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Des plaques d’identité et une paire de bas de laine : sortir de l’ombre de l’invalidité

Seule sur la dernière marche de la garnison Jericho, à Vancouver, après avoir remis ce qu’il restait de mon équipement militaire à la suite d’une libération honorable, j’ai baissé les yeux vers mes mains : dans l’une, des plaques d’identité usées, dans l’autre, une paire de bas de laine. « Vous pouvez les garder, a déclaré le caporal d’approvisionnement. Je ne peux pas les redistribuer. »

Alors que je regardais droit devant moi, fixant les différentes couches du paysage, de la 4e Avenue aux grands conifères du parc Locarno Beach, jusqu’aux sommets des montagnes du North Shore où tombait une douce première neige, une seule pensée me traversait l’esprit : « Et maintenant, je fais quoi? »

Malheureusement, j’en étais arrivée là. Après quatorze années de service ininterrompu dans la Première réserve des Forces armées canadiennes (FAC) – dont une performance de premier plan à un cours de formation national m’ayant valu une lettre de félicitations du commandant brigadier-général P. B. Kilby de la région du Pacifique – à un an de recevoir la Décoration des Forces canadiennes (CD) et sur le point d’être promue adjudante, tout ce que j’entendais, c’était les paroles du médecin militaire, huit ans plus tôt, lors d’une consultation pour une blessure subie au cours de ma première année de service pendant un entraînement de combat sur le terrain : « Vous avez deux choix : je peux vous accorder une libération pour raisons médicales, ou vous vous taisez et vous continuez à servir. » À présent une soldate déchue, avec des chaussettes ne pouvant même pas être redistribuées, brisée physiquement, financièrement et émotionnellement, je me sentais abandonnée, face à un avenir sans espoir.

Le service dans les années 1980 et 1990 n’était pas facile. L’équipement provenait des surplus de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée, soit des casques en acier, des armes de service de 12 livres, des sacs à dos de 60 livres et des bottes de combat redistribuées, conçues pour un seul type de corps. Pourtant, il y avait une fierté à servir, à porter le drapeau canadien sur nos épaules et à partager une camaraderie que seules pouvaient comprendre les personnes ayant porté leurs bottes dans la boue, la gadoue et les bourbiers, sous la neige et la pluie, les bas de laine trempés pendant des jours.

Les répercussions du service militaire échappaient aussi bien à l’armée qu’aux professionnels de la santé et aux employeurs potentiels. « Vous devriez retirer votre service militaire de votre curriculum vitæ », m’a suggéré un recruteur. « Cela ne fait aucune différence quant à vos perspectives d’emploi. » Cette remarque contrastait vivement avec les paroles prononcées par un adjudant-chef lors d’un cours de formation des sous-officiers supérieurs : « Une fois que vous portez l’uniforme, vous ne faites plus partie du grand public. Vous avez un devoir de diligence et de service, ne l’oubliez jamais. » Ses paroles m’ont marquée à jamais.

À ces difficultés après le service s’ajoutaient les blessures physiques, elles aussi mal comprises, surtout les blessures cumulatives et les préjudices indirects, qui mettaient des années, voire des décennies, à se manifester. En moins d’une minute, ma blessure physique initiale a tracé la trajectoire d’une vie marquée par l’invalidité permanente, l’incapacité, la douleur, la souffrance et la perte. Ne réalisant pas l’ampleur des dommages que le service prolongé infligeait, et sans autre option, j’ai compris avant ma libération que je ne pouvais plus respecter les normes de service dont j’étais si fière – je devenais un poids et risquais d’aggraver encore mes blessures. Au moment de ma libération, il n’y avait ni services ni soutien, aucun accès à des traitements médicaux ni à une aide financière – j’étais essentiellement livrée à moi-même, à devoir naviguer dans le monde civil sans rames ni gilet de sauvetage. Je me suis rendue compte que j’avais deux choix : couler ou me maintenir à flot.

Dire que le passage du statut de militaire à celui de vétérane, dans les premières années, a été simple, facile ou positif serait un euphémisme. La lutte pour survivre semblait parfois insurmontable. La progression de mon invalidité a marqué les heures les plus sombres de ma vie – accablantes, étouffantes.

Au cours des 32 dernières années, les hauts et les bas ont souvent ressemblé aux pentes les plus raides et les plus cahoteuses que les véhicules franchissaient à l’entraînement – mais les freins n’ont jamais lâché dans les descentes, pas plus que le six roues motrices : en bas régime, lentement mais sûrement, les camions finissaient toujours par atteindre le sommet. Même dans les jours les plus sombres, tout ce qu’il faut, c’est une infime lueur d’espoir pour sortir de l’ombre du désespoir et de l’invalidité. J’ai finalement commencé à travailler avec un gestionnaire de cas respecté et compétent d’Anciens Combattants Canada et surmonté les obstacles un à un sous le signe de l’équité, de la positivité, de la confiance et de l’espoir. Et aujourd’hui, je suis épaulée par un agent des services aux vétérans avisé et bienveillant.

Les bas de laine usés depuis longtemps et les plaques d’identité me rappellent qu’avec de la persévérance, de la volonté et une ténacité inébranlable – et grâce à l’évolution et à l’amélioration des services et des prestations d’Anciens Combattants Canada, ainsi qu’au soutien d’autres organismes, collectivités, intervenants et partenaires – il est possible de sortir de l’ombre pour retrouver le bien-être et une meilleure qualité de vie.

Les mots d’un éleveur albertain – âgé de 96 ans et labourant toujours avec un attelage de six chevaux – m’ont profondément marquée, bien qu’il m’ait fallu des décennies pour en saisir la portée. « Sans passé, il n’y a pas d’avenir. »

Regarder en arrière et tirer des leçons du passé, évaluer et mettre en pratique ce qu’on a appris, c’est reconnaître la valeur du service militaire comme un ensemble de compétences, de connaissances et d’expériences transférables, comprendre que l’équipement conçu pour un seul type de corps peut avoir des effets néfastes, particulièrement sur la physionomie des femmes, et admettre qu’il est impossible de dissocier les traumatismes ou les blessures physiques et psychologiques – les deux étant inextricablement liés. Cela signifie reconnaître que les besoins des vétérans et de leurs familles évolueront sans cesse, et continuer d’apprendre et de respecter ce qu’implique le fait d’être soldat des FAC, membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ou un proche qui les soutient.

Nous avons donc le devoir d’améliorer les jours à venir pour les personnes qui ont servi, qui servent et qui serviront – même s’il ne s’agit que d’une lueur de confiance, d’un pas, d’un mot, d’une demande remplie ou d’une nouvelle paire de bas de laine. Ainsi, nous pouvons effacer une ombre à la fois pour laisser place à la lumière.

— Andrea

Sergente (à la retraite) Andrea Newton
R935 – Conductrice de matériel mobile de soutien (conductrice MMS), Bataillon des services

Ressources additionnelles

Réseau de transition des vétérans : Cet organisme de bienfaisance canadien offre gratuitement des programmes de counseling de groupe fondés sur des données probantes pour favoriser la transition harmonieuse des vétérans des FAC et de la GRC vers la vie après le service. Ses services sont axés sur le soutien en santé mentale, l’établissement de liens avec des pairs et l’apaisement des souffrances liées au service.

Réseau des services aux vétérans de la Légion royale canadienne : Les officiers d’entraide des directions de la Légion offrent gratuitement leur aide aux membres en service et à la retraite des FAC et de la GRC, ainsi qu’aux membres de leur famille admissibles, pour les aider à accéder aux prestations d’invalidité, aux programmes et aux services d’ACC.

Sans limites : Un programme du Groupe de transition des FAC qui contribue au rétablissement des membres malades ou blessés des FAC et des vétérans en leur offrant des occasions et des ressources par l’entremise d’activités sportives, récréatives et créatives.

L’esprit au-delà de la mission, épisode 13 – « Perdre la vocation de sa vie » avec Mark et Donna Campbell : Écoutez un épisode de balado mettant en vedette le major (à la retraite) Mark Campbell et Donna Campbell, qui racontent l’expérience de Mark après la perte de ses deux jambes pendant son service en Afghanistan, les répercussions sur sa carrière militaire, sur sa famille et sur sa santé mentale, ainsi que le poids d’avoir perdu sa vocation en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. (En anglais seulement)

Comprendre la douleur chronique : Conçue pour les vétérans et leur famille, cette page Web du Centre d’excellence sur la douleur chronique pour les vétérans canadiens fournit de l’information sur la vie avec de la douleur chronique, y compris un aperçu des méthodes et des modalités de traitement, des ressources d’autoapprentissage et une base de données de partenaires de recherche.

Soutien social aux blessures de stress opérationnel (SSBSO) : Un réseau national de soutien par les pairs destiné aux membres des FAC, aux vétérans et à leur famille aux prises avec une blessure de stress opérationnel.

Soutien par les pairs : Découvrez comment les expériences partagées peuvent susciter la compréhension et créer des liens entre les personnes, et parcourez notre répertoire des programmes de soutien par les pairs.

Vous êtes un vétéran ou un membre de sa famille et vous avez une histoire à raconter? Prenez contact avec nous et vous pourriez figurer sur ce blog!

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