2022-06-27 33:17 Épisode 1
Épisode 1 : Personne ne sait mieux que moi ce que je vis
Faites la connaissance des animateurs, Brian McKenna, adjudant à la retraite des Forces armées canadiennes, et Laryssa Lamrock, fille et mère de militaire et conjointe d’un vétéran.
Le premier épisode du balado présente Brian et Laryssa et aborde les hauts et les bas de la vie d’un vétéran et de la famille d’un vétéran aux prises avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Bien placés pour parler de ce qu’ils vivent, les deux s’ouvrent sur le véritable sens qu’a eu un diagnostic de TSPT pour eux et pour leurs proches. Ils fondent l’espoir que le balado pourra aider d’autres personnes, peu importe où elles se trouvent dans leur propre cheminement.
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Balado « L’esprit au-delà de la mission » avec Laryssa Lamrock et Brian McKenna
épisode 1 : Personne ne sait mieux que moi ce que je vis
Brian
On dirait bien que c’est enfin parti. Je suis Brian McKenna, adjudant à la retraite des Forces canadiennes, et je suis à Delta (Colombie-Britannique) sur la côte ouest. Avec moi, j’ai ma complice, Laryssa Lamrock, qui elle est à Meaford. Comment ça va?
Laryssa
Merci Brian. Je suis contente d’être là. Ça fait tellement longtemps qu’on en parle de ce balado. Enfin, on y est. On le fait. Alors, oui, je suis Laryssa Lamrock, membre d’une famille de militaires de génération en génération. Mon père a servi dans l’armée, je suis mariée à un vétéran qui a été libéré pour raisons médicales, et mon fils aîné est toujours un militaire actif. C’est ça, je suis contente d’être là.
Brian
Donc, en plus, t’as marié un adjudant d’infanterie.
Laryssa
Oui, peut-être que je suis masochiste, je sais pas. Et maintenant, j’en ai un comme collègue! Comment j’ai fait pour en arriver là?
Brian
Ouais, je discute de temps en temps de ce qu’on veut faire avec ce balado avec d’autres personnes avec qui on travaille. Je trouve que des fois dans notre travail, quand quelqu’un me pose une question, j’ai juste besoin de répondre par courriel. « Salut Brian, je tourne à gauche ou à droite? » « Tourne à gauche. » Mais des fois, il y a des sujets qui se présentent et qui ont besoin – qui méritent – une réponse plus approfondie. Ils méritent qu’on s’y attarde un peu. Et ben, c’est ce que j’ai hâte de pouvoir faire avec ce balado.
Je pense que si quelqu’un veut savoir « est-ce qu’on choisit cette photo ou celle-là? », c’est facile. Mais si quelqu’un demande « qu’est-ce que je peux faire au sujet de sommeil après 20 ans à faire les choses comme dans l’armée, et maintenant il faut que je laisse ça derrière moi et que je redevienne juste une personne ordinaire? Comment je fais ça? », et bien ça demande une discussion un peu plus longue. « Qu’est-ce qui arrive à une relation quand une personne doit devenir l’aidant? » Comment faire pour répondre à ça vite vite? C’est ça le genre de questions que j’ai vraiment envie d’aborder. Y’en a qui te viennent en tête?
Laryssa
Je suis d’accord avec toi, Brian. On va parler de notre expérience personnelle par rapport à la santé mentale et en particulier aux TSPT [troubles de stress post-traumatique]. Puis je pense comme toi que ce sont pas des réponses toutes simples qu’on peut sortir comme ça. Donc, je suis contente de savoir qu’on va créer un espace pour que les vétérans et les familles puissent parler de ce qu’ils vivent et de savoir qu’on va en inviter à venir discuter de sujets particuliers. Donc, oui, c’est sûr que le vétéran qui reçoit un diagnostic de trouble de santé mentale est affecté, mais sa famille aussi, c’est sûr. J’aime toujours quand tu nous rappelles que c’est pas « le vétéran et sa famille », que le vétéran fait partie du noyau familial. J’ai très hâte qu’on parle de tout ça plus en profondeur.
Brian
Oui. Je me souviens de la caserne de Kapyong et de Winnipeg, ma première mission. Ils nous ont rassemblés, puis on est allés et ils nous ont fait un portrait de la situation. Et puis nos familles ont eu une séance d’information sur ce qui allait se passer de leur point de vue. Jamais, elles ont été informées du portrait de la situation qu’on nous donnait. Et nous aussi on était mis à l’écart, comme si on faisait pas partie de la famille. Alors, la famille c’était eux et ceux qu’ils avaient en tête. Moi je me disais « hé, je suis là moi aussi. J’ai pas abandonné mon rôle de père parce que je porte cet uniforme vert. Je fais aussi partie de ça. » Malgré toutes leurs bonnes intentions, ils étaient pas là où on avait besoin qu’ils le soient.
Aussi, quand je pense à notre rôle auprès des vétérans et des familles, j’ai l’impression qu’une des choses qui a fait grandement défaut au fil du temps, c’est qu’on s’adressait souvent à des personnes comme toi dans la mesure où… vous pouviez aider votre mari. Et pis toi? Où est Laryssa dans tout ça, non? Dans cette conversation, où est ma femme en tant que personne, et peut-être aussi en tant que patiente elle-même?
Et c’est une des choses dont je suis particulièrement fier, qu’on fasse pas la même erreur ici.
Laryssa
C’est vrai, parce qu’on a parlé de l’incidence de la santé des vétérans sur la famille, mais la santé de la famille aussi se fait sentir sur le vétéran. Il faut que ce soit comme une unité qui travaille ensemble. Je suis tout à fait d’accord avec toi.
Brian
On a déjà discuté de ce sujet ensemble en long et en large, mais j’ai l’impression qu’on se trouve dans une situation où on a un micro et où on fait juste revenir sur une vieille conversation, mais l’une des choses les plus importantes que tu m’as demandées et que tu as continué à me demander jusqu’à ce que je te donne une vraie réponse – ce qui me fatiguait, mais je peux le comprendre – c’est à quel moment j’avais compris. « Comment as-tu su que t’avais un problème? »
Laryssa
Oui.
Brian
Ben, il y avait toute une série de petites choses, mais comment ai-je su que j’avais un problème que je pouvais pas éviter? Comment ai-je su que je pouvais plus ignorer mon problème, passer par-dessus et continuer à vivre ma vie?
Moi, je me suis mis à chercher ma dose d’adrénaline de très mauvaise façon. Et je sais que, dans mon cas, un jour, quand j’ai regardé dans le rétroviseur et que je conduisais d’une manière qui était pas du tout la mienne habituellement, j’ai vu mes propres enfants dans le miroir… Eh bien, j’en avais pas besoin de plus pour m’ouvrir les yeux. Et c’est un de ces moments où je me suis dit : « Hé, qu’est-ce que tu fais? Qu’est-ce que tu fais? Et pourquoi es-tu en train de faire ça? » Et c’est un peu un moment où j’ai dû faire face à mon problème et dire, ok, il faut que je change. Mais, j’en parlais à un de nos collègues l’autre jour, et je t’ai pas raconté ça, mais un jour je suis allé faire encadrer une photo dans un magasin de fournitures d’art du coin. Rien de trop compliqué à faire. J’avais la photo, j’avais la taille, j’avais pris les mesures et j’avais juste à aller au magasin. Je me souviens d’y être allé et pis tout d’un coup d’avoir à choisir un passe-partout, un cadre et une couleur et à répondre à un million de questions. C’était comme « pouvez-vous juste m’encadrer cette foutue photo? Faites juste vous en occuper! ». Et la personne essayait de m’aider en proposant toutes sortes d’options et, pour une raison que je m’explique pas, je voulais juste plus rien savoir de choisir parmi les options et de faire plusieurs choses à la fois.
J’ai juste… je voulais entrer quelque part et tu sais : « Voici le hamburger ». « Super. Parfait. » « Voici le café. » « Merci. » Je voulais pas m’asseoir là et discuter, et je sentais que ça commençait à dépasser ce que je pouvais gérer, cette transaction de 30 $ que j’avais à faire. Et tout d’un coup, j’ai senti que la rage en moi montait et que je commençais à m’énerver de plus en plus. Plus je m’énervais, plus la personne qui essayait de m’aider s’énervait. Et je me souviens d’avoir ramassé toutes mes affaires et d’être parti complètement fâché. Je me suis assis dans ma voiture et j’ai fait toute une crise, tout ça pour faire encadrer une photo. Je me disais, pourquoi? Je reviens d’un endroit où je dirigeais 34 personnes dans les conditions les plus difficiles de la planète – et je m’en sortais très bien en passant – et j’arrive même pas à choisir un cadre de photo. Qu’est-ce qui se passe?
Laryssa
Oui, j’ai entendu beaucoup de vétérans raconter des histoires du même genre. Ç’a dû marquer une sorte de tournant pour toi. Et je peux pas imaginer toutes les émotions différentes que tu devais vivre à ce moment-là, surtout parce que t’avais un rôle de direction. T’avais à prendre des décisions en un éclair qui font la différence entre la vie et la mort. Pourtant, t’étais dans un magasin d’encadrement, incapable de décider de la couleur d’un passe-partout. Alors, j’arrive pas à imaginer comment tu te sentais à penser que tu « arrivais même pas à prendre ce genre de petites décisions ».
Brian
Ouais. C’était un moment très frustrant. Et je pense que c’est une des raisons pour lesquelles, quand tu es à l’étranger et que tu vois enfin atterrir l’oiseau de la liberté – tu sais?, c’est l’avion qui vient nous sortir de là – c’est le meilleur sentiment du monde. Tu n’as jamais été aussi heureux de voir atterrir le même avion banal que tu l’es à la minute où tu peux enfin monter dedans et sortir de là. C’est merveilleux. Et pis une semaine plus tard, je voulais pas être à la maison. Je voulais retourner. Pourquoi? C’est parce que je pense que j’étais arrivé au point où je m’étais entraîné, où des gens m’avaient formé, où j’étais tellement bien adapté au travail que j’avais à faire… et pis je suis rentré à la maison et j’arrivais même pas à faire les repas. J’arrivais pas – j’arrivais pas à m’occuper de faire encadrer cette maudite photo.
J’étais bon dans ma carrière de soldat, mais je me sentais assez nul pour les choses du quotidien. Donc… je suis meilleur là-bas. Je suis mieux fait pour ça. Et je pense que c’est ce que beaucoup de gars vivent. T’as ton truc que tu fais et pour lequel t’es vraiment bon, puis tu reviens dans cet endroit où tu te sens vraiment incompétent… et en passant, quand on fait notre travail comme membre de la famille et que j’organise tout pour que tu puisses faire fonctionner la maison quand je serai pas là et que tu puisses t’occuper des enfants, c’est génial. Et pis, t’arrives vraiment à le faire. Et pis là, je rentre à la maison et je me dis : « Bon sang, qu’est-ce que je fais ici? J’ai tout simplement été remplacé ».
Mais quand je retourne dans les lignes du peloton, je sens pas que j’ai été remplacé. J’ai l’impression que je reviens exactement là où je dois être et je pense que c’est ce que vivent bien des gens. Et je l’ai vu chez des amis bien des fois. Tu sors de là et tu te dis, le risque, la menace, j’ai perdu des amis, il fait incroyablement chaud, je suis couvert de poussière. Et je veux plus jamais retourner là de ma vie… Attends 10 jours, mon vieux. Peut-être même pas.
Laryssa
À t’écouter parler de ton retour à la maison, je me demande comment ça se passait du côté de la famille. Je me souviens quand mon mari a été déployé pour la première fois. Il est monté dans l’avion et c’était très excitant. C’était très inquiétant. Il y avait beaucoup d’inconnues.
Mais ce qui a été peut-être encore plus inquiétant c’est quand il est revenu à la maison et que j’ai compris qu’il était pas tout à fait la même personne que quand il est parti. Et c’était pas seulement une question de réintégration et de place de chacun et des rôles dans la famille. C’était aussi de comprendre qu’il y avait des différences chez cette personne et que j’arrivais pas tout à fait à me les expliquer.
Et à l’époque, on ne parlait pas de traumatismes liés au stress opérationnel. On parlait pas de TSPT. On parlait même pas de répercussions possibles sur la santé mentale ou des blessures que les militaires pourraient subir. Alors, je comprenais pas ce que j’observais. Les types de comportement, comme ceux dont tu parles – voir mon mari s’effondrer à cause d’une décision à prendre pour un cadre de photo ou quelque chose du genre… – je comprenais pas de tout d’où ça venait. J’avais aucun moyen d’interpréter ça. Ça fait que comme membre de la famille, on essaie de trouver des réponses tout seul. On se demande si c’est la relation avec son conjoint ou sa conjointe, si c’est moi, si les enfants ont fait quelque chose pour l’énerver? Donc c’est tout ça qui se passe en même temps.
Brian
Alors maintenant quand vous vivez quelque chose de difficile, comment faites-vous pour pas perdre espoir? Comment faites-vous pour vous en sortir?
Laryssa
Je dirais qu’il a fallu qu’on trouve de l’espoir avant d’être confrontés à une difficulté. Ç’a été un très long processus, un très long cheminement. Notre façon de gérer des situations difficiles et des tensions aujourd’hui est bien différente de qu’elle était au début.
Et je sais que ce que je dis peut sembler d’une grande banalité, mais j’espère qu’on pourra aborder le sujet en profondeur dans de futurs épisodes. En gros, la communication est la clé de tout ça. Et elle doit fonctionner dans les deux sens. J’ai passé beaucoup de temps à m’informer sur ce qui arrivait à mon conjoint, à m’informer sur la façon dont je pouvais l’aider à se rétablir, à m’informer sur la meilleure façon de communiquer, mais il fallait aussi que ça aille dans l’autre sens. Lui devait comprendre les répercussions sur les membres de la famille. Je sais ce que c’est que de soutenir son mari sans s’occuper de soi; j’ai fini par sentir l’usure de la compassion et par faire une dépression.
Donc, on est les deux blessés d’une certaine manière et on a besoin les deux de faire preuve d’empathie et de soutien l’un envers l’autre. Des fois, ça veut dire qu’on compte l’un sur l’autre et des fois ça veut dire qu’on compte sur d’autres personnes et d’autres sources de soutien. Je dirais que les deux plus grandes composantes de cet espoir se trouvent dans une sorte de terrain d’entente et dans l’idée que c’est « nous contre le trouble » et non pas « nous contre l’autre », avec le trouble.
Et toi Brian? Je me demande… Tu as raconté ce qui t’est arrivé dans la voiture, ta crise. Ç’a t’a amené une certaine prise de conscience, mais est-ce que les membres de ta famille t’ont fait des réflexions à l’époque ou est-ce que c’est juste maintenant, avec le recul, quand vous regardez en arrière, que ta famille te dit « ouais, en fait, on voyait ce qui se passait, mais on savait pas comment s’y prendre » ou je sais pas?
Brian
Ils savaient pas quoi faire. Et probablement qu’ils avaient un peu peur. C’était à une époque où il y avait continuellement des rotations, et soit tu partais, soit t’étais là-bas, soit tu revenais. C’était ça notre vie pendant presque 10 ans. Au tout début de la mission en Afghanistan, le rythme était beaucoup plus lent, mais comme on envoyait presque 4 000 hommes là-bas tous les six mois, tu finissais par te retrouver dans un cycle où, ta vie, c’était l’un des trois rôles : soit tu reviens à la maison, soit tu pars, soit t’es là-bas. Et la famille s’habitude à ça. Si j’étais pas à l’étranger, l’une des personnes habituelles qui passait toujours la porte était pas là. Il y avait toujours quelqu’un qui se préparait à partir. Et je pense que ça nous a pris un moment avant de nous rendre compte que notre famille aussi était dans cet état.
C’est très facile de regarder sa compagnie et de dire « ok, qui s’en va où? ». Mais toutes les conjointes et les femmes faisaient partie de ce cycle aussi. Il a fallu qu’on se fasse à cette réalité. Mais comment faire pour avoir de l’espoir? En vérité, pendant longtemps j’en ai pas eu. Et je pense que l’une de mes faiblesses – disons plutôt l’une de mes difficultés, c’est mieux qu’une faiblesse –, c’est que je voulais redevenir assez bien pour pouvoir y retourner. Je voulais être assez bien pour garder mon travail, tu sais. C’est comme, c’est mon métier. Les gens me présentent en disant « oh, t’en fais pas pour lui. Il est dans larmée ». C’est comme si c’était devenu un personnage et une carrière.
Et je me disais, je veux pas perdre ça. C’est tout à fait central à ce que je vois quand je me regarde dans le miroir. Que je sois en uniforme ou pas, je vois un membre des Forces. Et c’est ce que j’avais peur de perdre. Alors, pendant longtemps, j’avais pas d’espoir. Et je me suis senti sérieusement abattu.
Qu’est-ce qui m’a aidé par contre? En fin de compte, j’ai pu rencontrer un spécialiste qui était tout à fait adapté pour moi, pour ce que je vivais. Et il a pas accepté mes réponses qui essayaient d’esquiver ses questions. Il me poussait à aller au fond des choses. Et il disait surtout : « Qu’est-ce qui te dérange vraiment à propos de cet incident? »
Et quand j’ai finalement cédé et que je l’ai laissé poser ses questions et que j’ai coopéré avec lui – au lieu de lutter contre l’aide qu’il m’offrait, j’ai accepté qu’on m’aide. Et, en passant, ça m’a pris des années pour y arriver, des années, trois ans à peu près. On était en 2014 quand j’ai finalement commencé à céder et à écouter ce qu’il disait. Puis on prenait un problème, comme quand je suis allé comme membre de l’équipe d’intervention là où un autobus avait explosé et puis on y allait : « Pourquoi ça vient te chercher? »
Au départ, j’étais comme « ben, qu’est-ce que t’en penses? Parce que c’est affreux. Parce qu’il y avait des morts partout. Tu sais, c’est pour ça que c’était terrible. » Et puis, à force de gratter et de gratter, on est arrivés à un incident où il a dit : « Ce qui te dérange, c’est que t’as mis le pied sur la sacoche de cette femme et ç’a t’a forcé à prendre conscience du fait que c’était pas un soldat ordinaire. C’était une femme. »
Et une femme, c’est très différent, non? Une femme soldat a ce que j’ai : elle un sac à dos, elle a un sac à fourbis, d’habitude – une femme a une sacoche, non? C’est pour ça que quand t’arrives à l’arrière de ce véhicule blindé et que tu mets le pied sur une sacoche, c’est une autre affaire.
Laryssa
C’est une autre réalité.
Brian
Et c’est ça en fait qui me dérange dans le cas, par exemple, du 29 octobre 2011, où il est arrivé un événement vraiment vraiment affreux, mais tu trouveras rien dans Google à propos de cette sacoche. La sacoche est dans ma tête, pas vrai? Mais c’est ça qui me dérange. C’est comme, OK, ben, en quoi est-ce que c’est un message d’espoir? Ç’a m’a l’air d’un message affreux. Ben, l’espoir, c’est que, si tu travailles avec ton spécialiste et que tu essaies pas d’entraver son travail, ça se pourrait que tu trouves ce qui te dérange à propos de ça. Ça, c’est de l’espoir.
Laryssa
Ouais, tout à fait. Et je pense que c’est important pour les gens d’entendre ce message.
C’est difficile comme tout de se rétablir. J’ai vu mon mari travailler à sa guérison et – il me l’a dit – c’est probablement l’une des choses les plus difficiles qu’il ait jamais eu à faire. Je suis certaine qu’il aurait nettement mieux aimé être en uniforme à affronter l’ennemi que d’être dans notre ville, dans le cabinet de son psy.
Mais l’espoir permet aux gens de savoir que s’ils font le travail nécessaire et qu’ils prennent l’énergie investie pour lutter contre leurs difficultés – c’est un mot que tu as employé – et la mettent dans leur rétablissement, les choses peuvent s’améliorer. Et il y a quelques concepts dont on a déjà parlé toi et moi. La première chose que je vais dire, c’est que mon mari, comme il est fantassin, il utilise beaucoup d’analogies qui vont te parler, je pense. Il est arrivé à un stade d’acceptation où il se dit qu’il peut démonter et remonter une mitrailleuse les yeux fermés. Ça, c’est son domaine d’expertise. C’est sa formation. C’est sa zone de confort. Mais qu’est-ce qui lui faisait croire qu’il pouvait s’occuper de problèmes de santé mentale avec la même expertise? Il a dû accepter que d’autres personnes étaient expertes en la matière et qu’il pouvait pas régler ses problèmes de santé mentale seul, qu’il avait besoin d’accepter de l’aide.
Et je pense qu’une partie de ça est liée à ce dont on a déjà discuté : faire passer la mission avant soi. D’après ce que j’ai compris de la formation des militaires canadiens, c’est l’un des principes de base : l’importance de la mission avant soi. Il y a une réelle importance et un vrai besoin de se conformer à ça.
Mais ça doit être très difficile de pas y penser quand l’uniforme tombe, cette idée que peut-être que le soi vient avant la mission ou peut-être que le soi devient la mission.
Brian
Tu sais ce qui est vraiment difficile c’est que tu deviens un maître de ce qui s’appelle la « conscience de la situation » – en d’autres termes, « qu’est-ce qui se passe? » – et quand tu te trouves sur une scène terrible, t’as besoin de tout savoir ce qui se passe. Il faut que tous tes sens soient en alerte.
Je vais te donner un exemple. Dans un endroit comme en Afghanistan, je crois qu’il y a 11 tribus différentes. Quand tu regardes les différents groupes, il y a des Pachtouns, des Hazaras, des Ouzbeks, des Turkmènes, de gens de toutes sortes. Sauf que, pour moi, il y avait juste une sorte : il y avait eux et il y avait nous. Mais pour eux, il y a beaucoup de distinctions, de groupes différents, et personne arrive aussi bien à le sentir qu’eux. Alors, tu deviens un maître de la conscience de la situation et si tu l’as pas, tu dois trouver quelqu’un qui l’a. Ton interprète devient très très important pour t’aider à comprendre ce qui se passe : « Hé, est-ce que quelqu’un ici met les autres mal à l’aise? »
T’as l’habitude de déchiffrer ce qui se passe et, même en situation de combat, si tu es dehors en patrouille et que t’as un problème – ce qui veut dire que t’as probablement un kilomètre de zone bouclée –, t’es censé deviner tout ce qui se passe. Ben, de retour à la maison quand il y a des tensions, d’où vient la tension? À l’étranger, je sais comment déchiffrer ce qui se passe, tu sais. Je reviens dans ma propre maison et tout le monde est sur les nerfs et j’ai pas la moindre idée comment m’y prendre pour arriver à voir ce qui a causé ça. J’ai juste envie de me retourner de bord et de partir. Je me sens plus à l’aise là-bas. Et c’est ce genre de choses dont personne parle vraiment encore aujourd’hui, je pense.
On dit d’habitude que la mission passe en premier et soi en dernier. En d’autres termes, la mission, les troupes, le matériel et ce pour quoi il reste jamais de temps : soi-même. C’est une excellente façon de planifier une patrouille. Je recommande de faire ça si vous chargez un avion. Pas une bonne façon de diriger une famille. Ça marche pas. C’est pas non plus une bonne façon de prendre en main ses soins de santé.
Supposons que tu vas chez un médecin où la dernière chose que tu fais, c’est de t’occuper de toi. Eh ben, la première chose, la seule chose qu’il est là pour faire, c’est de s’occuper de toi, mais tes tripes te disent le contraire. Ça va à l’encontre de ce que t’as appris à faire, de la façon dont tu t’organises. Je pense que les soldats doivent réapprendre à se mettre en tête de leur propre liste.
Laryssa
Oui, et ça nous amène à L’esprit au-delà de la mission. Je pense qu’il y a plusieurs raisons différentes pour lesquelles on a choisi ce titre de balado. Comme tu le dis Brian, peut-être que les militaires, les soldats ont besoin de se placer dans un autre cadre, de changer leur façon de penser et de se mettre dans un état d’esprit qui place l’esprit au-delà de la mission.
Je pense que ça renvoie aussi plus concrètement à l’état d’esprit d’un soldat après la mission, une fois qu’il a enlevé son uniforme. Et je pense que ça peut s’appliquer aux membres des familles aussi. J’ai été une femme de militaire pendant bien des années. Donc, où est-ce que ça me laisse maintenant?
En tant que membre de la famille d’un vétéran, l’appartenance au monde militaire fait bien partie de mon identité, mais aussi comme je l’ai dit de la santé mentale. Dans quel état d’esprit suis-je après cette mission? Après la retraite de mon conjoint? Et il y a des incidences sur les membres de la famille. Je subis les contrecoups de son service. De son trouble.
Et donc quel est mon état d’esprit au-delà de la mission aussi?
Brian
Je crois que ça montre aussi ce qu’on veut faire avec ce balado et aussi ce dont il sera pas question. Il y a beaucoup de balados pour les vétérans. On va pas leur faire la concurrence pour savoir par exemple « est-ce que mes histoires sont plus cool que les tiennes? ». Premièrement, certaines des histoires sont pas si cool que ça. La guerre, c’est des fois drôle. C’est aussi très plate, puis ensuite c’est palpitant. Et tout ça est vrai en même temps, mais je veux pas vraiment faire un autre balado qui présente juste des histoires individuelles.
Mais comment trouver notre sens? Comment savoir ce que je vais faire pour que ma quarantaine se résume pas à parler des choses géniales que j’ai faites pendant ma trentaine? C’est ça l’esprit au-delà de la mission pour moi. Je veux que cette décennie soit consacrée aux nouvelles choses que je fais maintenant. Je veux pas que ce soit une société de réminiscence professionnelle où l’on fait juste revenir et parler de ce qu’on faisait avant.
Et pour arriver à profiter de ma quarantaine, il faut que je mette de côté certaines choses de ma trentaine.
Laryssa
Comment tu fais ça? C’est exactement ça. Et oui, je pense Brian qu’il y a autre chose qu’on trouve très excitant avec ce balado et qu’on a pas encore dit, c’est qu’on veut aborder les sujets et les questions des deux points de vue. On va entendre des vétérans, on va entendre des spécialistes sur les questions touchant les vétérans et la santé mentale. On va entendre des membres des familles et on va entendre des spécialistes sur les questions touchant les familles de vétérans. Moi, c’est une des choses qui m’enthousiasme le plus.
On a eu des conversations fantastiques toi et moi vu qu’on travaille ensemble et on a vraiment déterminé que c’est quelque chose qui touche toute l’unité.
Brian
Une des choses que je t’ai déjà mentionnées, c’est ce que j’appelle le concept de l’Annexe F. Je me souviens qu’on a reçu un message durant une formation préalable à un déploiement et ça portait sur toutes les choses dont il faut s’occuper, tu sais? Il faut que tu prépares ça, on avait ce truc qui s’appelait une feuille du GAD, un Groupe d’aide au départ. Et c’était une liste de choses à faire qui était liée à la mission. Se faire vacciner, organiser son passeport. En passant, c’est assez drôle quand 800 gars vont tous faire renouveler leur passeport en même temps et que le bataillon a une chemise hawaïenne officielle pour tout le monde. Huit cents gars qui portent la même chemise hawaïenne pour aller faire faire leur passeport, c’est plus que drôle. Mais tout ça se passait et puis il y avait les autres choses, et l’Annexe F de ce message, c’était la famille. Ce sera un échec à l’Institut si on continue à traiter les familles comme l’Annexe F. Comme si la seule chose à laquelle tu servais c’était d’aider à rendre ton mari meilleur. C’est comme, où es-tu? Où est Laryssa en tant que personne? Je pourrai jamais promettre aux gens qu’on va être parfaits, qu’on va s’en sortir brillamment à tous coups. Non, on va faire des erreurs, mais on traitera pas les membres de la famille comme l’Annexe F.
Laryssa
J’espère qu’une personne de la famille d’un vétéran quelque part tombera sur le balado et sentira qu’elle est pas seule. J’espère qu’elle sentira que quelqu’un la comprend. J’espère qu’elle trouvera un peu d’espoir dans le fait qu’il est possible de vivre une personne souffrant d’un TSPT, d’anxiété, de dépression liée au service militaire, et que la relation peut être bonne.
Et que les gens finissent ce balado avec plus d’informations, en sachant où ils peuvent trouver de l’aide et qu’il existe des ressources à leur disposition. Ça, ce sera un critère de réussite pour moi. Et j’espère que des gens nous diront : « C’était un bon balado, un bon épisode, continuez comme ça! Et pourriez-vous parler de ça la prochaine fois? » J’ai hâte d’entendre ce qu’en pense la communauté. Donc, on pourrait penser qu’on a réussi cet épisode, mais c’est pas un critère de réussite pour moi. Le critère de réussite, c’est quand un membre de ma communauté des familles de vétérans me dira qu’on a bien fait les choses. Brian, c’est quoi ta conception du succès pour le balado L’esprit au-delà de la mission?
Brian
C’est un mélange de sincérité et d’espoir. Ils ont besoin de voir qu’on parle des vraies choses qui se passent. C’est pas de la poudre aux yeux et, pour être franc, tout est pas rose, hein? Ce sont pas des sentiments agréables, mais lorsque t’es sincère, tant pour parler de ces sentiments que de ce qui les provoque au départ, ce qui les a amenés, tu vas chercher les gens comme ça.
Et pourtant, qu’est-ce qu’on fait à ce sujet? Comment est-ce qu’on s’améliore? Comment est-ce qu’on continue à avancer? Et je veux que les gens trouvent de l’espoir. Je veux aussi qu’ils sentent qu’il y a vraiment, vraiment de l’espoir que les choses s’améliorent. Je fais pas semblant de sourire et je prétends pas profiter de ma quarantaine. En fait, j’ai vraiment du plaisir depuis quelques années. Avec un trouble, et pas sans mon trouble. Je l’ai pas rangé quelque part. J’ai aucune idée comment le ranger quelque part d’ailleurs. Mais je sais que, pour moi du moins, il peut y avoir des sourires avec un TSPT. On peut avoir du plaisir. Il y a moyen de sortir de ça. Et c’est ça, je pense, une combinaison de sincérité à propos de ce qui s’est passé et d’espoir par rapport à la façon dont on peut aller de l’avant.
Laryssa
Wow, merci Brian.