Les mains de la raison d’être : façonner l’identité, renouveler la raison d’être et rapprocher les mondes

Travailler de ses mains est une activité très gratifiante et utile dont la valeur est sous-estimée pour le maintien du bien-être.

Je suis la conjointe d’un vétéran blessé.

J’ai vécu une période de frustration totale et de détresse due à la colère, au chagrin et à la solitude. Pendant cette période, l’artisanat, le travail de l’argile, m’a apporté du réconfort. J’avais un but, un sens et une identité qui n’étaient pas liés à tout ce qui était fracturé et défaillant. Dans l’atelier d’argile, j’étais une version supérieure de moi-même, celle qui excellait, et non celle qui était adaptée aux circonstances. Les activités créatives ne sont pas seulement une question de but, de sens et d’identité – leur richesse réside dans l’autonomie et la capacité, qui brillent à travers la marque de l’artisan. J’ai émergé de cette période sombre de ma vie et j’en paie le prix grâce à mon véritable objectif : partager l’espoir, défendre l’artisanat par la recherche et donner accès à cet art autrement élitiste par l’intermédiaire de Cerberus Pottery (Poterie Cerbère).

Le projet de casque Cerbère est le projet phare de Cerberus Pottery. Il s’agit de créer des objets fonctionnels en utilisant des casques « inutilisables » comme moules de drapage. Les formes artistiques qui en résultent sont des reliques tactiles des significations de l’expérience avec un artiste dans un studio d’art. En tant que formes fonctionnelles, ces récipients sont utilisés de multiples façons, par exemple comme coupes à fruits, récipients à médicaments, ustensiles de service pour la soupe et pots à plantes. Destinés à la destruction, les casques retirés du service peuvent au contraire partager un objectif alternatif et renouvelé qui perpétue l’héritage de la protection des esprits.

Cerbère est une bête à trois têtes décrite dans la mythologie grecque qui était le gardien du monde souterrain d’Hadès. Les âmes des morts étaient enfermées à l’intérieur et les vivants n’avaient pas le droit d’y entrer. Pour son douzième et dernier travail, Hercule devait maîtriser Cerbère et l’amener au roi Eurystée dans le cadre de sa pénitence. Comme chez Hadès, cela était autorisé avec un « piège ». Hercule n’avait pas le droit d’utiliser d’autres armes que son esprit et ses mains.

D’une certaine manière, il existe des liens avec le service militaire, au cours duquel les gens sont formés et habitués à travailler avec leurs mains. Les métiers sont bien nommés et chacun d’entre eux utilise des moyens spécifiques en mettant en œuvre la résolution de problèmes et la créativité dans leur essence. L’utilisation de ces compétences familières peut faciliter la transition entre le mode de vie militaire et le mode de vie civil, en offrant la possibilité de retrouver un but et une identité tout en honorant l’histoire de son service. De même, l’artisanat se présente comme un moyen culturellement approprié d’intégrer les éléments des métiers dans la transition par le biais de la création de produits visuels.

Alors que je racontais l’histoire d’Hercule à travers le projet de casque Cerbère, quelque chose ne tournait pas rond. Le fait d’offrir des projets de studio exclusivement aux vétérans ne faisait qu’intensifier ma dissonance cognitive. Faire face à la familiarité des besoins nécessiterait une réflexion personnelle, un face-à-face avec les démons que Cerbère gardait bien rangés. Il était temps d’impliquer les conjoints dans un projet qui nécessitait une réconciliation avec soi-même et une approche créative distincte.

Je suis Méduse, la personnification de la rage féminine : sexualisée, diabolisée, aimée et crainte. Je suis la gardienne des cadeaux qui transforment les êtres vivants en pierre. Un plateau d’argent – et non un casque – remis, et non choisi, représentant symboliquement une fin éventuelle. Pourtant, sa forme, sa couleur et son caractère sont laissés au choix de celui qui le fabrique. Si le projet de casque Cerbère est le porte-drapeau, le service d’argent de Méduse représente un chant du cygne presque antithétique et personnel.

L’art est un langage non verbal, une langue vernaculaire de la condition humaine qui rend visible l’invisible. Parmi les vertus de l’art et de l’artisanat, ses processus et ses produits sont humanisants. La culture de l’empathie permet de rapprocher nos différentes expériences. Mais pour le créateur, ces vertus peuvent être encore plus grandes. Les données visuelles fournies par les arts sont brutes et inaltérées, ce qui permet d’avoir un aperçu unique et rare des significations que l’on peut trouver dans les activités d’actualisation humaine et d’eudémonie (l’état de bonheur, de bien-être et de réussite idéaux).

— Lynette A. Peters
Candidate au doctorat, Faculté de santé, Université de Dalhousie