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DESCRIPTION DE L’ÉPISODE

Que signifie pleurer la perte d’une personne qui est encore vivante?

Pouvons-nous pleurer la vie que nous pensions avoir tout en faisant preuve de reconnaissance à l’égard de celle que nous avons?

De nombreux membres de la famille d’un vétéran peuvent vivre un deuil, même s’ils n’ont pas perdu un être cher. Nous pouvons pleurer profondément la personne que cet être cher était auparavant, la personne que nous étions ou la vie que nous pensions avoir. En ne reconnaissant pas ce deuil et cette perte, nous pouvons nous sentir isolés et seuls.

Polly Maher, responsable de l’expertise vécue par les familles à l’Institut Atlas, se joint à Brian et à Laryssa pour expliquer comment elle a accepté ses sentiments de deuil et de perte. Elle exprime ses réflexions sur la façon dont ses relations se sont développées et renforcées après qu’elle a traité ces émotions complexes.

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L’ESPRIT AU-DELÀ DE LA MISSION, ÉPISODE 5 – « PLEURER LA PERTE D’UNE PERSONNE VIVANTE»

Laryssa

L’une des choses les plus difficiles que vous aurez à faire est de pleurer la perte d’une personne qui est encore vivante.

Notre connaissance du deuil et de la perte peut être très littérale jusqu’à ce que nous en fassions l’expérience. Nous ne nous rendons pas vraiment compte qu’il est possible de vivre ces sentiments tout au long de notre vie dans de nombreuses facettes de notre vie. Nous pouvons nous ennuyer de la personne que cet être cher était auparavant ou même de la personne que nous étions. En ne reconnaissant pas ce deuil et cette perte, nous pouvons nous sentir isolés et seuls.

Brian

Nous ne parlons pas de funérailles n’est-ce pas?

Laryssa

Non.

Brian

Mais dans quelle mesure cela tient-il simplement au fait que nous vieillissons? J’ai rencontré un de mes amis il y a quelque temps. Lorsque nous nous sommes enrôlés dans l’armée, nous sortions dans les bars, nous faisions des choses de jeunes. Maintenant, il parle de ses confitures maison…

Nous n’avons plus 19 ou 20 ans, nous devrions plutôt faire des choses qu’une personne de 40 ans fait. N’est-ce pas simplement le fait que nous vieillissons ou est-ce plutôt cette transformation vers une personne totalement différente?

Laryssa

Eh bien, je crois qu’une partie de ce dont nous parlons aujourd’hui est en quelque sorte la relation entre le deuil et le diagnostic de santé mentale et la façon dont cela touche les membres de la famille.

Polly Mahar se joint à nous encore aujourd’hui. Polly, voulez-vous vous présenter brièvement?

Polly

Bien sûr. Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui avec deux belles personnes!

Brian

Je suis beau?

Polly

Oui beau. La barbe est magnifique. J’adore. Alors oui, je me présente, Polly Mahar, je suis la responsable…

Brian

Allez… C’est votre chance…

Polly

Non, non…

Brian

Sérieusement Polly? (rires)

Polly

Je suis responsable de l’expérience vécue par les familles à l’Institut Atlas pour les vétérans et leur famille depuis novembre dernier. J’ai travaillé auparavant dans le domaine du soutien par les pairs pendant 10 ans. Et si vous deviez me demander : « Qui est Polly? » Je m’invente encore, mais pour l’instant, je veux vraiment essayer d’améliorer la vie des vétérans et de leur famille.

La route avec un être cher atteint du TSPT est difficile, mais lorsqu’il y a une communauté pour nous appuyer, c’est beaucoup plus facile. Je suis donc très heureuse d’être ici ce matin avec ma petite communauté tissée serré pour parler de ce sujet. Parce que le sujet du deuil et de la perte m’a vraiment aidée dans mon cheminement pour composer avec le TSPT de mon conjoint.

Brian

Pour ma part, une des choses qui me manque de mon ancien moi… Lorsque les gens avaient une idée, voulaient faire quelque chose ou m’invitaient…. la seule chose qui me préoccupait était de savoir si je voulais vraiment le faire.

« Tu veux aller au champ de tir? » Est-ce que j’ai envie de le faire? Et si oui, la seule chose qui sortait de ma bouche était : « Oui, allons-y. Trouvons un moyen de le faire. » Ce n’est plus comme cela maintenant. Ce n’est plus le cas depuis un certain temps. Voici maintenant le processus par lequel je passe : veux-tu venir pour un barbecue? Sans aucun doute, oui. Mais je me demande qui sera là, comment nous y arriverons, comment je pourrai partir quand les choses tourneront mal. Et la liste est longue. Donc, la nouvelle version de moi, bien sûr, je suis plus instruit, plus expérimenté, probablement meilleur dans beaucoup de choses. Mais je dis non à presque tout.

Laryssa

Vous parlez de la nouvelle version de vous-même. Polly et moi avons toutes deux offert du soutien à plusieurs familles dans le cadre de nombreuses conversations. Je suis certaine Polly que vous vous souvenez des commentaires de nombreux membres de la famille qui nous disaient : « L’homme (ou la femme) que j’ai épousé me manque. »

Alors que vous vivez cela, Brian, cette nouvelle identité, les membres de votre famille le vivent aussi et cela nous amène à ce processus de deuil. Quel est le lien entre le deuil et le TSPT?

Polly

Eh bien, pour moi, cela s’est concrétisé vers 2001. Mon conjoint avait reçu son diagnostic quelques années auparavant. En fait – encore une fois, c’est un autre élément pour lequel je suis reconnaissante maintenant que c’était si tôt après son diagnostic, parce que je me demande si c’est arrivé ou si j’y serais arrivée. Mais une travailleuse sociale m’a regardée et m’a dit : « Parlons du deuil; vous devez acheter le livre intitulé « The Grief Recovery » et nous allons examiner les détails… »

Je là à la regarder et ce qui est littéralement sorti de ma bouche, c’est : « Personne n’est mort. » Vous comprenez? J’associais le deuil à la perte de vie. Je n’avais jamais associé le deuil à quoi que ce soit d’autre. Et pourtant je traversais toutes ces étapes, le déni, la colère… je n’avais pas encore atteint l’acceptation n’est-ce pas?

Donc pour moi, ce qu’elle a fait, c’est qu’elle a simplement élargi cette lentille quant à ce qu’implique le deuil. Elle m’a également fait comprendre que c’est bien l’homme que j’ai épousé. C’est cependant une version différente de cet homme. Et cet amour et ce lien que nous avons sont toujours là. Je devrai peut-être examiner la situation de plus près et son comportement sera certainement différent.

Laryssa

Si je puis me permettre, pouvez-vous me parler de cette version différente? Donc, si quelqu’un écoute et se demande ce que cela a à voir avec tout cela, quelles étaient les choses qui vous manquaient ou quelles étaient les différences?

Polly

J’ai dû faire mon deuil. Nous avions 21 ans quand nous nous sommes mariés. J’avais 22 ans quand j’ai eu mon premier enfant. À 25 ans, j’ai eu mon deuxième enfant. Il quittait déjà l’armée à ce moment-là. Il avait servi en Bosnie… Nous avions prévu un bel avenir. Il allait être policier, pompier ou agent correctionnel.

Brian

Ça me dit quelque chose.

Polly

Oui. Tout d’abord, cela n’a pas fonctionné. Et il y avait des raisons. C’était dans les années 1990, il y avait des compressions budgétaires et une foule de différentes autres choses. Vous allez donc au plan B. Mais en réalité, vous êtes toujours en deuil du plan A. Vous ne pouvez donc pas acheter votre première maison parce que vous n’avez pas encore de base solide. Mais quand vous grandissez, vous avez cette idée de la maison parfaite. Il va être ce papa qui lance la balle aux enfants et qui fait toutes sortes de choses différentes. La lentille s’est rétrécie progressivement parce qu’il y avait des choses qu’il ne pouvait pas faire en raison du TSPT et des symptômes…

Donc, Brian, comme vous l’avez mentionné, vous n’assistiez pas aux réunions de famille et autres activités? Il n’assistait pas aux activités familiales, il n’allait pas aux matchs de hockey ou de baseball des enfants… S’il y allait, il lui fallait toute son énergie pour le faire. Et puis nous avons dû composer avec la colère et le reste.

Il m’a donc fallu faire le deuil de ma vision de notre vie et accepter ce qu’elle était dans les circonstances.

Laryssa

Et je pense que les règles changent aussi. Je me souviens d’avoir été une jeune mère avec deux ou trois enfants et j’avais cette vision de sorties familiales heureuses… Parfois mon conjoint avait des symptômes et ne pouvait pas y participer… Il fallait donc que je change mon fusil d’épaule assez rapidement et que je décide si j’y allais toujours avec les enfants…. Oui… J’étais très fâchée, pour plusieurs raisons. Ce n’est que quelques années plus tard que certaines personnes m’ont présenté le concept de deuil.

Et quand j’ai regardé – il y a différents modèles de processus de deuil, mais si vous regardez Kübler-Ross par exemple, il y a différentes étapes et la colère est l’une d’elles. Quand j’ai pris la peine de regarder toutes les pièces du casse-tête, j’ai constaté que c’est possiblement ce qui se passe pour moi. Cela m’a vraiment aidée à accepter qu’il s’agissait de quelque chose dont je devais faire mon deuil et que c’était correct de le faire.

Pour être honnête, cependant, je ne suis pas certaine si c’est quelque chose dont j’ai parlé directement à mon conjoint… c’était quelque chose que je gardais pour moi parce que j’essayais d’apprivoiser tout cela.

Polly

Oui. Je pense que pour moi, parce que je l’ai fait avec ma thérapeute, la question n’a pas été soulevée… Je ne pense pas que Sean était prêt à entendre que je pleure sa perte alors qu’il est devant moi. Encore une fois, il s’agit de comprendre où en est votre conjoint. Mais nous avons maintenant ces conversations. Et il se rend compte que parce qu’il avait ces paramètres d’hypervigilance, « Où est-ce que je vais? Qu’est-ce que je fais? » ou que sa dépression était vraiment profonde, il a raté de belles activités familiales et autres, mais nous ne pouvons pas revenir en arrière, n’est-ce pas? Je suis certaine que si je lui parle, il doit lui aussi faire le deuil de la personne qu’il était…

Mais pour moi, ça été un véritable point tournant de pouvoir accepter la situation… c’est notre nouvelle normalité. Et cela va toujours évoluer. Je pense que c’est l’autre pièce du casse-tête. Cela m’a permis de mieux gérer mes attentes. Et cela a fonctionné pour moi.

Brian

Je pense que pour plusieurs d’entre nous, si vous regardez le travail que nous faisons, quand vous êtes en service, peu importe, c’est probablement la meilleure version de vous-même, ou du moins ce que vous envisagez… Je compare cela au vedettariat. Non, nous ne sommes pas des vedettes, mais c’est Brian à son meilleur. C’est la meilleure version de moi-même. C’est là que je me sentais le plus chez moi, et je regarde ce que j’ai pu faire, puis je compare cela à un type qui ne peut pas faire d’achats. Par exemple, comment puis-je commander 34 personnes dans un pays étranger et m’en tirer très bien, mais que je ne suis pas capable d’aller chez Costco. Comment ça?

Et il y a toutes sortes de petites choses. Un événement très important dans notre famille… Je dois emmener mon enfant à son premier concert. C’est le père qui doit emmener son enfant à son premier spectacle de rock. C’est la façon de faire — c’est la règle. C’est ainsi n’est-ce pas? Mais d’assister à ce concert… Ça été un processus de six semaines. Et ce n’est pas moi qui étire. En fait, je suis en train de résumer la situation, et une bonne partie du temps passé était consacrée à chercher un moyen de ne pas y aller. Je m’ennuie de ce gars qui pouvait assister à deux concerts en une fin de semaine. Ce n’était pas moi. Oui, c’est en partie parce que je suis plus âgé. Mais il y a aussi l’évaluation de la menace…

Polly

Oui, exactement. C’est ce que j’allais dire, Brian. Vous êtes-vous demandé où vous alliez vous asseoir? Où sont vos places, ce genre de choses? Parce que pour ma part, je sais que c’est quelque chose que nous prenons en considération. Sean veut faire beaucoup de choses, alors comment pouvons-nous y arriver?

Brian

Oui. J’entre dans un immeuble en songeant uniquement à en ressortir. Je réserve mes places en ayant en tête le moment du départ! Mon enfant veut voir la scène et quant à moi, je choisi la section 112 au General Motors Place parce que je sais que je peux sortir rapidement si besoin. Le SkyTrain est tout à côté. Je ne suis pas là pour m’amuser… Je pense stratégie plutôt… Cette année, j’ai refusé d’assister à trois matchs de hockey. Le seul match auquel j’ai assisté est celui où l’armée avait reçu un grand nombre de billets, tout comme les vétérans. Je savais que je serais entouré d’environ 200 personnes qui pensent comme moi, qui agissent comme moi et je surtout connais la plupart d’entre elles.

C’est le seul match auquel j’ai assisté… Tous savent que je veux assister à un match de hockey.

Laryssa

Il y a tant à dire là-dessus, parce que je suis certaine que pour vous, vous avez eu l’impression que vous aviez peut-être laissé tomber votre enfant ou vous-même car vous pouvez vous dire « J’avais l’habitude de commander 34 hommes et femmes. » Il y a donc cette perte d’identité. Mais c’est drôle que nous parlions aussi d’événements et de choses du genre, que nous pleurions cet aspect. Je vous en ai déjà parlé à tous les deux, et je sais que cela peut sembler trivial, mais pour une raison ou une autre, c’est vraiment important pour moi — la fête du Canada est l’une de mes fêtes favorites de l’année, et je suppose que je dois faire mon deuil, puis accepter que je n’assisterai pas aux cérémonies avec mon conjoint. Je vais simplement m’en abstenir. Je dois donc élaborer un plan et y aller seule ou avec des amis. Il va me reconduire, il revient me chercher plus tard, quelque chose comme ça. Mais il est intéressant de constater que ce sont parfois ces événements ou la façon dont nous concevons la vie que nous devons pleurer, puis nous devons évoluer ou nous adapter.

Brian

Oui. Nous parlions tout à l’heure des familles, mais en ce qui concerne le deuil, oui, je m’ennuie du gars n’avait qu’à se poser la question si ou ou non, ou encore si c’était possible ou non. Vous parlez de feux d’artifice, c’est l’une des choses auxquelles les gens pensent lorsqu’ils parlent de trouble de stress post-traumatique. On entend toutes sortes de choses sur le fait qu’il ne faut pas faire de feux d’artifice et que les feux d’artifice dérangent les vétérans. Et pour être juste, certains d’entre nous, pour certaines personnes, non.

Mais c’est l’odeur. C’est le bruit. C’est la lumière. Mais c’est aussi le fait que cela nous rappelle les tirs éclairants, n’est-ce pas? Il ne s’agit pas seulement d’un feu d’artifice, mais d’une chose que nous faisions lorsque nous ne savions pas ce qui se passait, ou lorsque nous savions que quelque chose se passait et que nous voulions savoir de quoi il s’agissait… Autrement dit, la menace. Vous comprenez? Et donc, quand des dizaines de milliers de personnes vont se rassembler à English Bay à Vancouver pour regarder la Symphony of Fire, un concours de feux d’artifice, je n’y serai pas pour ma part, absolument pas… Je n’y retournerai jamais.

Il n’y a pas grand-chose que je peux vous dire avec certitude que je ne ferai jamais au grand jamais. Hé, je travaille dans le domaine de la santé! Comment se fait-il que cela se soit produit? (rires)

Il y a cinq ans, je n’aurais jamais pensé que je serais dans un état comme celui dans lequel je suis actuellement. Mais je peux vous dire que je n’irai plus jamais à un feu d’artifice. Pour moi, ce n’est pas du bruit. Qu’essayons-nous de trouver? Qu’y a-t-il là-bas? Et oui, le gars qui n’a jamais eu à s’inquiéter de ces choses me manque.

Polly

Et je pense qu’en tant que membre de la famille, je m’ennuie un peu de cette insouciance… De cette spontanéité… Parce que, encore une fois, comme vous le dites, Brian, vous évaluez la menace ou quoi que ce soit d’autre, mais pour notre part, nous évaluons ce qui va servir d’élément déclencheur, et ensuite l’humeur du vétéran en vous. Encore une fois, nous faisons preuve d’une hypervigilance, ce qui est épuisant.

Brian

Le but d’un voyage n’est-il pas de vivre quelque chose de nouveau? Mais savez-vous ce que je ressens quand quelqu’un dit que nous allons essayer quelque chose de nouveau? Euh, non!

Laryssa

Et spontanément! J’en suis certaine (rires).

Brian

Nous allons aller au même restaurant où nous allons chaque fois. Et probablement à la même table… Je ne veux pas de spontanéité. Je veux de la prévisibilité maintenant. Pour toujours.

Polly

Et c’est difficile. Et quand vous parlez de ces expériences de vie, je me souviens de quelques événements qui témoignent du deuil, par exemple la remise des diplômes de 8e année de mon fils….. Sean a assisté à la cérémonie, mon fils a remporté un prix et me voilà qui pleure…. Mais…. Dépêchons-nous, il faut s’en aller, il y a plein de gens autour de nous…. Et pour mon autre fils, il n’est pas allé à sa graduation. Il n’était pas en forme, alors c’est difficile.

Je pense… en fait je suis certaine que c’était difficile pour lui, mais pour moi, en tant que mère, je ne peux que regarder… et les enfants peuvent lui dire : « C’est OK, papa. Je comprends, » mais il y a…

Laryssa

C’est un processus pour eux également.

Polly

C’est un processus.

Brian

Nous avons vécu beaucoup de… Les enfants sont aux prises avec le stress… Pour moi, l’enfance a été une période désagréable…. Je n’aime pas y repenser… « L’école secondaire va vous manquer! » Non! Non, pas du tout. Pour ma part, c’est certain que non! Mais je me souviens à quel point la vie était difficile à l’adolescence. Et mes enfants, ils ont tous des moments où ils vivent quelque chose et ils peuvent m’en parler, mais généralement ils ne le font pas, du moins pas tout de suite. Parce que dans leur esprit, tout ce qu’ils font pourrait empirer la journée de papa, n’est-ce pas?

Ils protègent donc papa en n’ayant pas de problème, mais ils ont un problème. Vous comprenez? Et pour moi, c’est… Je veux dire, nous parlons de deuil, mais c’est là qu’entre en jeu la culpabilité.

Polly

 C’est un tout autre sujet. C’est certain, oui.

Laryssa

J’aimerais aussi parler de la perte de notre communauté. Hum…Je ne sais pas si je veux utiliser le mot « cliché, mais il y a une camaraderie entre les militaires. Nous le savons. Mais pour les membres de la famille, il peut aussi y avoir la perte de la communauté. Et le simple fait de partager une partie de ma propre expérience, qui n’est pas directement liée à la santé mentale de mon conjoint, mais je suppose que ça pourrait l’être, c’est après avoir soutenu mon conjoint pendant si longtemps, le jour où il a pris sa retraite, il m’a envoyé un texto qui disait « Retraité ».

J’assistais à une séance de formation avec d’autres personnes et je me souviens avoir dû me lever de la table, quitter la pièce et prendre un moment pour moi dans la salle de bain parce que cela représentait une partie de mes réalisations, une partie de mon identité… Je n’étais plus à ce moment membre de la grande famille militaire.

J’étais peut-être un membre de la famille d’un vétéran, mais qu’est-ce que cela signifiait pour moi? Quand vous quittez l’armée, vous quittez une certaine communauté, vous quittez une certaine sécurité. Et cela pourrait peut-être faire partie du processus de libération du service militaire si quelqu’un est libéré pour des raisons médicales en raison d’un problème de santé mentale.

Alors, par curiosité, Polly, avez-vous déjà vécu quelque chose de ce genre? Vous et moi avons parlé de notre identité en tant que membres de la famille d’un vétéran, ou peut-être que des personnes que vous souteniez vous en ont parlé.

Polly

Oui, je pense que pour moi, notre situation était différente, en ce sens qu’il avait pris sa retraite, c’était la fin de son contrat.

Nous avions pris conjointement la décision. Et je dirais que j’ai perdu ma communauté en Allemagne. Mon conjoint était en poste à l’étranger. Il y avait très peu de couples mariés. Il y avait ce groupe de 20 personnes, mais c’était notre famille. Nous organisions des soupers le dimanche et d’autres choses. Ça été très difficile de partir. Puis nous sommes déménagés et nous avons perdu de vue ces personnes. Donc, nous avons perdu cette communauté soudée avant de passer à une communauté regroupant davantage de civils.

Puis nous avons été affectés à Ottawa. Encore une fois, nous n’étions pas vraiment sur une base. Puis, lorsque nous avons déménagé à Petawawa, je n’ai pas vraiment eu beaucoup de temps pour apprendre à connaître les gens. Il y avait quelques personnes, mais pour moi, il s’agissait vraiment de savoir comment bâtir une communauté.

Et la communauté que j’avais avant d’entrer dans la vie militaire avec Sean, cette communauté ne correspondait plus vraiment à l’élément de santé mentale. Il s’agissait donc de trouver la communauté qui fonctionnait pour nous. Et puis il y a la stigmatisation subie lorsqu’il a avoué souffrir de TSPT. Il y a ces amis qui sont encore en service et qui ne communiquent pas avec vous aussi souvent… Est-ce contagieux ce trouble? Ou je ne veux pas admettre souffrir de TSPT parce que je suis toujours dans les forces armées et qu’il me reste encore 15 ou 20 ans, n’est-ce pas?

Ce que j’ai vu, ce sont les effets secondaires de la vie que nous avons bâtie et de la communauté à laquelle nous appartenons maintenant, des gens qui comptent sur nous pour obtenir ce soutien parce que nous avons l’expérience en ce domaine. Cela donne donc à mon mari une raison d’être.

Brian

C’est intéressant parce que je réfléchis souvent au fait que, même s’il y a beaucoup de choses bizarres dans l’armée et qu’il y a beaucoup de situations du type « dépêchez-vous et attendez, préparez-vous à faire ceci, attendez, préparez-vous à le faire à nouveau ». Mais tout est important. Cet environnement où tout est important me manque.

Quand vous livrez le courrier aux membres de votre peloton, mettez-vous des vies en danger? Oui, nous le faisons. Nous ne livrons pas que le courrier, nous remontons le moral des militaires. Sortir les ordures, c’est important n’est-ce pas? Il en va de la santé de mon peloton. Il en va de la propreté de la zone dans laquelle nous travaillons.

Sortir les ordures, c’est important. À la maison… honnêtement, même si je cherche à éduquer mes enfants à ce sujet, je suis celui qui pousse les ordures dans le sac. Parce que ça n’a pas d’importance. Ça peut attendre. Eh bien, lorsque vous menez votre vie et que vous vous occupez de votre famille, comme toutes les choses à leur sujet peuvent attendre parce qu’il ne s’agit pas d’événements de vie ou de mort, vous les classez plus bas, eh bien, quel est l’effet à long terme sur cette famille qui se sent au bas de cette hiérarchie? Mais j’avoue que me trouver dans un environnement où l’enlèvement des ordures est important me manque.

Laryssa

Hmm. Intéressant.

Polly

Laryssa, tu as parlé de quitter la communauté militaire… Mais est-ce que tu avais une idée de qui tu étais? Où en étais-tu, où te situais-tu par rapport à cela, y a-t-il eu une perte?

 Laryssa

Je crois que oui. Comme je l’ai dit, cela fait toujours partie de notre identité, et ce n’est pas le cas de toutes les familles de militaires. Pour certaines personnes, la profession de leur conjoint est tout à fait distincte, mais pour ma part, cela faisait partie de mon identité. Mon père a servi dans les forces armées, alors j’ai toujours eu cette influence. Je pense que nous étions très fiers du fait que mon père ait fait partie des forces armées. C’est donc quelque chose dont je suis fière et, vraiment, être membre d’une famille militaire n’est pas une chose facile et je pense vraiment que ce n’est pas tout le monde qui peut le faire. Encore une fois, j’étais très fière de cette appartenance.

Et même mes enfants étaient fiers de cette appartenance au groupe de « brats ».

Brian

N’est-il pas étrange que beaucoup de gens pensent que c’est une insulte? Oui. Ce n’est pas une insulte même si cela peut sembler le cas pour plusieurs personnes. Les jeunes de la base savent exactement ce que cela signifie. Pour eux, c’est une question d’identité, d’appartenance.

Laryssa

Oui, absolument. Je pense que cela faisait partie du deuil que j’ai vécu. Je devais me trouver de nouveaux repères. Une chose à laquelle j’ai beaucoup réfléchi récemment fait maintenant partie de mon identité comme membre de la famille d’un vétéran. Certaines personnes que je cherche à lier mon identité à quelqu’un d’autre, mais pour moi, ce n’est pas le cas. Je suis membre de la famille d’un vétéran parce que j’ai vécu mes propres expériences à cet égard. Mon conjoint n’a pas cette expérience.

J’ai bâti une carrière, je fais partie d’une communauté. Cela en fait donc partie intégrante, mais il y a eu une certaine transition et une période d’acceptation. Il y a beaucoup d’autres identifiants. J’aime à penser que je suis un défenseur. Je suis une mère, je suis une conjointe. Je suis une amie. Je suis une jardinière.

Polly

Tu es une excellente jardinière.

Laryssa

Merci! Oui, cela en fait partie. Mais il y a eu une sorte de processus de deuil et de définition, comme cette nouvelle identité que vous avez mentionnée Brian.

Brian

Eh bien, je trouve que mes enfants ont de la difficulté à expliquer ce que je fais. Et ce n’est pas ce que je fais maintenant. C’est que c’était si évident quand on est dans l’armée, cela définit qui on est. Et c’est aussi qui ils sont. Ils font aussi partie de cette expérience. Mais oui, je pense que c’est en grande partie parce que même si les forces armées créent pour vous des choses qui sont difficiles, elles ont toutes un sens.

Quand on vous dit que votre conjoint va partir pendant sept mois, vous savez exactement ce que vous devez faire. Vous ne savez pas comment les choses vont se dérouler, mais vous savez ce qui s’en vient. Et vous commencez tous les deux à entrer dans ce processus… Ce récital de danse auquel j’allais assister, c’est à la poubelle. Devinez quoi? Les anniversaires, toutes ces choses ont disparu, n’est-ce pas?

Certaines personnes pourraient se dire maintenant, eh bien, vous ne manquerez plus ces choses, n’est-ce pas mieux? Vous avez raison. Les anniversaires ne me manquent pas. Si c’était le cas, j’aurais beaucoup de problèmes. Mais l’autre chose, c’est que, même si c’est bien de pouvoir faire ça, vous n’avez aucune idée à quel point la personne que j’étais me manque, avec le sentiment d’être au sommet de mon art. Et c’est une lutte. C’est une période de deuil. Et quand les gens pensent que je peux quitter les forces armées et faire cette transition vers cette nouvelle vie en un clin d’œil… non, je suis en deuil…. J’ai besoin de temps.

Polly

Et je pense que c’est génial de souligner cette perte d’estime de soi parce que, encore une fois, je me suis vue confier ce rôle de soignant à un jeune âge. Je me sentais parfois comme un parent célibataire dans une famille comportant deux parents. Et donc, même si je pleurais la perte de mes attentes et de ce à quoi je pensais que la vie allait ressembler, je ne me rendais pas vraiment compte que je m’étais perdue.

Il y a quelques années, je sortais avec un ami de l’école secondaire et il m’a dit : « Oh mon Dieu, c’est la Polly dont je me souviens! » Et je me suis dit, ai-je tellement changé? Vous comprenez? Quelles sont les qualités que je voudrais retrouver dans ma vie?

Je me trouver terne maintenant, mais je pense que j’avais beaucoup plus de plaisir auparavant. Et maintenant, je suis peut-être plus réaliste, ce qui peut être un désavantage parfois, n’est-ce pas? C’est la réalité. Plein de choses vont arriver et nous allons passer au travers.

Et le mot du jour est « résilient ». Mais vous perdez peut-être ces petites étincelles.

Laryssa

Je pense, en particulier pour moi, que lorsque j’étais une jeune mère avec des enfants et que je soutenais quelqu’un qui souffrait de TSPT, mes priorités étaient différentes. Il s’agit de veiller à ce que les enfants soient nourris et à ce que l’être cher ait pris sa douche, se rende à son rendez-vous ou quoi que ce soit d’autre. C’est graduel et on oublie parfois. Et il peut y avoir ce changement vers le rôle de proche aidant. Pour ce qui est des familles à qui j’ai parlé au fil des ans, certaines d’entre elles, cela faisait vraiment partie de leur identité et cela les effrayait de perdre cette identité. Qu’il s’agisse d’un être cher qui allait recevoir des soins prolongés pendant six à huit semaines, la question était de savoir « qui suis-je pendant son absence? ».

Ou encore le vétéran en est arrivé à un point où il n’a plus besoin de vous comme proche aidant. Il y a selon moi cette perte d’identité également.

Polly

Pour moi, ça été un gros choc. Un très gros choc. Quand mon mari a commencé à aller mieux, je me suis demandé quel était mon rôle maintenant.

Parce que j’avais déjà commencé à prendre du recul, mais maintenant, je ne sais même plus quand sont ses rendez-vous. Il s’occupe de ses propres rendez-vous. La pharmacie lui livre ses piluliers. Je n’ai pas à m’inquiéter au sujet de ses pilules, je sais encore ce qu’il prend et ce genre de choses, mais il commande son cannabis, il peut aller chez Costco… Bref il s’occupe de lui. Il a un chien d’assistance, alors nous avons mis des outils en place pour lui, mais il peut faire beaucoup de choses et parfois je l’oublie. Il y a eu une période où j’ai dû faire mon deuil. Qui suis-je si je ne suis pas Polly qui s’occupe de Sean?

Et puis, la maison s’est vidée. Nous avons encore un fils à la maison, mais il est indépendant. Il a 26 ans. Les besoins ne sont donc pas les mêmes. Les autres n’ont plus autant besoin de moi, n’est-ce pas? Qu’est-ce que j’ai fait? Je me suis impliquée davantage dans la communauté des vétérans et dans le travail.

Mais il s’agit de s’adapter. On s’adapte donc constamment et je suis certaine qu’avec le temps et à mesure que nous vieillissons, cela changera encore pour en arriver au rôle de grand-parent. Vous comprenez?

Brian

Il y a aussi cette question qui revient à plusieurs reprises : « Hey! Bonjour! Content de vous voir! Comment va votre mari? » Est-ce que ça vous manque de vous faire demander tout simplement « Comment allez-vous? »

Polly

Tout à fait. J’ai fait la même chose. En œuvrant auprès de cette communauté, j’essaie toujours de demander à la personne : « Mais vous, comment allez-vous? Comment allez-vous? » Et quand les gens me posent la question, je me dis, oh, je ne veux pas répondre à cette question. Vous comprenez? Je voulais simplement vous le dire. Alors nous essayons de changer de sujet, mais oui, la question dans tout cela est la suivante : « Et moi? Je suis importante, n’est-ce pas? »

Il s’agit donc de trouver cet équilibre. Mais c’est certainement une perte que nous vivons tous à un moment ou à un autre. Et comme tu l’as dit, Laryssa, tu sais quelle peut être cette identité, que ce soit parce que tu t’es identifiée comme une famille militaire et que tu étais vraiment enracinée dans cette communauté militaire. Pour ma part, c’est comme si je disais que je n’étais pas aussi enracinée et que je ne m’identifiais pas comme une famille militaire. Mais j’ai perdu ce sentiment d’identité après son diagnostic et je ne savais tout simplement plus à quoi m’identifier. Y avait-il encore de la place pour nos espoirs et nos rêves?

Laryssa

Exactement. Cela m’amène à me poser une question. Nous avons parlé du deuil, de la perte de la personne que vous avez épousée, de la perte de vous-même, de la perte d’une carrière, de la perte d’une communauté. Mais qu’y a-t-il au-delà de ce deuil? Quelle est la suite?

Polly

Pour moi, j’aime ma vie maintenant. Il y a encore des obstacles, etc., mais je pense que si vous commencez à accepter ces pertes et à y faire face, parce que vous devez y faire face…. Et ma suggestion est la suivante : ne le faites pas seuls.

Il y a d’excellents professionnels et si les deux ou trois premiers ne conviennent pas, c’est correct. Continuez d’essayer. Et bâtissez votre communauté autour de vous avec des gens qui pensent comme vous et qui ont, d’une certaine façon, suivi le même chemin que vous. Parce que l’une des choses qui m’ont beaucoup touchée avec le soutien des pairs, c’est que je me présentais, que ce soit au téléphone ou dans un Tim Hortons pour prendre un café, et au cours des cinq premières minutes, il y avait un lien. Un lien de vulnérabilité. Et les gens restaient assis là pendant cette conversation d’une heure, ou deux ou trois, parce que j’écoutais et je validais. Et parfois, c’était la première fois que les gens validaient ce qu’ils ressentaient. C’est ainsi que je me suis sentie lorsque j’ai trouvé du soutien par les pairs…

Je crois donc qu’il est important de bâtir cette communauté autour de vous pour surmonter le deuil. Ce sera probablement un peu différent de ce à quoi ressemblait peut-être votre communauté militaire, mais il y aura probablement beaucoup de vétérans et de conjoints de vétérans, ou de premiers répondants, parce que nous pouvons tous nous retrouver dans le domaine de la santé mentale, n’est-ce pas?

Pour moi, notre relation est plus forte. Et je suis très fière qu’il essaie constamment d’améliorer sa qualité de vie. En retour, cela va améliorer notre qualité de vie et nous travaillons tous les deux à améliorer notre vie.

Laryssa

Je pense que cela fait partie du secret. Et quelque chose que tu as dit, pour moi, j’ai dû me donner la permission de pleurer la perte de la vie que j’avais imaginée. La personne que je croyais qu’il était, ou qu’il était [avant]. Parce qu’il y a des changements, et la réalité, c’est qu’en tant que conjoint qui subvient aux besoins d’une personne atteinte de TSPT, il y a des changements qui surviennent chez moi également.

Et c’est correct de faire le deuil de cela et de découvrir et d’aimer mon conjoint tel qu’il est, ou la relation ou moi-même en fait, de me découvrir. Il n’y a donc pas de mal à faire le deuil de cette autre partie et à aller de l’avant.