs dans la pièce et y porter attention. » Par exemple, il y a une horloge rouge là. Et il y a cette affiche jaune WiFi de l’autre côté de la pièce. Comme les techniques d’enracinement.

Polly :

Tout à fait, mais peut-être que Shawn les apprenait, mais je ne les apprenais pas avec lui. Je dois dire que j’ai eu de la chance en ce sens que j’ai en quelque sorte forcé mon chemin vers une grande partie de son traitement. Il m’a permis de participer et je me sens privilégiée. Ça a donné de meilleures chances à notre relation, à notre vie et à la façon dont on a dû affronter les choses parce que le psychologue était ouvert. Il nous parlait de traitement de rechange ou suggérait d’essayer différentes choses. Cela a vraiment fonctionné pour nous, cela dépend de l’état du vétéran et de son ouverture. Il faut voir les choses en équipe plutôt qu’individuellement.

Mais quand on parle des répercussions sur les enfants, c’est un gros problème. Je pense qu’on pourrait faire tout un épisode sur la culpabilité. Parce que, au cours des dernières années, mes séances de thérapie ont porté sur la culpabilité. Et la culpabilité concerne mes enfants. Je les aime à mort. Et ils sont devenus des jeunes hommes fantastiques. Mais je me sens très coupable de ce qu’ils ont vécu. Et je sais dans mon cœur que j’ai fait de mon mieux avec les outils que j’avais à l’époque. On ne peut pas mettre les enfants à l’abri. Je pense que mes enfants sont plus conscients des enjeux de santé mentale. Et notre maison a fini par être un lieu de rassemblement, ce qui pour moi a été un succès. Si des amis avaient des problèmes de santé mentale, ils pouvaient nous en parler, comme nous en avons parlé plus ouvertement à l’adolescence. Pour être honnête, je ne sais pas ce que pensent les garçons. Nous n’avons jamais eu de conversations vraiment approfondies, parce que je ne sais pas si je veux réellement le savoir.

Brian :

Je me souviens de l’époque où j’avais 2 enfants de 4 et 2 ans et que je devais de nouveau aller à l’étranger. Pour eux, c’était la première fois que je partais, mais pour moi, c’était la troisième. En arrivant à l’aéroport de Vancouver, mes enfants n’avaient aucune idée de ce que je leur expliquais. Je leur ai donc dit la vérité. Vous étiez habitués à ce que Papa soit parti pendant un certain temps. Maintenant, Papa part pour longtemps. On leur dit la vérité, mais ça n’évoque rien pour eux. La fois suivante, mon enfant, qui avait maintenant 5 ans, m’a dit alors que je sortais de la voiture : « Ne laisse pas les talibans te tuer, Papa. » Et j’ai encore ces mots gravés dans mon esprit. Parce que les enfants de 5 ans ne devraient pas savoir que Papa pourrait mourir. Ils ne devraient certainement pas savoir comment se nomment les groupes terroristes dans le monde. Et le fait que mes choix de carrière leur permettent de comprendre ça, soyons justes, c’est trop. C’est trop difficile à comprendre.

Mais j’avais un groupe d’environ 1000 personnes qui faisaient la même chose. Nous avons pensé : c’est dur pour nos familles, mais nous sommes tous dans le même bateau. Mais quand on revient et qu’on a un problème, et que les 4 autres n’en ont pas, on n’est plus dans le même bateau. Et maintenant je suis le patient et j’impose cette douleur supplémentaire à la famille. Y a-t-il une certaine inspiration pour le cacher, l’enterrer, s’en débarrasser en criant? Parce que la colère vaut mieux que la douleur. On a certainement l’impression que c’est le cas. Et on sait qu’on est souvent la source du problème. Cela ne nous échappe pas. Mais on ne sait pas ce qu’il faut faire.

Laryssa :

Il n’y a pas de manuel, il n’y a pas de guide. On fait de notre mieux sur le moment et, rétrospectivement, il y a des choses que je changerais. Il y a des choses qu’on ne peut pas défaire. Je pense qu’il y a aussi parfois des possibilités, et je suppose qu’il faut avoir une certaine compréhension des événements. Mon fils aîné est maintenant ambulancier et il est à risque de blessures morales et psychologiques. Je suis très consciente du risque à cause de ce que j’ai vécu. On en parle souvent et il répond souvent : « Maman, on a parlé de santé mentale à la maison, j’ai vu, j’ai vécu ça, j’ai soutenu quelqu’un. Je suis peut-être mieux préparé que d’autres. » C’est donc très difficile parce que la persévérance et la sensibilisation passent par l’adversité. Il est parfois difficile de voir nos enfants traverser ces moments difficiles. Je suppose que je suis optimiste, que j’essaie d’utiliser ces expériences à des fins d’apprentissage. Pour dire à mes enfants que la colère est normale. Mais que la façon dont on la gère fait toute la différence. Je plaisantais parfois en disant que même les chats se battaient. Ça arrive. J’ai donc essayé de voir ça comme une méthode d’apprentissage. Mais c’est vraiment difficile, parce qu’il n’y a pas beaucoup de directives, on doit en quelque sorte se débrouiller seuls.

Brian :

Polly, tu m’as dit l’autre jour que c’est différent quand les enfants deviennent des adultes, ou quelque chose du genre. J’y ai réfléchi pendant un moment, car je n’en suis pas encore là. Mes enfants sont encore adolescents, ils sont encore en train de développer leurs capacités à réfléchir. À quoi cela ressemble-t-il vraiment? Et qu’est-ce qui doit m’effrayer?

Polly :

Eh bien, cela se fait du jour au lendemain. On cligne des yeux et, tout à coup, ils sont plus grands que nous.

Brian :

Ils sont là. On est là. (rires)

Polly :

(rires) Et ils sont sur leur propre parcours, en train de faire leur truc. Mon fils aîné se bat contre la dépression et l’anxiété. Et c’est difficile. On veut toujours régler leurs problèmes. On pense savoir ce qui est le mieux pour eux. Mais ce sont des adultes et ils doivent faire leurs propres choix. Je pense qu’il en a assez de m’entendre répéter que « tout est une question de choix ». On peut faire des choix sains, des choix non sains, on peut prendre de mauvaises décisions, des bonnes, mais ça nous appartient. On doit jouer nos propres cartes. La façon dont on choisit de le faire nous appartient. Papa et moi sommes ici pour vous soutenir, quoi qu’il arrive. Parce que je pense que, parfois, les pousser trop loin ne fait que les repousser. Et ensuite, ils se referment sur eux-mêmes. Comprenez-moi bien.

J’ai toujours dit à ma mère que si mon fils ne me répondait pas pendant quelques jours, je me rendrais en voiture où il vit pour m’assurer qu’il va bien et pour lui dire que je l’aime. Et je suis ici pour les appuyer. Et de quoi a-t-il besoin? Parce que je ne sais pas. N’est-ce pas? Je peux dire ce qui a fonctionné pour moi, mais je ne sais pas ce qui a fonctionné pour lui. Comme s’ils avaient grandi à une époque totalement différente. Une bonne partie de la façon dont j’ai géré les choses remonte à ma famille d’origine et à la façon dont les choses ont été gérées. Nous ne pensons pas à ces choses. Mais ce que j’ai appris en ce qui concerne le TSPT, c’est que, souvent, la façon dont les vétérans gèrent leur stress et leurs symptômes est liée à leur famille d’origine. Si les membres de leur famille n’ont jamais parlé de leurs émotions, ils ne parleront certainement pas des émotions découlant du TSPT.

Brian :

C’est vrai.

Polly :

Nous étions un peu plus qu’une famille qui montre ses émotions, et je voyais la vie avec des lunettes roses. J’étais la dernière d’une famille de quatre. Dans ma vie, tout était merveilleux. Puis, je me suis mariée à 21 ans et j’ai déménagé en Allemagne. C’était un choc culturel et tout ça, d’accord, j’étais dans une famille militaire. Mais je pense que cela joue un rôle. Ma sensibilité m’a vraiment aidée. La sensibilisation de mon mari a aussi été utile. Il a donc l’impression d’avoir un peu brisé un cycle. Il est incapable de dire aux enfants qu’il les aime à la fin d’un appel téléphonique, ou de leur donner une accolade lorsqu’il les voit, par exemple. Ce n’est pas quelque chose qui se faisait chez lui, alors je suis vraiment fière de cet élément. Laryssa, on en parle beaucoup. Soyons optimistes. Il en est ressorti de très bonnes choses. Je ne dis pas que nous avons toujours la meilleure relation familiale. Mais nous pouvons avoir de beaux moments auxquels nous accrocher, pour que ça puisse l’emporter sur toute la merde que nous avons vécue dans le passé.

Brian :

D’ailleurs, quand nous produisons des communications destinées au public et à la communauté des familles de vétérans, on vise l’authenticité. Il faut oser tout en communiquant de l’espoir. Et nous ne voulons pas faire semblant. On ne veut pas prétendre. On veut regarder la vérité en face et travailler à partir de là.

Polly :

Laryssa, tu m’as demandé ce que j’ai fait, ce qui aide et ce genre de choses, et je pense qu’un autre élément important pour moi était la gestion de mes attentes. Par exemple, ce que Sean était capable de faire aujourd’hui, compte tenu de son parcours.

Brian :

Et que se passe-t-il si cela ne correspond pas à tes besoins actuels? Par exemple, s’il ne peut pas aller chez Home Depot aujourd’hui, mais que tu as vraiment besoin de quelque chose chez Home Depot.

Polly :

On s’adapte. Est-ce qu’il faut vraiment aller chez Home Depot aujourd’hui?

Brian :

C’est ça.

Polly :

Je pense qu’en tant que société, nous voulons une solution rapide, tout doit être fait immédiatement. Et donc, je me décris comme une personne très grise, je ne suis pas noir et blanc, mais mon mari réfléchit en noir et blanc. Je suis donc plus facile à vivre. Il progresse, mais si ça ne se produit pas, ça ne se produit pas. Pendant un certain temps, c’est difficile et il faut toujours peser le pour et le contre. Parce que si on accorde trop d’accommodements, alors il y a cette codépendance qui entre en jeu. Et nous pourrions faire tout un balado sur le sujet de la codépendance. Ah, on plante des semences pour d’autres balados. (rires) Mais si vous vous accommodez toujours des mauvaises journées, que se passera-t-il?

Il y a quelques mois, un samedi matin, je faisais du rangement et du lavage, et il se lève, et il n’est pas de bonne humeur. Il vocifère, il grogne : on doit se débarrasser de ceci, on doit aller porte ça au dépotoir… parce que mon fils n’a pas fait ce qu’il voulait qu’il fasse. Ce n’est plus bon parce que ce n’est pas bien organisé. Bref, la catastrophe recommence. Je l’ai regardé et je lui ai dit : « On va avoir une de ces journées? » et je suis partie. Il y a 10 ans, je n’aurais jamais fait cela. Mais je me disais que je ne voulais pas avoir ce genre de journée. Je vais donc partir et faire ce que j’ai à faire. Et il a fait la même chose. Il médite beaucoup maintenant, et fait beaucoup d’activités d’enracinement. Il est revenu me voir environ une heure plus tard, et il m’a dit : « Chérie, je suis désolé, c’est moi. Ce n’est pas toi. » Et il a poursuivi en disant : « Je ne veux pas avoir une de ces journées. »

Laryssa :

J’aimerais souligner quelques éléments dont tu as parlé qui pourraient être utiles à d’autres familles et couples. Il semble que la communication a joué un rôle déterminant dans la relation épanouie que vous vous êtes construite, qui comporte bien sûr quelques bobos de temps à autre. Grâce à elle, toi et Sean avez convenu d’être honnêtes. Parfois, on doit faire preuve d’honnêteté et d’humilité et révéler des trucs qu’on aurait voulu garder pour soi, même si on n’en est pas fier. Vous avez réussi à mettre en place différentes stratégies pour vous y aider, cultivant par le fait même un sentiment de confiance mutuel. C’est tout un boulot! Vous avez dû faire ça pour en arriver au point où tu peux lui lancer une remarque du genre « On va avoir une de ces journées », puis t’en aller. Je veux indiquer que c’est un travail en évolution. Vous avez mis beaucoup d’effort pour en arriver là. Avais-tu autre chose à ajouter?

Polly :

Merci pour ces beaux mots! (Rires) Ce point de vue semble plutôt positif.

Brian :

Je souris comme ça en écoutant parce que je repense au fait que l’armée t’enseigne justement l’art de la communication. Elle t’apprend à ne transmettre que les mots qui sont absolument nécessaires pour expliquer la date et l’heure, le quoi et le quand. Le reste disparaît comme par magie. Je me demande donc parfois si cette approche, qui convient à merveille aux communications radio, ne serait pas une manière très inappropriée de s’adresser à ses enfants. Que ce soit dans l’armée ou dans la police, on enseigne aux gens qu’il faut appliquer le principe du continuum de l’usage de la force, pas vrai? Ça me fait penser à un oignon. Il y a les couches extérieures et tout le reste.

Autrement dit, on t’apprend à exercer ton autorité lorsque tu fais face à un problème. Si quelqu’un est turbulent, il suffit de s’affirmer et de resserrer graduellement la vis au fur et à mesure que la situation évolue. Mais l’idée c’est que tu dois toujours avoir une longueur d’avance sur ce qui se passe. C’est super efficace pour gérer une émeute. Et si ma stratégie de communication se résume à toujours aborder mon interlocuteur avec cette même supériorité? On m’a carrément formé pour avoir des relations désastreuses à la maison, mais assez efficace pour le travail. Ça fait la job.

Polly :

C’est tout à fait logique, Brian.

Brian :

Ensuite, on rentre à la maison et on traite tout le monde de la même façon parce que ça fonctionnait au travail. Sauf que, à un moment donné, ça ne marche plus. Malheureusement, on l’a appris à nos dépens. C’est drôle?

Polly :

(Rires) Oh que oui! La colère était omniprésente dans notre ménage. Mon mari a une belle voix grave qu’on pourrait qualifier de voix de radio. Il peut donc passer du mode zen et relax à un mode où le niveau de décibels te fait vachement peur. Et c’est à cette voix qu’on a eu droit pendant longtemps quand les enfants étaient jeunes, parce qu’il se tournait vers la colère à tout bout de champ. Il n’y avait aucune autre émotion. Je pense que s’il était triste, ça se traduisait par un sentiment de colère qui lui donnait l’impression de maîtriser les choses. Et ça, il était un pro en la matière. Il a fini par rectifier le tir et j’en suis heureuse.

Laryssa, pour en revenir à ce que tu disais sur la communication, je dois t’avouer que c’était une tâche ardue et que, à présent, ce qui caractérise notre foyer c’est le progrès, pas la perfection. On progresse constamment à travers ce voyage infini. Il y a toujours moyen de se surpasser d’abord, puis d’aider sa famille par la suite. Je me suis rendu compte que je devais avant tout prendre soin de moi-même en me mettant ce fameux masque à oxygène en priorité. On en entend parler chaque fois, mais on ne réagit que lorsque l’avion s’apprête à s’écraser. Je ne dis pas que ma vie était constamment en déclin, mais, en même temps, il fallait que je m’occupe de Polly. Qui était Polly? Je ne le sais même pas parfois.

Maintenant que j’ai 52 ans, je me demande « À quoi est-ce que je veux que ma vie ressemble? » J’ai des possibilités devant moi, et le côté positif c’est que j’ai pu consacrer une partie pas tellement formidable de ma vie à épauler les autres dans le cadre de ma carrière, et j’en suis très reconnaissante. Et j’ai envie de rendre ce chemin moins cahoteux pour les autres. Mais c’est à ces gens de l’emprunter, ce chemin. On ne peut que les accompagner. De nos jours, il y a énormément plus de programmes qu’il y a 22 ans. Donc, Brian, on dit encore « et leurs familles ». Cependant, la bonne chose c’est que tu as un vaste choix de programmes. Parlant de communication, celui qui nous a aidés, c’est… Bon, commençons par ce qui n’a pas marché. La thérapie de couple, on a tenté ça, mais mon mari n’y arrivait pas. J’aurais beau lui tout plein d’histoires de réussite à ce sujet, il a tout de même choisi de l’abandonner. Son thérapeute s’est contenté de dire : « Il n’est pas prêt ». Ma question était : « Quand le sera-t-il? » Moi, je l’étais, parce que ça n’allait pas trop à la maison. Je suis super emballée que tu le voies une fois par semaine pendant une heure, mais le reste du temps c’est avec moi qu’il le passe. Alors, de quoi ai-je besoin? De quoi a-t-on besoin pour mieux communiquer?

En 2013, on a eu la chance d’aller à Can Praxis, qui est spécialisé en équithérapie. Mon mari n’aime pas les chevaux, il en a peur. Il a apparemment été éjecté d’un cheval quand il était jeune. Mais il s’est joint à moi et on a eu quelques bons moments ensemble. On en est revenus avec d’excellents éléments de base. L’un d’entre eux, pour lui, était de donner l’exemple du comportement que tu souhaites voir chez les autres. Et il m’a dit : « Je ne suis pas un bon modèle pour nos fils, mais je m’attends à ce qu’eux se comportent bien. » Parce que c’est ça l’armée. Il faut respecter son supérieur. À notre retour, même si les garçons sont restés chez nous, c’était clair que la magie des chevaux avait opéré. La relation père-fils s’est beaucoup améliorée. Je crois aussi que le moment était bien choisi. Leur relation est maintenant meilleure parce que mon mari a pris du recul et regardé la situation d’un autre œil.

Il a compris quelles étaient ses véritables attentes envers nos enfants et comment, jusqu’ici, il se donnait la permission de se comporter comme un chien sale avec eux. Oups, je ne suis pas certaine d’avoir le droit de dire ça ici. Le pire c’est qu’il était persuadé que c’était correct. Qu’on allait toujours lui pardonner, parce qu’on l’aimait. C’est sûr qu’on l’aimait. Peu importe à quel point on était fâché contre lui, on allait toujours avoir cette espèce d’amour inconditionnel pour lui. On a aussi appris que les chevaux, même si on les emmène loin de l’écurie, il faut absolument qu’ils reviennent par eux-mêmes. Si on considère cette analogie, du moment où tu fais fuir ta famille, juste parce que tu viens pour t’excuser en disant « désolé, bébé. J’ai été odieux » ne signifie pas que je vais te le pardonner – je pourrais évidemment te remercier.

Brian :

Oui, ça va mieux maintenant. Tout va bien, non?

Polly :

Pas du tout. J’ai toujours cette éclaboussure sur moi. Comme si on m’a vomie dessus. Même s’il n’y avait rien de physique là-dedans, ça me hante jusqu’à ce jour. Des années plus tard, je peux lui dire : « Tu as fait fuir le cheval et il n’était pas prêt à revenir. » Ou bien, c’est lui qui me le dira, parce qu’il sait que je suis plus calme, que j’ai besoin de plus de temps. Après, je peux juste aller prendre un bain, appeler une copine ou aller faire une promenade. Il ne se sent plus visé. Avant, si j’osais quelque chose du genre sans avoir accepté ses excuses, on se ramassait avec une autre dispute. Ou bien il me disait : « Tu ne m’aimes pas ». Il avait tendance à dramatiser les choses en me balançant des phrases comme « tu vas me quitter », et ainsi de suite. Ça nous a vraiment aidés. Ce n’était pas une recette miracle. C’était la pièce manquante du casse-tête dont on avait besoin.

Brian :

Alors, sans me donner la définition médicale, qu’est-ce que l’usure de compassion dans une relation?

Laryssa :

Je pense que, vu qu’on aime nos conjoints – on en est fières, on les voit souffrir – on aimerait les aider, que ce soit en tant que mère, parent ou épouse. Dans mon cas, c’était presque graduel, j’étais prête à me sacrifier petit à petit pour l’aider à mieux se porter, et le fait de céder des parties de moi-même sans pouvoir les reconstituer m’a affectée. Peu à peu, j’ai renoncé à mes limites, car je l’aimais et je voulais lui donner un coup de pouce. Comme je ne faisais pas attention à moi et que je n’étais pas encore rendue au point où cela pouvait m’affecter aussi, j’ai fini par souffrir d’usure de compassion qui s’est transformée à son tour en dépression, vu que je ne l’ai pas traitée. C’est comme ça qu’un membre de la famille peut aussi être touché. Polly, je me demandais si tu pouvais t’identifier à ce qu’on vient de décrire, si tu as vécu des expériences liées à l’usure de compassion, des traces dont tu veux nous parler.

Brian :

En d’autres mots, quand en as-tu ras-le-bol de nous autres?

Polly :

Eh bien, dans le passé, il arrivait que mon mari m’exaspérait. Il suivait une thérapie au début des années 2000. Il ne s’était pas encore défait de la plupart de ses méthodes d’adaptation malsaines. Il a été admis au programme pour patients hospitalisés de Bellwood. Moi, j’ai fait le programme familial, comme à de nombreuses reprises durant son hospitalisation. Pour tout vous dire, c’était une période éprouvante parce que, avant Bellwood, il a passé 6 semaines dans un hôpital psychiatrique après une tentative de suicide. En gros, il y avait pas mal de choses qui tourbillonnaient dans mon esprit. À peu près un an après Bellwood, les choses étaient… Enfin, notre vendredi soir ressemblait à ceci : il traversait le couloir de l’église menant jusqu’aux AA, alors que moi je prenais celui qui me menait vers la réunion Al-Anon. C’était ça notre rendez-vous du vendredi soir, et cette stratégie a porté fruit. Mais ensuite, certains mécanismes d’adaptation nocifs ont commencé à se manifester. Sur le plan financier, on n’était pas très bien placés. Côté comportement, ça ne me tentait juste pas de revenir en arrière. J’ai décidé que cette limite-là était infranchissable. Je ne comptais pas céder d’un poil. Et c’était pénible. Heureusement, on avait une relation plutôt amicale. Je sais qu’il me détestait à l’époque. Je suis partie avec les garçons tandis que mon conjoint est retourné vivre chez ses parents. Plus tard, il est retourné à Bellwood et j’ai repris le programme familial, même si techniquement on n’était pas ensemble. Je lui offrais mon soutien parce que, sinon, cette relation coparentale n’allait pas tenir la route. C’était bizarre pour notre famille. Figurez-vous qu’on s’est séparé en novembre, il me semble, et le mois d’après je suis encore allée visiter sa famille pour Noël, y compris sa tante et son oncle, pour que tout reste normal pour les enfants. Et j’imagine que cette situation était peut-être malaisante pour tout le monde. On pensait faire de notre mieux, mais ça a donné ce que ça a donné. À partir de là, j’ai posé une véritable limite. Ceux qui me connaissent savent que mes limites ne sont pas coulées dans le béton. J’essaie donc de les conserver, tout en adaptant mes attentes aux circonstances. Pourrais-je faire respecter cette limite? Faudrait-il que je sois un peu moins rigide aujourd’hui?

Brian :

À mes débuts, j’ai interviewé un chef de police local dans ma collectivité, et je dois dire que c’est assez impressionnant, la façon dont ils gèrent la santé mentale. On était en train de jaser, puis j’ai tout à coup envie de parler d’un tout autre sujet. Il m’a dit que si je voulais discuter des services de police, il fallait qu’on s’attarde sur l’usure de compassion. Il m’a dévoilé sa compréhension du concept, et il avait un point de vue unique : il commence à s’inquiéter pour une personne lorsqu’il remarque une perte d’empathie. Pour lui, c’est le point de départ. Est-ce que ça a de l’allure? Y a-t-il une variante familiale de ça?

Polly :

Je dirais que oui. On en arrive au point où on se dit : « ben, voyons donc! » Si telle chose se passe, OK. Si cette autre chose survient, je m’en fous. Vous comprenez? J’étais une sorte de planificatrice familiale pour ma famille élargie, et je décidais si on participait ou pas à tel ou tel événement. Cela dit, quand je regarde en arrière, je pense qu’on a perdu un peu d’intimité quelque part. De mon bord, j’éprouvais beaucoup de ressentiment envers lui. Sans que ce soit une colère noire, je lui en voulais de toujours tout ramener à lui sans jamais s’intéresser à moi ou aux enfants. Chaque aspect de notre vie gravitait autour de lui et tous les avantages qu’on pouvait obtenir, les enfants et moi, passaient par lui. J’étais donc rancunière non seulement envers mon mari, mais aussi envers le système. Voilà, c’est de ça qu’avait l’air l’épuisement et l’usure de compassion qui m’habitaient.

L’autre chose à avoir c’est que, pendant que l’on construit tranquillement sa résilience ou qu’on reprend graduellement soin de soi, il peut se produire quelque chose qui n’a absolument rien à voir avec le TSPT, parce que la vie poursuit son cours. Il peut s’agir de la perte d’un parent ou d’un membre de la famille. Dans mon cas, c’est un simple événement qui a eu lieu. Je ne me sens pas à l’aise d’en parler; je dirais simplement que c’est arrivé en 2018 et que j’en suis restée bouche bée. Je me suis de nouveau retrouvée dans l’impasse. Je n’avais aucune envie de traverser un autre épisode traumatisant. On m’avait déjà prescrit des médicaments contre la dépression, mais j’avais refusé de les prendre jusqu’alors. J’ai donc commencé par joindre le geste à la parole, un défi de taille! Je suis allée chez mon médecin, on a discuté et elle m’a proposé d’» arrêter de travailler ». Je lui ai répondu que je mourrais sans mon travail. Il me fallait une raison d’être. Et surtout, je ne voulais pas rester chez moi avec mon conjoint 24 h sur 24. Voici notre compromis : semaine de 4 jours, reprise de mes médicaments et recherche d’un nouveau thérapeute. Ça se comparait à remettre en place les piliers sur lesquels reposait ma vie. Et il s’est écoulé une année entière avant que je ne reprenne le travail à plein temps. Il y a 10 ans, j’aurais tout simplement recommencé à travailler comme d’habitude.

Brian :

À t’entendre parler, je pense que ça s’applique aussi en contexte militaire. Sans trop s’y attarder, dans le cadre d’un déploiement, on peut se rendre dans un lieu avec une certaine idée en tête. Voici ce que je veux dire. Chacun a son rôle à jour : l’agresseur, les défenseurs et les soldats (qui, eux, sont là pour aider les gens ordinaires). Cependant, une fois la mission terminée, il est très facile de se rendre compte que, dans une certaine mesure, on est l’artisan de notre propre misère. On contribue en partie à ce problème. J’ai vécu ça au moment où je regardais le retrait de l’Afghanistan l’an dernier. Il y a cette énorme partie de moi qui me fait croire que je me bats encore pour ce pays. Serais-tu d’accord avec cette idée-là? D’ailleurs, c’est lié à l’usure de compassion. D’une certaine manière, ça peut arriver à la suite d’une mission de 6 mois. Ensuite, si je compare ça à ce que mes enfants ont vécu avec moi, je me dis qu’ils peuvent l’avoir, eux aussi, après 11 ans de vie commune. Si ça ne me prend rien que 6 mois, faites le calcul. Mais ce n’est qu’une idée récente que j’ai eue au cours des 2 dernières années.

Polly :

Je suis ravie que tu aies eu l’occasion de cogiter là-dessus, Brian.

Laryssa :

Je dirais qu’il est important que les familles abordent cet aspect de la conversation. À mon avis, si on n’a plus d’empathie, le train est déjà passé.

Brian :

Oui, mais comment savoir si on est rendu là?

Laryssa :

Il doit y avoir des signes. D’après moi, le ressentiment et l’épuisement physique sont des signes avant-coureurs. De plus, il faut créer des attentes réalistes envers soi et prendre la peine de s’analyser. Soutenir quelqu’un qui souffre de TSPT, c’est difficile. Moi, j’aime mon mari de ton mon cœur. Il est formidable et, heureusement, il en a été épargné. Alors, chaque jour, je dois me lever et me demander si je suis partante ou non. Si oui, il y a certaines choses que je dois accepter. Je dois accepter de prendre soin de moi-même. Je dois accepter d’enseigner à mes enfants comment fixer leurs propres limites. Je dois également accepter que je n’irai jamais voir de feux d’artifice avec mon conjoint. Comme Polly l’a mentionné tantôt, tout dans la vie relève d’un choix. Et des choix, je dois en faire à titre de membre de famille.

Brian :

On a déjà parlé des 5 minutes dont j’ai besoin, pas vrai? Bon, regardez. En rentrant du travail, le stress est là. Chaque fois que je prends le volant, voilà une autre dose de stress. Je suis le genre de gars qui, de temps en temps, doit finir d’écouter une chanson qui lui plaît ou juste rester un petit bout dans l’entrée pour déstresser. Parce que je sais qu’en franchissant cette porte, dès que les petits me verront, ils viendront faire ce que font les enfants : « Papa, tu savais que… ». Avec le temps, j’ai découvert que, quoi qu’il arrive, il me fallait ces 5 minutes. Je pouvais donc voler ces quelques instants pour décompresser dans notre entrée ou jaser avec le voisin, même si on n’avait rien à se dire. Il m’a fallu des années pour comprendre cette notion pourtant si simple : j’ai d’abord besoin de ces 5 minutes, puis tu peux me dire ce qui se passe dans ta vie. Sinon, si je rentre chez nous et que je demande à ma femme comment était sa journée, le seul fait d’avoir prononcé ces mots ne signifie pas que j’écouterai la suite. Je suis ailleurs. Je ne suis pas prêt à tenir une conversation.

Polly :

Tu as soulevé un très bon point, Brian. C’était probablement vers 2007. Sean est allé à Homewood. Les enfants suivaient alors une thérapie. Et quand il est sorti de là, on a commencé la thérapie familiale. Un jour, le thérapeute m’a regardé et m’a dit : « Alors, Polly, de quoi as-tu besoin? ». Je ne comprenais pas. Il a donc répété : « De quoi as-tu besoin, toi? Tu parles sans cesse de ce stress, alors que peuvent faire Sean et les garçons à ce sujet? » J’étais comme un cerf pétrifié par les phares d’une voiture. Je lui ai confié que personne ne m’avait jamais posé cette question. Il m’a donc suggéré de « m’accorder une vingtaine de minutes à mon retour à la maison ». Comme tu l’as dit, Brian, tu as juste envie d’avoir un peu de répit. Sean en bénéficiait déjà parce que je parvenais à déchiffrer son langage corporel. Maman, elle, passait inaperçue.

Au début, c’était super étrange. En poussant la porte d’entrée, les enfants, enfin, tout le monde se précipitait vers moi. Puis la seconde d’après, pouf, je les voyais repartir. Ils me laissent en paix pendant 20 minutes. Comme ça, je pouvais me défouler ou être de meilleure humeur. Avant, à mon retour, j’étais assaillie de toutes parts : « Qu’est-ce qu’on mange? J’ai un entraînement de hockey ce soir, faut que je finisse mes devoirs ». Vu que mon conjoint ne travaillait pas, il était seul toute la journée, et il voulait juste me donner un câlin et m’embrasser. Je trouve ça très mignon, mais j’avais besoin d’oublier ma journée un peu avant de replonger dans le rôle de maman. À ce jour, ma famille n’a pas trop de difficulté à me décoder, ce qui est vraiment chouette! Mes enfants diront : « Maman, as-tu besoin de tes 20 minutes? ». Bon, je n’en ai pas besoin aussi souvent ces jours-ci, car je parviens beaucoup mieux à conserver mon énergie, plutôt que de me laisser lessiver.

Brian :

Mais puisque cette question leur vient à l’esprit, tu as toujours l’option de dire oui.

Polly :

Exact. Et ça ne les dérange pas. Il s’agit d’une conversation qu’on a eue, au cours de laquelle je leur ai expliqué mes raisons. C’est devenu un petit rituel bien à nous. Je prends le temps de les observer avant de leur sauter dessus comme une maniaque pour prendre de leurs nouvelles, parce que c’est ça la job d’un parent, non? Il leur faut peut-être un peu de temps avant de me dire comment était leur journée. Pas de soucis, on parlera plus tard.

Brian :

Chez moi, on finit par jouer le rôle de l’aidant naturel. C’est comme ça. Pour en revenir aux courses et aux tâches ménagères, disons que la répartition n’est pas tout à fait 50/50. Je n’oserais même pas mentir en prétendant que c’est 60/40. Ce n’est pas le cas. C’est elle qui fait la vaste majorité de ces choses. Alors en plus de son rôle d’aidante naturelle, elle doit jongler avec tout le reste. Comment t’y prends-tu pour assumer également ton rôle de conjointe? Est-ce difficile d’être parallèlement épouse et aidante naturelle?

Laryssa :

En fait, on peut avoir une conversation entière sur les aidants naturels, car à mon avis, rien qu’en utilisant ce terme on attribue déjà une certaine responsabilité à la famille. Pour cette raison, je préconise vivement le mot « accompagnateur ». C’est sur ça que portait l’une de mes premières conversations avec mon conjoint. Sachant qu’il souffrait de TSPT, je lui ai fait comprendre que je n’allais pas être son aidante naturelle. Malgré tout, on ne peut pas y échapper. Alors oui, les effets de ce double rôle sont plus que perceptibles. Sinon, le mot « aidant naturel » me chicote à cause de cet écart de pouvoir qu’il suppose. Pour moi, il renvoie à un éducateur de la petite enfance ou, à la limite, à un préposé aux bénéficiaires s’occupant d’une personne âgée fragile. Comment développer alors une relation intime avec quelqu’un qui n’est pas sur un pied d’égalité avec toi?

Brian :

Permettez-moi aussi d’ajouter que bon nombre d’entre nous n’aiment pas quand leur maison se métamorphose en un cabinet de médecin. Et je ne veux pas que vous essayiez d’agir en tant que mon médecin. Ça ne me tente pas non plus qu’on me pathologise à la table de cuisine; c’est frustrant. À plusieurs reprises, juste après ma visite chez le médecin, la première chose que ma conjointe me balançait c’était : « De quoi avez-vous parlé? ». Dans mon esprit, je venais de faire une petite balade d’une heure en enfer. Un autre interrogatoire? Non merci! Je viens de passer par là. Je fais un vœu de silence. Pourtant, ta chérie d’amour n’arrête pas de fouiller. Bref, elle fait ce que tu as fait toi aussi. Elle tente d’investiguer pour savoir quel genre de journée on va avoir. On sait que vos intentions sont bonnes, mais on a parfois l’impression que vous essayez de jouer le rôle de notre médecin, alors qu’on en a déjà un. Je veux juste qu’elle soit ma femme, mais ce n’est pas évident.

Polly :

Je pense que les frontières sont certainement floues. Pendant un certain temps, bien qu’on avait cette belle communication entre nous, mon mari cherchait à obtenir mes conseils ou mes commentaires sur des choses auxquelles seul son psy aurait su répondre. Aujourd’hui, je me sens enfin capable de le lui dire. Me voilà donc en train de tracer des limites et de jouer davantage le rôle d’épouse plutôt que celui d’aidante naturelle. Néanmoins, il a fallu acquérir beaucoup de connaissances, être compréhensive et faire preuve d’un peu de conscience de soi pour reconnaître ce que je faisais, parce que des fois, je dérape. C’est normal, je l’aime et je veux qu’il ait la meilleure qualité de vie possible, sans que ce soit à mon détriment.

Laryssa, je voulais juste revenir sur un élément dont tu as parlé tout à l’heure. En fait, c’est du soutien par les pairs, auquel j’ai consacré 10 ans de ma vie avant de venir chez Atlas, que vient la plupart de mon savoir. L’une des choses que je constate chez les conjoints, c’est qu’on est enclin à refléter l’état d’esprit de notre bien aimé à longueur de journée. Je me permets désormais de poser cette unique limite en demandant à mon conjoint quel genre de journée nous attend.

Brian :

En gros, vous êtes des épouses chasse-neige? J’ai l’impression que vous essayez d’éliminer les obstacles.

Laryssa :

C’est clair. C’est là qu’intervient l’hypervigilance. On est tellement à l’écoute de notre proche que, dès qu’on entre dans la maison – sans même avoir à se regarder – on sait déjà quel type de…

Polly :

On comprend.

Laryssa :

On anticipe donc les déclencheurs, on tente de les réduire au minimum afin d’éviter une explosion en plein milieu de la cuisine. Ça nous met dans cet état d’hypervigilance ou d’hyperexcitation et, à cause de ça, on s’isole, on se referme sur soi. Tout un sujet, ça! Mais sans aucun doute, on s’investit à fond pour essayer d’améliorer la journée.

Brian :

Le problème c’est que, quand vous jouez les épouses chasse-neige – j’adore cette expression-là, elle est très imagée – on dirait que vous nous prenez pour des enfants.

Polly :

Tout à fait. Je pense que ça dépend de la façon dont on le fait. À un moment donné, le message va passer. Voici un exemple. Lundi dernier, avant de venir ici, on préparait du steak et des pommes de terre au four. Étant donné que mon barbecue n’était pas prêt, j’ai opté pour la cuisinière. J’avais mis du beurre à l’ail sur les patates, et une partie a coulé dans le four. Eh bien, mon mari a des déclencheurs olfactifs. Et même si tout allait bien, la situation en Ukraine a accentué certains de ses symptômes dernièrement, et on en était tous conscients. Il était sur le chemin du retour, donc je l’ai appelé en lui expliquant : « Écoute, il y a un peu de boucane chez nous. Quelque chose a collé au fond du four. Ça sent un peu, mais j’ai allumé le ventilateur et les fenêtres sont ouvertes. Je voulais juste t’en aviser avant que tu arrives. » Et il m’a dit : « Merci, tu es vraiment fine ». Sinon, il aurait pu se mettre en colère. Par la suite, il a un mal de tête et se sent misérable, puis les choses se corsent davantage. Comme j’ai pu le prévenir, l’odeur l’a dérangé quand même, mais j’ai fait de mon mieux pour qu’elle se dissipe au plus vite. Les effets étant atténués, on a été en mesure de souper en paix; enfin, même si ça marche dans notre cas, ce n’est pas une solution universelle.

Bon, revenons à la question du détachement. On pourrait probablement créer un balado rien que sur ça, mais il s’agit vraiment de savoir comment y parvenir. Que faire pour que notre humeur ne soit pas affectée? Comme tu l’as fait remarquer, Brian, je crois aussi que ça doit être plus difficile pour les gens dont le diagnostic n’est établi que de nombreuses années plus tard. C’est toute une épreuve que de vouloir garantir une bonne qualité de vie à son conjoint adoré, tout en anticipant chaque chose négative qui a déjà eu lieu. J’ai donc appris à ne pas remonter aussi loin dans le passé. Bien qu’il ait ces légères déviations jusqu’à maintenant (c’est comme ça qu’on les appelle dernièrement), on finit toujours par s’en remettre de plus en plus vite. Auparavant, une mauvaise journée se transformait en une mauvaise semaine, puis en un mois affreux. Désormais, on ne dépasse pas les 10 minutes.

Laryssa :

Et vous avez les compétences pour vous rétablir.

Polly :

Puis, on a une belle fin de journée.

Laryssa :

Je sais que notre temps est presque écoulé. Polly, tu nous as dit qu’il te fallait parfois 20 minutes pour te ressourcer et on voit que tu possèdes une vaste expérience en matière de soutien par les pairs auprès d’autres familles. Je sais que tu étais douée dans ce que tu faisais, et que tu y mettais tout ton cœur. J’aimerais donc dresser un tableau plus complet à partir de ta propre expérience. De quoi les familles ont-elles besoin?

Polly :

Comme je l’ai dit plus tôt, les ressources se sont améliorées, mais il est plus difficile de s’y retrouver. Ça prend quelqu’un qui s’y connaît. D’ailleurs, c’est ce côté du soutien par les pairs que j’aimais, car je pouvais guider les gens, que ce soit le ministère de la Défense nationale pour ceux qui en faisaient toujours partie, ou celui des Anciens Combattants, pour qu’ils puissent tirer parti des avantages offerts. Ou alors, c’était les ressources communautaires. Tel était le but de mon travail. J’avais besoin de connaître ces choses pour les soutenir. Les ressources à Windsor n’ont rien à voir avec celles de Niagara.

Je dirais que le monde virtuel a élargi l’éventail de ressources, car on n’est pas obligé de vivre dans une région donnée pour en profiter pleinement. Par exemple, on peut s’inscrire à un atelier. Pour moi, ce qui importe le plus, c’est de planter la semence. Et cette psychoéducation, cette sensibilisation, il me semble que lorsque ce sujet a été abordé pour la première fois, l’idée était de toujours trouver le meilleur moyen d’aider son vétéran. De nos jours, l’accent est plus mis sur comment se mettre ce masque à oxygène en premier. Autrement, on n’est pas d’une grande utilité. C’est sûr qu’on peut faire semblant pendant un bout et croire que tout va bien. Cependant, il faut se concentrer sur soi-même et se renseigner sur les limites, les attentes et les signes et symptômes du TSPT. Quels traitements cliniques faut-il entreprendre? Comment aider son conjoint à s’y retrouver dans ce monde sans se négliger? C’est l’une des choses qui m’a le plus marquée.

Laryssa :

J’ai cette question à t’adresser, à laquelle tu as peut-être déjà répondu partiellement. Tu as révélé avoir atteint la cinquantaine, que tes gars ont grandi, que tout se passe super bien entre Sean et toi et que vous disposez d’un arsenal de stratégies pour quand ça va mal. J’imagine que notre auditoire est peut-être composé de jeunes familles, de couples. Bref, les familles, pour moi, ça englobe plus qu’un conjoint et des enfants. Il a les parents – on n’a même pas effleuré le sujet – les frères et sœurs, voire un collègue pompier sur lequel on compte maintenant en tant que vétéran. Si tu avais une machine à voyager dans le temps, qu’aurais-tu conseillé à la Polly âgée de 25 ans?

Polly :

Tu veux me faire pleurer?

Brian :

Tu n’avais pas prévu cette question? Aucune réplique toute prête?

Polly :

(rires) J’ai été prise au dépourvu. OK, ça y est. Je lui aurais simplement suggéré de penser d’abord à elle-même. Prends soin de toi et sers-toi de toutes les ressources à ta disposition. Même si tu penses que ce n’est pas la bonne solution, fais cet appel et n’aie pas peur d’essayer. Et ne te décourage pas si, après plusieurs tentatives, tes attentes ne sont pas comblées. Il faut que tu apprennes à bien les gérer, car il n’y a pas de recette miracle pour le TSPT. Son antidote n’existe pas. Tu vas devoir vivre avec ces symptômes pour la vie. Le vétéran et toi faites partie de la même famille. Alors, comment peux-tu avoir la meilleure qualité de vie qui soit? Comment peux-tu garnir ton arsenal de ressources spécialement conçues pour toi? D’ailleurs, ces outils changeront en cours de route. Parce qu’au fur et à mesure qu’on vieillira et que la mémoire de Sean ne lui sera plus aussi fidèle, on devra ajouter quelques aide-mémoire supplémentaires. Je ne sais pas si j’ai répondu entièrement à ta question, mais je lui dirais certainement qu’elle compte, qu’elle ne doit pas s’y perdre et qu’elle fasse son possible avec ce qu’elle a.

Laryssa :

Merci beaucoup.

Polly :

C’est moi qui vous remercie tous les deux.

Brian :

Nous espérons que vous avez aimé cet épisode d’Après la mission.

Laryssa :

Si cette conversation vous interpelle ou qu’elle vous a été utile, je vous encourage à vous abonner au balado Après la mission sur la plateforme de votre choix, afin que vous soyez les premiers à savoir quand notre prochain épisode sortira.

Brian :

Et si vous connaissez quelqu’un que cette discussion pourrait toucher ou qui pourrait en tirer quoi que ce soit, n’hésitez pas à lui en parler. On est tous dans le même bateau.

Laryssa :

Dites-nous également quels autres sujets vous aimeriez qu’on explore à l’avenir. Brian et moi avons beaucoup d’idées et de sujets en tête, mais vous, en tant qu’auditeurs, en avez probablement d’autres.

Brian :

Communiquez avec nous si c’est le cas. Repérez-nous sur les médias sociaux à l’aide du mot-clé @atlasveterans.ca et n’hésitez pas à nous envoyer un gazouillis ou un message ou même à laisser un commentaire sur cet épisode pour nous dire de quoi vous aimeriez nous entendre parler.

Laryssa :

Brian, c’est toujours un plaisir de tenir ces conversations importantes avec toi. J’ai hâte à notre prochaine rencontre.

Brian :

Je t’en prie. Merci, Laryssa. Fais attention à toi.