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DESCRIPTION DE L’ÉPISODE

Lorsqu’on pense à l’expérience que vivent les membres des forces armées, c’est souvent l’appartenance sociale qui vient à l’esprit. On imagine des soldats qui marchent à l’unisson, vivant à proximité et couvrant les arrières les uns des autres. La fraternité, l’esprit de corps et la camaraderie sont évoqués. Alors, pourquoi plusieurs études récentes révèlent-elles qu’une proportion alarmante de vétérans souffrent de solitude?

Dans cet épisode de L’esprit au-delà de la mission, Brian et Laryssa explorent la solitude du point de vue propre aux vétérans et à leur famille. Ils parlent également de la façon dont ils ont géré leurs propres sentiments de solitude et d’isolement et présentent des stratégies pratiques pour les combattre.

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L’ESPRIT AU-DELÀ DE LA MISSION, ÉPISODE 6 – « VAINCRE LA SOLITUDE »

Laryssa

Lorsque j’imagine l’expérience du service militaire, je pense notamment aux liens sociaux. Je pense à des soldats qui marchent à l’unisson, qui vivent en rangs serrés, qui se surveillent les uns les autres. J’ai entendu des termes tels que fraternité, esprit de corps et camaraderie. Je me demande comment il se fait qu’un certain nombre d’études récentes montrent que de nombreux anciens combattants souffrent de solitude. Les vétérans ont une expérience unique de la solitude, et les familles de vétérans sont-elles également confrontées à cette expérience ?

Brian

Je pense qu’en ce qui concerne la question de la solitude, qu’est-ce que nous vendons ? Lorsque nous disons à quelqu’un que l’armée va être un endroit intéressant pour lui, nous vendons peut-être le repoussage à partir d’hélicoptères, la voile ou le pilotage d’avions, mais en fin de compte, nous vendons l’équipe. Nous vendons l’idée que vous allez pouvoir rejoindre cette équipe, à condition que vous passiez par le creuset que nous avons mis en place pour vous, appelé formation de base, puis formation professionnelle, etc. Nous vous vendons l’idée que vous allez en faire partie. Même lorsqu’un exercice se termine, les membres de la famille s’attendent à ce que le soldat revienne du champ de bataille, qu’il rentre à la maison. Ce n’est probablement pas le cas.

Ils rentreront à la maison, mais ils iront d’abord au mess. C’est également prévu. Tout cela fait partie de l’histoire. Je pense au jour du Souvenir, que nous venons de célébrer. Je ne pense pas que ce soit le jour du souvenir si je souffre tout seul. C’est le jour du souvenir parce que je me rassemble avec les gens qui sont encore là, en me souvenant des coéquipiers qui ne sont plus là. C’est ce collectif qui est le produit. Regardez un régiment, les gens regardent vraiment vers un ensemble de couleurs qui sont du tissu accroché à du métal, mais qui représentent l’équipe, et l’équipe qui était là avant que vous n’arriviez. C’est le produit. C’est à cela que les gens adhèrent. Les tirs deviennent même ennuyeux avec le temps, mais faire partie de cette équipe ne vous ennuie jamais et c’est ce qui nous manque.

Laryssa

Je me demandais, s’il y a un tel sentiment de connexion dans l’armée, pourquoi les vétérans recherchent la solitude ? J’ai observé qu’une fois libéré de l’armée, on se dirige souvent vers les collines et on recherche l’isolement. Alors que c’est le lien avec les autres qui vous a attiré et qui semble vous avoir maintenu dans l’armée, pourquoi une fois l’uniforme raccroché, l’isolement semble-t-il plus fréquent ?

Brian

Vous avez raison. Nous parlons parfois de ne pas nous contenter du plan de Vancouver, mais cela ne veut pas dire que nous nous contentons du plan de Surrey ou de Prince Rupert. Quel est le plan pour le type au bout du chemin forestier qui s’est déconnecté des services, sans parler des gens ? De quoi s’éloigne-t-il ? D’une manière générale, beaucoup d’entre eux essaient de s’éloigner de la pression, du bruit, du son, mais les gens peuvent aussi vous aider. Lorsque vous êtes entouré de 15 ou 20 collègues et que vous pensez qu’aucun d’entre eux n’a la moindre idée de qui vous êtes, ces personnes vous mettent la pression. Ils n’apportent pas d’aide.

À mon avis, beaucoup de gens n’essaient pas de s’éloigner de l’équipe. Ils essaient de s’éloigner du bruit et de la pression. Lorsqu’ils y parviennent, ils se retrouvent isolés, au bout du chemin forestier, et comment atteindre cet homme ? Lorsque nous arrivons à la meilleure idée, voulez-vous ou non faire de l’EMDR ? La réponse à cette question est : pouvez-vous vous rendre à l’EMDR ? Ce sont tous les résultats de l’isolement, qui mène à la solitude, c’est juste l’essentiel. La séparation d’avec les choses qui peuvent vous rendre plus sain.

Laryssa

J’aimerais savoir si l’isolement et la solitude sont deux choses différentes. On peut être entouré d’un tas de gens et se sentir seul. C’est en fait une conversation que j’ai eue avec mon conjoint, alors que nous préparions ce podcast, sur son expérience de la solitude. Il m’a dit que lorsqu’il était dans l’armée, il avait connu la camaraderie, la fraternité, l’esprit de corps, toutes ces choses que j’ai mentionnées et qu’il n’a connues nulle part ailleurs.

Je ne comprends pas et j’envie parfois cette camaraderie et ces liens qu’il a eus. Il a également décrit que lorsqu’il était déployé, il se sentait seul pour sa famille, parce qu’il y a un type différent de relation qu’il n’a pas eu dans l’armée, mais maintenant qu’il est libéré et qu’il est un ancien combattant, il est entouré de sa famille tout le temps, mais il ressent toujours la solitude parce que cette camaraderie lui manque. C’est presque une situation sans issue.

Brian

C’est en partie parce qu’il y a toujours quelque chose à faire. Cela ne veut pas dire qu’on ne s’ennuie pas ou qu’on ne trouve pas le temps de jouer à un jeu de cartes. C’est certainement le cas, mais il y a toujours quelque chose à faire, donc le fait de partir n’est en fait qu’un moyen de réduire son niveau d’activité. Si vous voulez rester occupé à l’étranger, vous pouvez vraiment le faire. Je ne suis pas sûr de savoir comment faire ici. Nous arrêtons de travailler lorsque nous nous arrêtons, et ce n’est pas comme si je continuais à réparer le véhicule que j’utiliserai demain. Ce n’est pas ce que je fais.

Je pose mes outils et c’est fini. Si vous voulez vous occuper pendant votre absence, vous pouvez le faire. Ma famille m’a manqué pendant mon absence, mais ce que je ne voulais pas, c’était trop de contacts. Cela peut paraître dur, cela ne fait pas plaisir de le dire, mais si quelqu’un téléphone à la maison deux fois par jour, c’est vraiment difficile de se remettre dans le bain dont nous avons besoin. Si vous faites quelque chose comme ça, disons que vous téléphonez à la maison à 9 heures et à 17 h 25 tous les jours, que se passe-t-il le jour où vous ne pouvez pas téléphoner à 17 h 25 ? ? Tout le monde s’énerve.

L’une de nos réponses à ce problème est la suivante : je vais me déconnecter un peu, je vais mettre ces intervalles et je vais mélanger les horaires pour que les gens ne s’y habituent pas. Ensuite, vous avez mis en place une stratégie de déconnexion. J’en reviens à la question suivante : pourquoi est-ce que j’aime le camping ? Pourquoi est-ce que j’aime aller dans le bush ? Parce qu’alors tout repose sur moi, et bien qu’il y ait un peu de pression pour que je règle ma vie là-bas et que tout ce qui va mal soit de ma faute, je ne me sens pas vulnérable aux décisions de quelqu’un d’autre, et c’est l’une des raisons pour lesquelles je vais parfois au milieu de nulle part.

Je comprends tout à fait les autres gars qui y vont aussi. C’est tout à fait logique. En ce qui concerne la solitude, je suis très heureux que les gens s’intéressent à ce sujet. Nous avons déjà parlé de la façon d’avoir des discussions courageuses que personne n’a, mais qui diable parle de la solitude ? Apparemment, certaines personnes le font, mais c’est une conversation assez silencieuse de nos jours.

Laryssa

Comme je l’ai mentionné et que vous et moi sommes exposés, comme je l’ai dit, à plus d’études et plus de conversations sur les anciens combattants et la solitude en particulier, je suppose que je ne devrais pas vous demander de spéculer, mais d’après votre expérience, pourquoi les anciens combattants vivent-ils la solitude d’une manière différente que les autres personnes ?

Brian

Encore une fois, si vous regardez le travail, l’équipe est ce que nous vendons, l’équipe est vraiment ce que vous avez rejoint, et si vous êtes resté pendant un certain temps, vous avez probablement adhéré à cela. Nous pouvons remplacer beaucoup d’autres choses que vous aviez l’habitude de faire. J’ai vu beaucoup de gens qui étaient membres du personnel navigant, qui ont pris leur retraite de l’armée de l’air et qui sont allés passer leur licence de pilote eux-mêmes ou qui ont continué à voler pour le plaisir. Vous demandez à ce type si le pilotage du Cessna, que vous aimez faire, est le même que celui de l’équipage avec lequel vous travailliez lorsque vous étiez dans l’armée de l’air ?

Non, être dans la marine, ce n’est pas naviguer, et je ne campe pas. En fait, mes soldats des années précédentes, s’ils voyaient la façon dont je campe, se moqueraient probablement de moi à l’infini. Je suis tellement mou ces jours-ci. Je ne vais nulle part sans faire des toilettes. J’ai déjà annulé des voyages parce que nous n’avions plus de crème. Je suis complètement faible dans ce domaine, mais c’est le nouveau moi. Je ne pars pas pour faire une expression extérieure de l’homme contre la nature. J’y vais pour m’éloigner de tout ce qui m’entoure.

Laryssa

C’est en partie dû à l’expérience des vétérans, mais dans quelle mesure le stress post-traumatique joue-t-il un rôle dans la solitude des vétérans ?

Brian

C’est là que je reviens à la question de l’isolement et de la solitude. Quand on parle de stress post-traumatique, et qu’on parle de stress post-traumatique à partir d’une discussion qui n’est probablement pas très agréable pour la société. Soyons honnêtes, le Canadien moyen n’a pas envie d’entendre parler de ce qu’est le monde. Ils ne veulent pas entendre parler de notre implication dans certaines de ces choses. C’est plus lourd que ce que certains pensent. J’ai l’impression que même si j’en parle dans une discussion, dans une salle de 10 personnes, j’ai l’impression qu’au moins la moitié d’entre elles ne voudront même pas entendre ce dont je parle, et encore moins m’entendre parler de la façon dont cela m’affecte. Beaucoup de gens nous regardent comme si nos blessures étaient des blessures auto-infligées parce que, hé, vous avez rejoint l’armée après tout.

Laryssa

D’accord.

Brian

Même s’ils ne ressentent pas cela, je peux projeter sur eux qu’ils le ressentent et que je suis le gars qui entre dans la pièce et qui se sent isolé. Ils sont peut-être tous très ouverts et prêts à aider, mais je me mets dans cette petite boîte isolée.

Laryssa

C’est en partie parce que tu ne te sens pas compris.

Brian

Oui. Nous en avons déjà parlé, je veux savoir que si j’ai une conversation avec quelqu’un, cela va améliorer sa vie ou au moins ne pas l’empirer. L’idée que je vais commencer à parler de quelque chose pour lequel ils ne peuvent pas m’aider, alors maintenant je gâche leur journée, et je risque de gâcher la mienne parce que maintenant je traverse quelque chose dont je n’avais pas prévu de parler quand je me suis levé le matin. Qui en sort gagnant ? C’est le sentiment que j’ai. Est-ce que c’est le bon sentiment, est-ce que c’est un sentiment éduqué ? Non, ce n’est pas le cas, mais c’est ce que je ressens.

Laryssa

C’est intéressant parce que je pense que les membres des familles d’anciens combattants et les membres des familles de militaires peuvent ressentir leur propre solitude, et ce n’est pas très différent – en tant que membre d’une famille qui soutient une personne souffrant d’une blessure mentale, disons que vous ne vous sentez pas compris non plus, alors vous êtes à la réunion de famille et vous regardez tout le monde et vous n’avez pas l’impression qu’ils comprennent votre expérience, alors vous n’en parlez pas, ce qui fait que vous vous sentez encore plus isolé et plus seul dans votre expérience. Je me souviens que pendant très longtemps, je n’ai parlé à personne de ce qui se passait chez moi parce que, premièrement, je pensais que personne d’autre ne le vivait et que, par conséquent, personne d’autre ne le comprendrait.

Je pense que les membres de la famille peuvent également ressentir ce sentiment d’isolement et, comme nous le savons, le repli sur soi et l’isolement peuvent être des symptômes du syndrome de stress post-traumatique. Je me souviens de moments où, en famille, nous voulions faire des sorties, mais mon conjoint n’était pas d’accord, et je devais décider si nous devions nous isoler et nous retirer et rester à la maison parce que le vétéran, mon conjoint, ne se sentait pas d’attaque, ou si nous devions choisir – le reste de la famille irait et continuerait l’activité. Je me sentais coupable et j’avais l’impression d’être séparée, car je devrais être à la maison pour soutenir mon conjoint.

Brian

Oui, c’est bizarre. Je pense que lorsqu’on parle de traumatisme vicariant ou de traumatisme intergénérationnel, pour moi, c’est une nouvelle compréhension, mais l’une des choses auxquelles je pense est que si votre père a été physiquement blessé et qu’il n’a plus de jambes, vous n’allez probablement pas faire des promenades et des randonnées en famille, ce qui signifie que sa blessure devient la limitation de la famille, ou qu’ils font l’activité sans lui. Ils continuent leur activité et il est maintenant isolé.

Il n’y a pas vraiment de moyen facile d’accepter cette blessure physique et de continuer à rouler comme la famille le faisait auparavant, donc même en regardant les choses de cette façon, la blessure du parent peut devenir la blessure de l’enfant, et je ne sais pas comment on peut vivre cette vie sans s’isoler un peu. Vous avez parlé de la famille. Il y a eu un moment dans ma vie où ma carrière se déroulait plutôt bien, mais pas ma situation familiale. Vous allez au travail et les gens veulent vous voir, vous parler, comment ça va, comment vont votre femme et vos enfants ? Super, super, super.

Même le fait que je donnais ces réponses de merde, parce qu’elles l’étaient, signifiait que je ne m’engageais pas. Il y a aussi un sentiment de solitude, parce que mes relations commencent à être compromises au travail, car il y a ces différentes lacunes dans les domaines dont nous ne pouvons plus parler. Quand je veux juste discuter avec mes amis, je m’engage à fond, mais quand il s’agit de parler de ce qui se passe dans nos vies, comme…

Laryssa

D’accord, donc vous n’en avez pas parlé.

Brian

Non, je ne fais pas ça. C’est très bien. C’est très bien. Et les Canucks ? C’était la routine, et c’est ce que je veux dire quand je vous dis que je pourrais être dans une pièce avec d’autres personnes et me sentir seul.

Laryssa

Oui, et comme je l’ai dit, je pense que c’est la même chose du côté de la famille, comme je le disais, je ne voulais parler à personne parce que je pensais qu’ils ne comprendraient pas ou qu’ils ne comprendraient pas. Une autre chose que j’ai vécue en ce qui concerne la solitude, c’est que lorsque mon conjoint était au début de son diagnostic et de son traitement, il devait vraiment se concentrer sur cela. Il avait besoin de mettre toute son énergie là où elle devait être, alors il y a eu une période où j’étais parent unique dans une famille biparentale.

Cela peut aussi être une expérience solitaire, aller à l’une des activités des enfants où ils jouent à la crosse ou autre, et vous êtes seul dans les gradins, mais c’est une expérience que vous aimeriez partager avec l’autre parent, alors cela peut aussi être un sentiment de solitude. On aimerait que l’autre personne soit là, mais elle n’est pas à la hauteur, elle n’est pas capable.

Brian

Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous avez ressenti ça ? Quand vous êtes-vous senti seul ? Pouvez-vous vous imaginer en train de marcher dans Meaford ?

Laryssa

C’est une bonne question. Ce n’était certainement pas à Meaford. Je dirais même que c’était avant. Je pense que c’était au début de notre vie avec le syndrome de stress post-traumatique, probablement même avant le diagnostic, parce que, pour nous, il s’est écoulé 10 ans entre la blessure initiale et le diagnostic. 10 ans, c’est long. Je pense que j’ai ressenti cette solitude, mais je ne savais pas ce que c’était parce qu’à l’époque, le terme « blessure de stress opérationnel » n’avait pas encore été inventé, sans parler de l’éducation des familles sur ce qu’il fallait rechercher, ce qu’il fallait reconnaître.

J’ai simplement ressenti un vide. J’ai ressenti une déconnexion avec mon épouse, et je ne savais pas du tout ce que c’était. J’ai longtemps pensé que c’était moi, ou que c’était ma propre santé mentale. Il nous a fallu beaucoup de temps avant de comprendre de quoi il s’agissait. Je ne peux pas mettre le doigt sur un scénario précis, mais je me souviens qu’au début, avant même que nous ne sachions ce qui se passait, je me sentais très seule, je me sentais seule.

Brian

Je suis même passé par là, lorsque je portais l’uniforme. Je me souviens être revenu d’un déploiement une fois, et les gens étaient heureux de vous voir, mais certains étaient déconnectés de ce qu’était réellement le travail, même s’ils portaient l’uniforme eux aussi, et c’était traité comme si nous étions en vacances. Comme si vous aviez manqué ce que nous faisions, parce que vous étiez parti et, dans mon esprit, est-ce que ces gens ont la moindre idée de ce que nous venons de faire ? Pour moi, c’est un exemple de la façon dont on peut faire partie d’une équipe, d’une salle pleine de gens, mais quand le lien se rompt, je me retrouve seul. Je ne sais pas si la solitude doit se produire seule.

Je sais comment être seul dans une ville de 2 millions d’habitants, et c’est juste pour me donner l’impression que ces gens ne me comprennent pas. C’est assez solitaire, mais ce sont les choses auxquelles je pense… Parfois, quand les gens disent qu’il y a de gros problèmes comme le suicide. Qu’est-ce qu’on fait ? En vérité, je n’ai pas de réponse à vous donner, mais je soupçonne que l’extrême solitude en fait partie. Comme je ne sais pas quoi faire contre le suicide, j’aimerais bien voir si on peut s’attaquer à la solitude.

Laryssa

Oui, je pense que l’on peut comprendre que la dépression ou les symptômes du syndrome de stress post-traumatique conduisent à l’isolement. Je veux dire, comme nous l’avons dit, c’est l’un des groupes de symptômes. Je trouve très ironique que, comme je l’ai dit, pour un groupe de personnes qui me semble connecté en tant que personne extérieure, le civil qui regarde, que de nombreux vétérans ressentent cet isolement. Comme je l’ai dit, il semble ironique qu’ils viennent de ce groupe cohésif et qu’ils ressentent cette solitude à un niveau différent de celui des autres personnes, et la même question : quelle est la solution ? Je sais que beaucoup de gens encouragent les vétérans à tendre la main, à se connecter, à trouver du soutien auprès de leurs pairs, mais quand c’est l’un des symptômes que vous combattez, ça peut être extrêmement décourageant.

Brian

Oui, je pense que lorsque je regarde les différents types de personnes qui imitent l’armée, il peut s’agir d’un documentaire qui passe à côté de l’essentiel, ou d’un film qui montre l’armée comme un champ rempli de Rambo. Je pense même aux gens qui font de la reconstitution historique ou de l’airsoft. Qu’est-ce qu’ils ratent en fait ? Leurs exercices sont brutaux ou non, et bon marché et tout ce genre de choses. Soyons honnêtes, c’est étrange en soi, mais je pense que ce qu’ils ratent, c’est que si vous essayez de recréer l’environnement militaire, avec des armes, des équipements et du matériel, vous ne comprenez pas ce que c’est.

Si vous voulez recréer l’environnement militaire, allez souffrir un peu en équipe jusqu’à ce que ce soit drôle. C’est ça l’armée, parce que le matériel changera et que nous achèterons un jour une nouvelle arme, mais si nous gérons bien l’armée, nous aurons toujours l’impression d’être une équipe, nous construirons toujours le succès en traversant la douleur ensemble, et c’est ce qui leur manque. Je n’ai pas vu d’organisation qui recrée cela pour satisfaire cette envie. Il y a des choses qui s’en rapprochent.

Laryssa

D’accord, pour vous, une fois que vous avez été libéré, vous ne vivez plus cette souffrance de groupe, le fait d’être mouillé et d’avoir froid ou quoi que ce soit d’autre, qui lie probablement le groupe. Une fois que vous êtes libéré de l’armée, vous n’avez plus cette souffrance. Comment combattez-vous la solitude ?

Brian

Eh bien, ce que j’ai découvert, c’est que la première chose que je devais combattre, c’était le manque de motivation, parce que la solitude en était la conséquence. On en a déjà parlé, mais sortir les poubelles a un sens dans l’armée, ce n’est pas seulement pour les poubelles, c’est pour la santé des troupes, les gars sont mieux quand il n’y a pas de merde partout, et ils ne vont pas tomber malades, donc il y a une raison pour laquelle on le fait. De retour à la maison, il est très facile de ne pas se motiver pour des choses que l’on ne veut pas faire et les déchets s’accumulent. Je vois les choses de la même manière : je devais me rappeler de me bouger le cul, de faire des choses, de me lever à l’heure.

On passe d’une vie où l’on se lève et où l’on court tous les matins à 6 heures, ce qui est un peu idiot, mais on peut facilement passer à une vie où l’on ne se lève pas avant 11h30 et où l’on se contente d’exister quelques heures jusqu’à ce qu’il soit l’heure de la bière et qu’on s’en aille… C’est très facile d’en arriver là, et le résultat est la déconnexion, vous êtes déconnecté de vous-même, de vos motivations, des choses qui vous enthousiasment. Ce qui vous apporte de la joie, vous ne le faites probablement pas non plus. Je considère que ces deux choses sont liées, je ne sais pas si elles le sont, mais pour moi, elles le sont.

Laryssa

D’accord. Comment avez-vous trouvé cela, encore une fois, je suppose que vous avez commencé petit parce que certaines choses peuvent sembler écrasantes, passer d’une absence de motivation et se lever à 11 heures, et je peux imaginer que certains jours il faut tellement d’énergie juste pour prendre une douche, à aller faire l’expérience de choses que vous aimiez avant cela peut sembler un énorme bond en avant pour certaines personnes.

Brian

Oui, j’ai surtout écouté les conseils que je donnais aux autres. L’une des choses dont je faisais toujours le bilan lorsque j’essayais d’évaluer la situation d’un ami, c’était l’état de sa voiture, l’état de sa maison. Y a-t-il de la merde partout ? Est-il en train de devenir un thésauriseur, d’accumuler toutes ces choses ? Si quelqu’un avait l’habitude d’organiser un VBL si méticuleusement que le CQ passait devant et disait :  » C’est bien « , c’est un sens de l’ordre assez élevé. Puis, deux ans plus tard, quand on voit ce type dont la voiture est en panne, qui n’a pas changé l’huile et qui a des emballages de hamburgers partout, c’est peut-être normal pour quelqu’un d’autre, mais pas pour lui.

J’étais tellement douée pour repérer cela chez les autres, comme l’ami X qui se détériore, et je peux le voir, et puis je rentre à la maison et je trouve ma merde partout, et mon linge étendu sur le sol, et je ne pouvais pas le voir. Écoutez ce que vous dites aux autres, faites-le vous-même, levez votre cul du canapé, et très facilement dans cette conversation, nous pourrions en fait avoir la conversation sur le chien d’assistance, parce que j’attribue à mon chien beaucoup de choses dont je suis en train de vous parler. Quand j’ai eu Sasha, la meilleure chose qu’elle ait apportée dans ma vie, c’est que des choses devaient se passer, le chien avait besoin de marcher, d’être nourri, il méritait des caresses, et ensuite, je sors, je lève mon cul du canapé, je caresse le chien, et je me connecte avec au moins quelque chose.

Laryssa

Oui, il semble que la première chose à faire soit d’instaurer une routine, car je suis sûre qu’elle vous le ferait savoir si vous l’ignoriez au bout d’un moment, de sorte qu’il y avait une routine et une sorte de but à atteindre. Vous deviez vous lever parce qu’elle dépendait de vous. Je pense que ce sont deux choses essentielles, et j’ai lu un jour un article sur un clinicien qui travaillait avec une personne hospitalisée pour dépression, qui manquait de motivation et ne pouvait même pas se lever du lit ou faire son lit ou quoi que ce soit d’autre pendant la journée. Le clinicien lui a dit : « Eh bien, pensez-vous que vous pourriez mettre votre oreiller en haut du lit lorsque vous vous levez ? Pensez-vous pouvoir faire cela ? »

La personne a répondu : « Oui, je pense que je peux le faire ». Ils ont donc commencé par mettre un oreiller en haut du lit, puis le clinicien a dit : « Pensez-vous que vous pourriez mettre l’oreiller en haut du lit, puis tirer le drap jusqu’en haut ? ». C’est ainsi que la personne a pris ces mesures, et finalement, elle a pu faire tout son lit et il y avait un sentiment d’accomplissement et de routine chaque matin, elle se levait et faisait cela, mais je pense que cela pourrait être une clé pour les gens aussi, c’est juste de commencer petit avec ces choses, et en réduisant l’isolement, peut-être que c’est juste un texte à quelqu’un d’autre, peut-être que c’est juste un appel téléphonique, peut-être… C’est intéressant parce qu’il semble que vous étiez suffisamment motivé pour vous lever et vérifier si quelqu’un d’autre allait bien.

Brian

Oui, et vous savez pourquoi je ris de ce que vous dites, c’est que ce n’est pas très différent de l’entraînement militaire. On ne touche pas au fusil tant qu’on ne peut pas faire son lit, c’est vraiment comme ça. Lorsqu’on examine ces questions, on se demande si le cache-poussière doit faire 24 pouces ou deux longueurs de baïonnette. Y a-t-il une personne normale qui mesure son lit avec un chargeur de fusil en ce moment ? Dans l’armée, oui, mais pourquoi faisons-nous cela ? Parce que c’est un tremplin pour vous donner quelque chose qui pourrait être dévastateur s’il était utilisé de manière incorrecte.

Je me demande si ce n’est pas ce que nous devons faire une fois que nous sommes sortis, c’est presque une formation de base pour revenir dans le monde réel. Je sais que dans mon cas, j’étais très douée pour inciter les autres à se rendre à leur rendez-vous chez le dentiste. Je n’y étais pas allée depuis trois ans. Qu’est-ce que c’est que ça ? J’oblige mes enfants à y aller. Ils sont à l’heure. Mes soldats étaient toujours à l’heure.

Laryssa, j’allais dire : cela fait-il partie de la mission avant le moi ? Il semble que ce soit un thème sur lequel nous revenons sans cesse.

Brian

Oui, c’est possible. J’ai l’impression de faire ce qu’il faut quand je m’occupe des autres, et j’ai l’impression d’être égoïste quand je m’occupe de moi.

Laryssa

Quelles recommandations, que diriez-vous à un autre ancien combattant qui s’isole probablement pour les mêmes raisons que celles dont vous avez parlé ? Il ne se sent pas compris par les membres de sa famille, par la collectivité, peut-être que cela fait partie de sa symptomatologie et qu’il se sent plus à l’aise. Peut-être s’éloignent-ils du bruit dont vous parlez. Il y a un ancien combattant qui écoute le podcast et qui ressent ce sentiment de déconnexion, de solitude. Que lui diriez-vous ?

Brian

L’une des choses que je dirais, c’est : savez-vous vraiment ce qui vous apporte de la joie ? Et faites une liste… Une liste courte. Comme beaucoup d’autres l’ont dit, 218 choses, ce n’est pas une liste. C’est un rêve. Avec une liste, il doit s’agir de deux ou trois choses. Qu’est-ce qui vous donnerait envie de vous lever du lit et de faire quelque chose ? Vous ne trichez pas avec la vie si vous prenez une demi-heure le matin pour vous, mais c’est ce que j’ai ressenti. Dans ma situation, le chien était une chose à faire. Une autre chose qui m’a aidée, c’est de changer certaines règles à la maison pour que ce soit moi qui dépose les enfants à l’école. Cela signifiait que je devais être rasée, propre, habillée, et que je devais manger un peu.

Je me suis forcé à fonctionner parce que cela avait fonctionné avant, et que cela fonctionnerait probablement maintenant. Je ne dis pas aux gens « Hé, prenez un chien et emmenez vos enfants à l’école tous les jours », mais cela m’a aidé. Je vous renvoie la balle, parce que vous êtes plus à l’aise pour me poser des questions, pour me mettre sur la sellette. Lorsque votre mari est parti dans les forces armées, y a-t-il une partie de votre vie où vous vous sentez isolée ? Vous vous demandez qui je suis et où je suis. Qui me comprend ?

Laryssa

J’ai la chance de pouvoir dire non, parce que j’ai choisi de me mettre dans une situation où je ne ressens pas cela. Je travaille dans le domaine des anciens combattants et de la famille. La majorité de mes amis – en fait, je crois que tous mes amis sont des conjoints d’anciens combattants ou des anciens combattants eux-mêmes. C’est intéressant pour moi, et j’ai un peu plus de mal à établir des liens avec les civils, mais je me mets quand même en avant pour essayer d’établir ce lien et de trouver des points communs, mais je suis toujours assez ancrée dans ce milieu. Cependant, cela a eu un impact sur moi lorsque mon conjoint a pris sa retraite parce que c’était aussi une partie de mon identité.

Je pense que dans les moments où vous m’avez posé la question tout à l’heure, et dans les moments où je me suis sentie isolée et [inintelligible 00:28:00] seule, je me suis demandée :  » Comment j’ai fait pour passer à travers ça ? J’ai dû prendre le risque de me mettre en avant, parce que même au sein de la communauté dont je m’étais entourée, je ressentais toujours cette solitude et je me sentais seule. J’ai dû prendre le risque, à un moment donné, de trouver quelqu’un en qui j’avais confiance, dont je pensais qu’il pourrait peut-être comprendre ce que je vivais, et j’ai dû me confier un peu. Comme je l’ai dit, j’ai envoyé un message ou passé un coup de fil.

Même si l’engagement que j’ai pris envers moi-même était que ce ne serait qu’une brève conversation, ou que je ne dévoilerais que telle ou telle chose, ou que je ne poserais que telle ou telle question, cela m’a permis de penser que je n’étais peut-être pas aussi seul que je le pensais. Cela m’a amené à penser que je n’étais peut-être pas aussi incompris que je le pensais. Il me suffisait de trouver les personnes qui me comprenaient.

J’ai dû créer cette communauté et ces liens autour de moi, mais j’ai dû prendre l’initiative de tendre la main au départ, parce que probablement pour d’autres personnes qui me regardaient, peut-être dans mon environnement de travail, ou en emmenant mes enfants ici et là, j’aurais pu donner l’impression que je me débrouillais vraiment très bien. On peut se contenter de faire semblant pendant un certain temps. Vous êtes en public et vous vous engagez avec d’autres personnes, vous avez des conversations, donc je n’aurais peut-être pas donné l’impression aux gens que je luttais pour me sentir seule.

Brian

Je pense aussi qu’il y a des niveaux de famille dans l’armée, n’est-ce pas ? Il y a la famille qui vit chez vous, qui quitte votre vie avec vous. Ils sont dans l’environnement militaire, ils ne portent pas d’uniforme. Nous comprenons tous cela. Ensuite, il y a les personnes qui sont liées à vous comme une famille, mais qui vivent dans la société. C’est en pensant à cela que je veux dire que nous sommes une culture. Sommes-nous tous pareils ? Non, mais avons-nous une façon de vivre ? Lorsque nous en sommes éloignés, nous nous sentons mal. C’était certainement mon cas.

Je vois les choses de la même manière que lorsque j’habitais à Vancouver, il y a un quartier juste au coin de la rue qui s’appelle Killarney. C’est parce que tous les Irlandais s’y rendaient. Pourquoi tous les bons restaurants italiens se trouvent-ils sur Commercial Drive ? C’est là que tous les Italiens allaient. Pourquoi est-ce si bizarre que notre culture ne soit plus en Italie, en Irlande ou dans l’armée, mais que nous ayons envie de nous y retrouver. Nous nous sentons liés à ceux qui savent de quoi nous parlons et nous nous sentons un peu éloignés de ceux qui ne le savent pas. Qu’y a-t-il de mal à cela ?

Laryssa

Oui, c’est un très bon point.

Brian

Nous sommes une culture, une culture étrange. Notre nourriture est nulle, mais elle est distincte à sa manière. Je ne ressens jamais le besoin de m’excuser pour expliquer pourquoi je veux être entouré d’autres soldats. Je ne ressens pas le besoin de m’excuser sur le fait que leur famille qui a vécu avec eux va m’avoir probablement plus que mes autres bons amis.

Laryssa

Oui. C’est vrai.

Brian

C’est vrai ? C’est un peu ça. Vous avez déjà assisté à un mariage où la moitié des gens sont des militaires et l’autre moitié des gens normaux. On peut physiquement voir le clivage au centre de la pièce, les gens qui font des blagues bizarres et les conversations étranges sont par là. Le reste se trouve ici, et il y a de l’amour, de la compassion et de l’amitié partout, mais je vais probablement vouloir aller traîner avec ces gars-là. Je me sens plus à l’aise avec des gens qui sont prêts à me mettre en pièces qu’avec des gens qui se demandent avec précaution s’ils vont me déranger.

On se sent plus à l’aise lorsque les gens vous arrachent un peu de votre peau. Lorsque je suis entouré de personnes qui, par bonté d’âme, essaient de prendre soin de moi, elles ne veulent jamais dire quoi que ce soit qui me dérange. Il y a de la solitude là-dedans. Ils essaient de m’aider. Après toutes ces discussions, vous sentez-vous seule aujourd’hui ?

Laryssa

Non, mais j’en suis arrivée à un point où lorsque je sens que je commence à me retirer, j’ai de bons amis qui me le font savoir parce que je me suis laissée aller à la vulnérabilité. Comment les conversations…

Brian

Qu’est-ce qu’ils remarquent ? Qu’est-ce qui vous oblige à être honnête ?

Laryssa

J’arrête de m’engager avec eux. Peut-être que je n’envoie plus autant de textos, que mes conversations sont plus courtes ou ce genre de choses. S’ils n’ont pas de nouvelles de moi, ils prendront des nouvelles plus souvent. Oui, il faut prendre ses responsabilités et y travailler.

Brian

Mes amis font des visites à l’improviste. Au début, quand j’entends la voiture arriver dans l’allée, je me demande qui c’est. Je veux faire une pause. Quand ils entrent dans la maison, je suis content de les voir. Je suis content qu’ils soient là. C’est une chose qui nous a beaucoup aidés. Je pense que pour moi, c’est comme si, si j’appelle un chat un chat, ils sentent probablement que j’invente des excuses bidons pour expliquer pourquoi je me suis désengagé en premier lieu. Je ne suis pas si occupé. Je peux venir, mais je choisis de ne pas le faire. Voilà la vérité. La réponse qu’ils obtiendront peut-être concernera ce que je pourrais avoir à faire demain, un nouveau chiot ou n’importe quoi d’autre.

Ce que je pense, c’est que lorsqu’ils en ont trop entendu pour se sentir à l’aise, ils franchissent la porte d’entrée et je les en remercie. Peut-être que je ne les ai pas vraiment remerciés, mais je devrais le faire parce que ça marche. Je ne sais pas. C’est une réponse de Brian à ce que vous pourriez faire. Peut-être que si vous l’essayiez, tout le monde s’en irait. Je ne sais pas. En tout cas, ça marche pour moi.

Laryssa

On en revient à la vérification du copain et oui, je pense que c’est ce à quoi j’ai fait allusion, c’est-à-dire que tu peux peut-être tendre la main à cette personne en qui tu penses pouvoir avoir confiance et tu dois t’ouvrir un peu, être prêt à y mettre de l’énergie et, comme je l’ai dit, à rendre des comptes.

Brian

Je suis prêt à m’instruire sur ce sujet. Je l’ai fait récemment, j’ai toujours pensé que personne ne s’occupait de ça. En fait, personne ne s’y intéresse au point que je me demande ce qui va se passer si j’aborde la question. Est-ce qu’on me regardera bizarrement dans la salle ? Ce que j’ai découvert, c’est qu’il y a des gens qui s’en occupent. Des travaux ont été réalisés. Nos partenaires australiens en ont fait un qui – je ne l’ai pas encore lu mais je vais certainement le faire. Ce qui m’a plu, c’est qu’à chaque fois que j’ai parlé de la solitude à d’autres anciens combattants ou à des personnes travaillant dans ce domaine, les gens ont hoché la tête, tout le monde est au courant. C’est l’une de ces conversations tacites. Où en sommes-nous ?

Qu’allons-nous faire en fin de compte ? Eh bien, nous avons cette conversation. Je suis curieux de voir quels sont les commentaires du public à ce sujet. Je pense que cela suscitera d’autres conversations. Si vous pensez à tout ce qui se fait dans notre espace il y a 15 ans, y avait-il quelqu’un d’assez courageux pour lever la main et dire : « Peut-être devrions-nous parler de cela » ?

Laryssa

Eh bien, pendant que vous dites cela, j’imagine… Encore une fois, comme je l’ai dit, je n’ai pas parlé à d’autres personnes parce que je ne pensais pas qu’elles vivaient la même chose. Parce que nous avons de plus en plus de conversations et que de plus en plus de gens hochent la tête, tout cela pour dire que vous n’êtes probablement pas la seule personne à ressentir cette solitude. Vous n’êtes pas la seule personne, peut-être dans le groupe de personnes avec lesquelles vous avez servi. Comme vous l’avez dit, c’est peut-être ce qui vous motive, pourquoi ne pas tendre la main à quelqu’un d’autre ?

Brian

Nous travaillons autour de la science, mais nous ne vivons pas notre vie de manière scientifique, donc je ne vis pas selon des définitions. Dans mon esprit, l’isolement, le manque de motivation et la solitude sont très, très liés. Pour moi, c’est le cas. Je suis sûr que quelqu’un est déjà en train d’écrire son argument, c’est ce que je dis, mais c’est ce qui était vrai pour moi, et donc certaines des solutions à la solitude étaient de briser les deux autres. Je soupçonne que le fait de remédier un peu à la solitude pourrait être une solution à des problèmes plus importants pour lesquels je n’ai pas de bonnes réponses à vous donner. Je ne sais pas ce qu’il faut faire à propos de certains problèmes majeurs, mais je pense que nous pouvons arriver à quelque chose si nous travaillons sur ce sujet.

Laryssa

Oui, je suis d’accord.

DESCRIPTION DE L’ÉPISODE

Que signifie pleurer la perte d’une personne qui est encore vivante?

Pouvons-nous pleurer la vie que nous pensions avoir tout en faisant preuve de reconnaissance à l’égard de celle que nous avons?

De nombreux membres de la famille d’un vétéran peuvent vivre un deuil, même s’ils n’ont pas perdu un être cher. Nous pouvons pleurer profondément la personne que cet être cher était auparavant, la personne que nous étions ou la vie que nous pensions avoir. En ne reconnaissant pas ce deuil et cette perte, nous pouvons nous sentir isolés et seuls.

Polly Maher, responsable de l’expertise vécue par les familles à l’Institut Atlas, se joint à Brian et à Laryssa pour expliquer comment elle a accepté ses sentiments de deuil et de perte. Elle exprime ses réflexions sur la façon dont ses relations se sont développées et renforcées après qu’elle a traité ces émotions complexes.

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L’ESPRIT AU-DELÀ DE LA MISSION, ÉPISODE 5 – « PLEURER LA PERTE D’UNE PERSONNE VIVANTE»

Laryssa

L’une des choses les plus difficiles que vous aurez à faire est de pleurer la perte d’une personne qui est encore vivante.

Notre connaissance du deuil et de la perte peut être très littérale jusqu’à ce que nous en fassions l’expérience. Nous ne nous rendons pas vraiment compte qu’il est possible de vivre ces sentiments tout au long de notre vie dans de nombreuses facettes de notre vie. Nous pouvons nous ennuyer de la personne que cet être cher était auparavant ou même de la personne que nous étions. En ne reconnaissant pas ce deuil et cette perte, nous pouvons nous sentir isolés et seuls.

Brian

Nous ne parlons pas de funérailles n’est-ce pas?

Laryssa

Non.

Brian

Mais dans quelle mesure cela tient-il simplement au fait que nous vieillissons? J’ai rencontré un de mes amis il y a quelque temps. Lorsque nous nous sommes enrôlés dans l’armée, nous sortions dans les bars, nous faisions des choses de jeunes. Maintenant, il parle de ses confitures maison…

Nous n’avons plus 19 ou 20 ans, nous devrions plutôt faire des choses qu’une personne de 40 ans fait. N’est-ce pas simplement le fait que nous vieillissons ou est-ce plutôt cette transformation vers une personne totalement différente?

Laryssa

Eh bien, je crois qu’une partie de ce dont nous parlons aujourd’hui est en quelque sorte la relation entre le deuil et le diagnostic de santé mentale et la façon dont cela touche les membres de la famille.

Polly Mahar se joint à nous encore aujourd’hui. Polly, voulez-vous vous présenter brièvement?

Polly

Bien sûr. Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui avec deux belles personnes!

Brian

Je suis beau?

Polly

Oui beau. La barbe est magnifique. J’adore. Alors oui, je me présente, Polly Mahar, je suis la responsable…

Brian

Allez… C’est votre chance…

Polly

Non, non…

Brian

Sérieusement Polly? (rires)

Polly

Je suis responsable de l’expérience vécue par les familles à l’Institut Atlas pour les vétérans et leur famille depuis novembre dernier. J’ai travaillé auparavant dans le domaine du soutien par les pairs pendant 10 ans. Et si vous deviez me demander : « Qui est Polly? » Je m’invente encore, mais pour l’instant, je veux vraiment essayer d’améliorer la vie des vétérans et de leur famille.

La route avec un être cher atteint du TSPT est difficile, mais lorsqu’il y a une communauté pour nous appuyer, c’est beaucoup plus facile. Je suis donc très heureuse d’être ici ce matin avec ma petite communauté tissée serré pour parler de ce sujet. Parce que le sujet du deuil et de la perte m’a vraiment aidée dans mon cheminement pour composer avec le TSPT de mon conjoint.

Brian

Pour ma part, une des choses qui me manque de mon ancien moi… Lorsque les gens avaient une idée, voulaient faire quelque chose ou m’invitaient…. la seule chose qui me préoccupait était de savoir si je voulais vraiment le faire.

« Tu veux aller au champ de tir? » Est-ce que j’ai envie de le faire? Et si oui, la seule chose qui sortait de ma bouche était : « Oui, allons-y. Trouvons un moyen de le faire. » Ce n’est plus comme cela maintenant. Ce n’est plus le cas depuis un certain temps. Voici maintenant le processus par lequel je passe : veux-tu venir pour un barbecue? Sans aucun doute, oui. Mais je me demande qui sera là, comment nous y arriverons, comment je pourrai partir quand les choses tourneront mal. Et la liste est longue. Donc, la nouvelle version de moi, bien sûr, je suis plus instruit, plus expérimenté, probablement meilleur dans beaucoup de choses. Mais je dis non à presque tout.

Laryssa

Vous parlez de la nouvelle version de vous-même. Polly et moi avons toutes deux offert du soutien à plusieurs familles dans le cadre de nombreuses conversations. Je suis certaine Polly que vous vous souvenez des commentaires de nombreux membres de la famille qui nous disaient : « L’homme (ou la femme) que j’ai épousé me manque. »

Alors que vous vivez cela, Brian, cette nouvelle identité, les membres de votre famille le vivent aussi et cela nous amène à ce processus de deuil. Quel est le lien entre le deuil et le TSPT?

Polly

Eh bien, pour moi, cela s’est concrétisé vers 2001. Mon conjoint avait reçu son diagnostic quelques années auparavant. En fait – encore une fois, c’est un autre élément pour lequel je suis reconnaissante maintenant que c’était si tôt après son diagnostic, parce que je me demande si c’est arrivé ou si j’y serais arrivée. Mais une travailleuse sociale m’a regardée et m’a dit : « Parlons du deuil; vous devez acheter le livre intitulé « The Grief Recovery » et nous allons examiner les détails… »

Je là à la regarder et ce qui est littéralement sorti de ma bouche, c’est : « Personne n’est mort. » Vous comprenez? J’associais le deuil à la perte de vie. Je n’avais jamais associé le deuil à quoi que ce soit d’autre. Et pourtant je traversais toutes ces étapes, le déni, la colère… je n’avais pas encore atteint l’acceptation n’est-ce pas?

Donc pour moi, ce qu’elle a fait, c’est qu’elle a simplement élargi cette lentille quant à ce qu’implique le deuil. Elle m’a également fait comprendre que c’est bien l’homme que j’ai épousé. C’est cependant une version différente de cet homme. Et cet amour et ce lien que nous avons sont toujours là. Je devrai peut-être examiner la situation de plus près et son comportement sera certainement différent.

Laryssa

Si je puis me permettre, pouvez-vous me parler de cette version différente? Donc, si quelqu’un écoute et se demande ce que cela a à voir avec tout cela, quelles étaient les choses qui vous manquaient ou quelles étaient les différences?

Polly

J’ai dû faire mon deuil. Nous avions 21 ans quand nous nous sommes mariés. J’avais 22 ans quand j’ai eu mon premier enfant. À 25 ans, j’ai eu mon deuxième enfant. Il quittait déjà l’armée à ce moment-là. Il avait servi en Bosnie… Nous avions prévu un bel avenir. Il allait être policier, pompier ou agent correctionnel.

Brian

Ça me dit quelque chose.

Polly

Oui. Tout d’abord, cela n’a pas fonctionné. Et il y avait des raisons. C’était dans les années 1990, il y avait des compressions budgétaires et une foule de différentes autres choses. Vous allez donc au plan B. Mais en réalité, vous êtes toujours en deuil du plan A. Vous ne pouvez donc pas acheter votre première maison parce que vous n’avez pas encore de base solide. Mais quand vous grandissez, vous avez cette idée de la maison parfaite. Il va être ce papa qui lance la balle aux enfants et qui fait toutes sortes de choses différentes. La lentille s’est rétrécie progressivement parce qu’il y avait des choses qu’il ne pouvait pas faire en raison du TSPT et des symptômes…

Donc, Brian, comme vous l’avez mentionné, vous n’assistiez pas aux réunions de famille et autres activités? Il n’assistait pas aux activités familiales, il n’allait pas aux matchs de hockey ou de baseball des enfants… S’il y allait, il lui fallait toute son énergie pour le faire. Et puis nous avons dû composer avec la colère et le reste.

Il m’a donc fallu faire le deuil de ma vision de notre vie et accepter ce qu’elle était dans les circonstances.

Laryssa

Et je pense que les règles changent aussi. Je me souviens d’avoir été une jeune mère avec deux ou trois enfants et j’avais cette vision de sorties familiales heureuses… Parfois mon conjoint avait des symptômes et ne pouvait pas y participer… Il fallait donc que je change mon fusil d’épaule assez rapidement et que je décide si j’y allais toujours avec les enfants…. Oui… J’étais très fâchée, pour plusieurs raisons. Ce n’est que quelques années plus tard que certaines personnes m’ont présenté le concept de deuil.

Et quand j’ai regardé – il y a différents modèles de processus de deuil, mais si vous regardez Kübler-Ross par exemple, il y a différentes étapes et la colère est l’une d’elles. Quand j’ai pris la peine de regarder toutes les pièces du casse-tête, j’ai constaté que c’est possiblement ce qui se passe pour moi. Cela m’a vraiment aidée à accepter qu’il s’agissait de quelque chose dont je devais faire mon deuil et que c’était correct de le faire.

Pour être honnête, cependant, je ne suis pas certaine si c’est quelque chose dont j’ai parlé directement à mon conjoint… c’était quelque chose que je gardais pour moi parce que j’essayais d’apprivoiser tout cela.

Polly

Oui. Je pense que pour moi, parce que je l’ai fait avec ma thérapeute, la question n’a pas été soulevée… Je ne pense pas que Sean était prêt à entendre que je pleure sa perte alors qu’il est devant moi. Encore une fois, il s’agit de comprendre où en est votre conjoint. Mais nous avons maintenant ces conversations. Et il se rend compte que parce qu’il avait ces paramètres d’hypervigilance, « Où est-ce que je vais? Qu’est-ce que je fais? » ou que sa dépression était vraiment profonde, il a raté de belles activités familiales et autres, mais nous ne pouvons pas revenir en arrière, n’est-ce pas? Je suis certaine que si je lui parle, il doit lui aussi faire le deuil de la personne qu’il était…

Mais pour moi, ça été un véritable point tournant de pouvoir accepter la situation… c’est notre nouvelle normalité. Et cela va toujours évoluer. Je pense que c’est l’autre pièce du casse-tête. Cela m’a permis de mieux gérer mes attentes. Et cela a fonctionné pour moi.

Brian

Je pense que pour plusieurs d’entre nous, si vous regardez le travail que nous faisons, quand vous êtes en service, peu importe, c’est probablement la meilleure version de vous-même, ou du moins ce que vous envisagez… Je compare cela au vedettariat. Non, nous ne sommes pas des vedettes, mais c’est Brian à son meilleur. C’est la meilleure version de moi-même. C’est là que je me sentais le plus chez moi, et je regarde ce que j’ai pu faire, puis je compare cela à un type qui ne peut pas faire d’achats. Par exemple, comment puis-je commander 34 personnes dans un pays étranger et m’en tirer très bien, mais que je ne suis pas capable d’aller chez Costco. Comment ça?

Et il y a toutes sortes de petites choses. Un événement très important dans notre famille… Je dois emmener mon enfant à son premier concert. C’est le père qui doit emmener son enfant à son premier spectacle de rock. C’est la façon de faire — c’est la règle. C’est ainsi n’est-ce pas? Mais d’assister à ce concert… Ça été un processus de six semaines. Et ce n’est pas moi qui étire. En fait, je suis en train de résumer la situation, et une bonne partie du temps passé était consacrée à chercher un moyen de ne pas y aller. Je m’ennuie de ce gars qui pouvait assister à deux concerts en une fin de semaine. Ce n’était pas moi. Oui, c’est en partie parce que je suis plus âgé. Mais il y a aussi l’évaluation de la menace…

Polly

Oui, exactement. C’est ce que j’allais dire, Brian. Vous êtes-vous demandé où vous alliez vous asseoir? Où sont vos places, ce genre de choses? Parce que pour ma part, je sais que c’est quelque chose que nous prenons en considération. Sean veut faire beaucoup de choses, alors comment pouvons-nous y arriver?

Brian

Oui. J’entre dans un immeuble en songeant uniquement à en ressortir. Je réserve mes places en ayant en tête le moment du départ! Mon enfant veut voir la scène et quant à moi, je choisi la section 112 au General Motors Place parce que je sais que je peux sortir rapidement si besoin. Le SkyTrain est tout à côté. Je ne suis pas là pour m’amuser… Je pense stratégie plutôt… Cette année, j’ai refusé d’assister à trois matchs de hockey. Le seul match auquel j’ai assisté est celui où l’armée avait reçu un grand nombre de billets, tout comme les vétérans. Je savais que je serais entouré d’environ 200 personnes qui pensent comme moi, qui agissent comme moi et je surtout connais la plupart d’entre elles.

C’est le seul match auquel j’ai assisté… Tous savent que je veux assister à un match de hockey.

Laryssa

Il y a tant à dire là-dessus, parce que je suis certaine que pour vous, vous avez eu l’impression que vous aviez peut-être laissé tomber votre enfant ou vous-même car vous pouvez vous dire « J’avais l’habitude de commander 34 hommes et femmes. » Il y a donc cette perte d’identité. Mais c’est drôle que nous parlions aussi d’événements et de choses du genre, que nous pleurions cet aspect. Je vous en ai déjà parlé à tous les deux, et je sais que cela peut sembler trivial, mais pour une raison ou une autre, c’est vraiment important pour moi — la fête du Canada est l’une de mes fêtes favorites de l’année, et je suppose que je dois faire mon deuil, puis accepter que je n’assisterai pas aux cérémonies avec mon conjoint. Je vais simplement m’en abstenir. Je dois donc élaborer un plan et y aller seule ou avec des amis. Il va me reconduire, il revient me chercher plus tard, quelque chose comme ça. Mais il est intéressant de constater que ce sont parfois ces événements ou la façon dont nous concevons la vie que nous devons pleurer, puis nous devons évoluer ou nous adapter.

Brian

Oui. Nous parlions tout à l’heure des familles, mais en ce qui concerne le deuil, oui, je m’ennuie du gars n’avait qu’à se poser la question si ou ou non, ou encore si c’était possible ou non. Vous parlez de feux d’artifice, c’est l’une des choses auxquelles les gens pensent lorsqu’ils parlent de trouble de stress post-traumatique. On entend toutes sortes de choses sur le fait qu’il ne faut pas faire de feux d’artifice et que les feux d’artifice dérangent les vétérans. Et pour être juste, certains d’entre nous, pour certaines personnes, non.

Mais c’est l’odeur. C’est le bruit. C’est la lumière. Mais c’est aussi le fait que cela nous rappelle les tirs éclairants, n’est-ce pas? Il ne s’agit pas seulement d’un feu d’artifice, mais d’une chose que nous faisions lorsque nous ne savions pas ce qui se passait, ou lorsque nous savions que quelque chose se passait et que nous voulions savoir de quoi il s’agissait… Autrement dit, la menace. Vous comprenez? Et donc, quand des dizaines de milliers de personnes vont se rassembler à English Bay à Vancouver pour regarder la Symphony of Fire, un concours de feux d’artifice, je n’y serai pas pour ma part, absolument pas… Je n’y retournerai jamais.

Il n’y a pas grand-chose que je peux vous dire avec certitude que je ne ferai jamais au grand jamais. Hé, je travaille dans le domaine de la santé! Comment se fait-il que cela se soit produit? (rires)

Il y a cinq ans, je n’aurais jamais pensé que je serais dans un état comme celui dans lequel je suis actuellement. Mais je peux vous dire que je n’irai plus jamais à un feu d’artifice. Pour moi, ce n’est pas du bruit. Qu’essayons-nous de trouver? Qu’y a-t-il là-bas? Et oui, le gars qui n’a jamais eu à s’inquiéter de ces choses me manque.

Polly

Et je pense qu’en tant que membre de la famille, je m’ennuie un peu de cette insouciance… De cette spontanéité… Parce que, encore une fois, comme vous le dites, Brian, vous évaluez la menace ou quoi que ce soit d’autre, mais pour notre part, nous évaluons ce qui va servir d’élément déclencheur, et ensuite l’humeur du vétéran en vous. Encore une fois, nous faisons preuve d’une hypervigilance, ce qui est épuisant.

Brian

Le but d’un voyage n’est-il pas de vivre quelque chose de nouveau? Mais savez-vous ce que je ressens quand quelqu’un dit que nous allons essayer quelque chose de nouveau? Euh, non!

Laryssa

Et spontanément! J’en suis certaine (rires).

Brian

Nous allons aller au même restaurant où nous allons chaque fois. Et probablement à la même table… Je ne veux pas de spontanéité. Je veux de la prévisibilité maintenant. Pour toujours.

Polly

Et c’est difficile. Et quand vous parlez de ces expériences de vie, je me souviens de quelques événements qui témoignent du deuil, par exemple la remise des diplômes de 8e année de mon fils….. Sean a assisté à la cérémonie, mon fils a remporté un prix et me voilà qui pleure…. Mais…. Dépêchons-nous, il faut s’en aller, il y a plein de gens autour de nous…. Et pour mon autre fils, il n’est pas allé à sa graduation. Il n’était pas en forme, alors c’est difficile.

Je pense… en fait je suis certaine que c’était difficile pour lui, mais pour moi, en tant que mère, je ne peux que regarder… et les enfants peuvent lui dire : « C’est OK, papa. Je comprends, » mais il y a…

Laryssa

C’est un processus pour eux également.

Polly

C’est un processus.

Brian

Nous avons vécu beaucoup de… Les enfants sont aux prises avec le stress… Pour moi, l’enfance a été une période désagréable…. Je n’aime pas y repenser… « L’école secondaire va vous manquer! » Non! Non, pas du tout. Pour ma part, c’est certain que non! Mais je me souviens à quel point la vie était difficile à l’adolescence. Et mes enfants, ils ont tous des moments où ils vivent quelque chose et ils peuvent m’en parler, mais généralement ils ne le font pas, du moins pas tout de suite. Parce que dans leur esprit, tout ce qu’ils font pourrait empirer la journée de papa, n’est-ce pas?

Ils protègent donc papa en n’ayant pas de problème, mais ils ont un problème. Vous comprenez? Et pour moi, c’est… Je veux dire, nous parlons de deuil, mais c’est là qu’entre en jeu la culpabilité.

Polly

 C’est un tout autre sujet. C’est certain, oui.

Laryssa

J’aimerais aussi parler de la perte de notre communauté. Hum…Je ne sais pas si je veux utiliser le mot « cliché, mais il y a une camaraderie entre les militaires. Nous le savons. Mais pour les membres de la famille, il peut aussi y avoir la perte de la communauté. Et le simple fait de partager une partie de ma propre expérience, qui n’est pas directement liée à la santé mentale de mon conjoint, mais je suppose que ça pourrait l’être, c’est après avoir soutenu mon conjoint pendant si longtemps, le jour où il a pris sa retraite, il m’a envoyé un texto qui disait « Retraité ».

J’assistais à une séance de formation avec d’autres personnes et je me souviens avoir dû me lever de la table, quitter la pièce et prendre un moment pour moi dans la salle de bain parce que cela représentait une partie de mes réalisations, une partie de mon identité… Je n’étais plus à ce moment membre de la grande famille militaire.

J’étais peut-être un membre de la famille d’un vétéran, mais qu’est-ce que cela signifiait pour moi? Quand vous quittez l’armée, vous quittez une certaine communauté, vous quittez une certaine sécurité. Et cela pourrait peut-être faire partie du processus de libération du service militaire si quelqu’un est libéré pour des raisons médicales en raison d’un problème de santé mentale.

Alors, par curiosité, Polly, avez-vous déjà vécu quelque chose de ce genre? Vous et moi avons parlé de notre identité en tant que membres de la famille d’un vétéran, ou peut-être que des personnes que vous souteniez vous en ont parlé.

Polly

Oui, je pense que pour moi, notre situation était différente, en ce sens qu’il avait pris sa retraite, c’était la fin de son contrat.

Nous avions pris conjointement la décision. Et je dirais que j’ai perdu ma communauté en Allemagne. Mon conjoint était en poste à l’étranger. Il y avait très peu de couples mariés. Il y avait ce groupe de 20 personnes, mais c’était notre famille. Nous organisions des soupers le dimanche et d’autres choses. Ça été très difficile de partir. Puis nous sommes déménagés et nous avons perdu de vue ces personnes. Donc, nous avons perdu cette communauté soudée avant de passer à une communauté regroupant davantage de civils.

Puis nous avons été affectés à Ottawa. Encore une fois, nous n’étions pas vraiment sur une base. Puis, lorsque nous avons déménagé à Petawawa, je n’ai pas vraiment eu beaucoup de temps pour apprendre à connaître les gens. Il y avait quelques personnes, mais pour moi, il s’agissait vraiment de savoir comment bâtir une communauté.

Et la communauté que j’avais avant d’entrer dans la vie militaire avec Sean, cette communauté ne correspondait plus vraiment à l’élément de santé mentale. Il s’agissait donc de trouver la communauté qui fonctionnait pour nous. Et puis il y a la stigmatisation subie lorsqu’il a avoué souffrir de TSPT. Il y a ces amis qui sont encore en service et qui ne communiquent pas avec vous aussi souvent… Est-ce contagieux ce trouble? Ou je ne veux pas admettre souffrir de TSPT parce que je suis toujours dans les forces armées et qu’il me reste encore 15 ou 20 ans, n’est-ce pas?

Ce que j’ai vu, ce sont les effets secondaires de la vie que nous avons bâtie et de la communauté à laquelle nous appartenons maintenant, des gens qui comptent sur nous pour obtenir ce soutien parce que nous avons l’expérience en ce domaine. Cela donne donc à mon mari une raison d’être.

Brian

C’est intéressant parce que je réfléchis souvent au fait que, même s’il y a beaucoup de choses bizarres dans l’armée et qu’il y a beaucoup de situations du type « dépêchez-vous et attendez, préparez-vous à faire ceci, attendez, préparez-vous à le faire à nouveau ». Mais tout est important. Cet environnement où tout est important me manque.

Quand vous livrez le courrier aux membres de votre peloton, mettez-vous des vies en danger? Oui, nous le faisons. Nous ne livrons pas que le courrier, nous remontons le moral des militaires. Sortir les ordures, c’est important n’est-ce pas? Il en va de la santé de mon peloton. Il en va de la propreté de la zone dans laquelle nous travaillons.

Sortir les ordures, c’est important. À la maison… honnêtement, même si je cherche à éduquer mes enfants à ce sujet, je suis celui qui pousse les ordures dans le sac. Parce que ça n’a pas d’importance. Ça peut attendre. Eh bien, lorsque vous menez votre vie et que vous vous occupez de votre famille, comme toutes les choses à leur sujet peuvent attendre parce qu’il ne s’agit pas d’événements de vie ou de mort, vous les classez plus bas, eh bien, quel est l’effet à long terme sur cette famille qui se sent au bas de cette hiérarchie? Mais j’avoue que me trouver dans un environnement où l’enlèvement des ordures est important me manque.

Laryssa

Hmm. Intéressant.

Polly

Laryssa, tu as parlé de quitter la communauté militaire… Mais est-ce que tu avais une idée de qui tu étais? Où en étais-tu, où te situais-tu par rapport à cela, y a-t-il eu une perte?

 Laryssa

Je crois que oui. Comme je l’ai dit, cela fait toujours partie de notre identité, et ce n’est pas le cas de toutes les familles de militaires. Pour certaines personnes, la profession de leur conjoint est tout à fait distincte, mais pour ma part, cela faisait partie de mon identité. Mon père a servi dans les forces armées, alors j’ai toujours eu cette influence. Je pense que nous étions très fiers du fait que mon père ait fait partie des forces armées. C’est donc quelque chose dont je suis fière et, vraiment, être membre d’une famille militaire n’est pas une chose facile et je pense vraiment que ce n’est pas tout le monde qui peut le faire. Encore une fois, j’étais très fière de cette appartenance.

Et même mes enfants étaient fiers de cette appartenance au groupe de « brats ».

Brian

N’est-il pas étrange que beaucoup de gens pensent que c’est une insulte? Oui. Ce n’est pas une insulte même si cela peut sembler le cas pour plusieurs personnes. Les jeunes de la base savent exactement ce que cela signifie. Pour eux, c’est une question d’identité, d’appartenance.

Laryssa

Oui, absolument. Je pense que cela faisait partie du deuil que j’ai vécu. Je devais me trouver de nouveaux repères. Une chose à laquelle j’ai beaucoup réfléchi récemment fait maintenant partie de mon identité comme membre de la famille d’un vétéran. Certaines personnes que je cherche à lier mon identité à quelqu’un d’autre, mais pour moi, ce n’est pas le cas. Je suis membre de la famille d’un vétéran parce que j’ai vécu mes propres expériences à cet égard. Mon conjoint n’a pas cette expérience.

J’ai bâti une carrière, je fais partie d’une communauté. Cela en fait donc partie intégrante, mais il y a eu une certaine transition et une période d’acceptation. Il y a beaucoup d’autres identifiants. J’aime à penser que je suis un défenseur. Je suis une mère, je suis une conjointe. Je suis une amie. Je suis une jardinière.

Polly

Tu es une excellente jardinière.

Laryssa

Merci! Oui, cela en fait partie. Mais il y a eu une sorte de processus de deuil et de définition, comme cette nouvelle identité que vous avez mentionnée Brian.

Brian

Eh bien, je trouve que mes enfants ont de la difficulté à expliquer ce que je fais. Et ce n’est pas ce que je fais maintenant. C’est que c’était si évident quand on est dans l’armée, cela définit qui on est. Et c’est aussi qui ils sont. Ils font aussi partie de cette expérience. Mais oui, je pense que c’est en grande partie parce que même si les forces armées créent pour vous des choses qui sont difficiles, elles ont toutes un sens.

Quand on vous dit que votre conjoint va partir pendant sept mois, vous savez exactement ce que vous devez faire. Vous ne savez pas comment les choses vont se dérouler, mais vous savez ce qui s’en vient. Et vous commencez tous les deux à entrer dans ce processus… Ce récital de danse auquel j’allais assister, c’est à la poubelle. Devinez quoi? Les anniversaires, toutes ces choses ont disparu, n’est-ce pas?

Certaines personnes pourraient se dire maintenant, eh bien, vous ne manquerez plus ces choses, n’est-ce pas mieux? Vous avez raison. Les anniversaires ne me manquent pas. Si c’était le cas, j’aurais beaucoup de problèmes. Mais l’autre chose, c’est que, même si c’est bien de pouvoir faire ça, vous n’avez aucune idée à quel point la personne que j’étais me manque, avec le sentiment d’être au sommet de mon art. Et c’est une lutte. C’est une période de deuil. Et quand les gens pensent que je peux quitter les forces armées et faire cette transition vers cette nouvelle vie en un clin d’œil… non, je suis en deuil…. J’ai besoin de temps.

Polly

Et je pense que c’est génial de souligner cette perte d’estime de soi parce que, encore une fois, je me suis vue confier ce rôle de soignant à un jeune âge. Je me sentais parfois comme un parent célibataire dans une famille comportant deux parents. Et donc, même si je pleurais la perte de mes attentes et de ce à quoi je pensais que la vie allait ressembler, je ne me rendais pas vraiment compte que je m’étais perdue.

Il y a quelques années, je sortais avec un ami de l’école secondaire et il m’a dit : « Oh mon Dieu, c’est la Polly dont je me souviens! » Et je me suis dit, ai-je tellement changé? Vous comprenez? Quelles sont les qualités que je voudrais retrouver dans ma vie?

Je me trouver terne maintenant, mais je pense que j’avais beaucoup plus de plaisir auparavant. Et maintenant, je suis peut-être plus réaliste, ce qui peut être un désavantage parfois, n’est-ce pas? C’est la réalité. Plein de choses vont arriver et nous allons passer au travers.

Et le mot du jour est « résilient ». Mais vous perdez peut-être ces petites étincelles.

Laryssa

Je pense, en particulier pour moi, que lorsque j’étais une jeune mère avec des enfants et que je soutenais quelqu’un qui souffrait de TSPT, mes priorités étaient différentes. Il s’agit de veiller à ce que les enfants soient nourris et à ce que l’être cher ait pris sa douche, se rende à son rendez-vous ou quoi que ce soit d’autre. C’est graduel et on oublie parfois. Et il peut y avoir ce changement vers le rôle de proche aidant. Pour ce qui est des familles à qui j’ai parlé au fil des ans, certaines d’entre elles, cela faisait vraiment partie de leur identité et cela les effrayait de perdre cette identité. Qu’il s’agisse d’un être cher qui allait recevoir des soins prolongés pendant six à huit semaines, la question était de savoir « qui suis-je pendant son absence? ».

Ou encore le vétéran en est arrivé à un point où il n’a plus besoin de vous comme proche aidant. Il y a selon moi cette perte d’identité également.

Polly

Pour moi, ça été un gros choc. Un très gros choc. Quand mon mari a commencé à aller mieux, je me suis demandé quel était mon rôle maintenant.

Parce que j’avais déjà commencé à prendre du recul, mais maintenant, je ne sais même plus quand sont ses rendez-vous. Il s’occupe de ses propres rendez-vous. La pharmacie lui livre ses piluliers. Je n’ai pas à m’inquiéter au sujet de ses pilules, je sais encore ce qu’il prend et ce genre de choses, mais il commande son cannabis, il peut aller chez Costco… Bref il s’occupe de lui. Il a un chien d’assistance, alors nous avons mis des outils en place pour lui, mais il peut faire beaucoup de choses et parfois je l’oublie. Il y a eu une période où j’ai dû faire mon deuil. Qui suis-je si je ne suis pas Polly qui s’occupe de Sean?

Et puis, la maison s’est vidée. Nous avons encore un fils à la maison, mais il est indépendant. Il a 26 ans. Les besoins ne sont donc pas les mêmes. Les autres n’ont plus autant besoin de moi, n’est-ce pas? Qu’est-ce que j’ai fait? Je me suis impliquée davantage dans la communauté des vétérans et dans le travail.

Mais il s’agit de s’adapter. On s’adapte donc constamment et je suis certaine qu’avec le temps et à mesure que nous vieillissons, cela changera encore pour en arriver au rôle de grand-parent. Vous comprenez?

Brian

Il y a aussi cette question qui revient à plusieurs reprises : « Hey! Bonjour! Content de vous voir! Comment va votre mari? » Est-ce que ça vous manque de vous faire demander tout simplement « Comment allez-vous? »

Polly

Tout à fait. J’ai fait la même chose. En œuvrant auprès de cette communauté, j’essaie toujours de demander à la personne : « Mais vous, comment allez-vous? Comment allez-vous? » Et quand les gens me posent la question, je me dis, oh, je ne veux pas répondre à cette question. Vous comprenez? Je voulais simplement vous le dire. Alors nous essayons de changer de sujet, mais oui, la question dans tout cela est la suivante : « Et moi? Je suis importante, n’est-ce pas? »

Il s’agit donc de trouver cet équilibre. Mais c’est certainement une perte que nous vivons tous à un moment ou à un autre. Et comme tu l’as dit, Laryssa, tu sais quelle peut être cette identité, que ce soit parce que tu t’es identifiée comme une famille militaire et que tu étais vraiment enracinée dans cette communauté militaire. Pour ma part, c’est comme si je disais que je n’étais pas aussi enracinée et que je ne m’identifiais pas comme une famille militaire. Mais j’ai perdu ce sentiment d’identité après son diagnostic et je ne savais tout simplement plus à quoi m’identifier. Y avait-il encore de la place pour nos espoirs et nos rêves?

Laryssa

Exactement. Cela m’amène à me poser une question. Nous avons parlé du deuil, de la perte de la personne que vous avez épousée, de la perte de vous-même, de la perte d’une carrière, de la perte d’une communauté. Mais qu’y a-t-il au-delà de ce deuil? Quelle est la suite?

Polly

Pour moi, j’aime ma vie maintenant. Il y a encore des obstacles, etc., mais je pense que si vous commencez à accepter ces pertes et à y faire face, parce que vous devez y faire face…. Et ma suggestion est la suivante : ne le faites pas seuls.

Il y a d’excellents professionnels et si les deux ou trois premiers ne conviennent pas, c’est correct. Continuez d’essayer. Et bâtissez votre communauté autour de vous avec des gens qui pensent comme vous et qui ont, d’une certaine façon, suivi le même chemin que vous. Parce que l’une des choses qui m’ont beaucoup touchée avec le soutien des pairs, c’est que je me présentais, que ce soit au téléphone ou dans un Tim Hortons pour prendre un café, et au cours des cinq premières minutes, il y avait un lien. Un lien de vulnérabilité. Et les gens restaient assis là pendant cette conversation d’une heure, ou deux ou trois, parce que j’écoutais et je validais. Et parfois, c’était la première fois que les gens validaient ce qu’ils ressentaient. C’est ainsi que je me suis sentie lorsque j’ai trouvé du soutien par les pairs…

Je crois donc qu’il est important de bâtir cette communauté autour de vous pour surmonter le deuil. Ce sera probablement un peu différent de ce à quoi ressemblait peut-être votre communauté militaire, mais il y aura probablement beaucoup de vétérans et de conjoints de vétérans, ou de premiers répondants, parce que nous pouvons tous nous retrouver dans le domaine de la santé mentale, n’est-ce pas?

Pour moi, notre relation est plus forte. Et je suis très fière qu’il essaie constamment d’améliorer sa qualité de vie. En retour, cela va améliorer notre qualité de vie et nous travaillons tous les deux à améliorer notre vie.

Laryssa

Je pense que cela fait partie du secret. Et quelque chose que tu as dit, pour moi, j’ai dû me donner la permission de pleurer la perte de la vie que j’avais imaginée. La personne que je croyais qu’il était, ou qu’il était [avant]. Parce qu’il y a des changements, et la réalité, c’est qu’en tant que conjoint qui subvient aux besoins d’une personne atteinte de TSPT, il y a des changements qui surviennent chez moi également.

Et c’est correct de faire le deuil de cela et de découvrir et d’aimer mon conjoint tel qu’il est, ou la relation ou moi-même en fait, de me découvrir. Il n’y a donc pas de mal à faire le deuil de cette autre partie et à aller de l’avant.

DESCRIPTION DE L’ÉPISODE

Bien que la communication soit une compétence essentielle pour quiconque sert dans l’armée, elle peut souvent devenir un défi pour les vétérans qui vivent avec une blessure de stress traumatique. Les vétérans et les membres de leur famille peuvent être confrontés à des obstacles inattendus qui nuisent à la communication ouverte et sécuritaire sur laquelle chaque relation repose.

Dans cet épisode, nos animateurs, Brian et Laryssa, puisent dans leur vécu pour parler de stratégies et de ressources qui leur ont été utiles pour cultiver une communication saine et efficace dans leurs relations avec leur conjoint, leurs enfants, leurs fournisseurs de services et d’autres personnes dans leur vie quotidienne.

Ressources

Les familles et les amis | Institut Atlas pour les vétérans et leur famille

Conseils pour exprimer sa colère dans une relation | Services bien-être et moral des Forces canadiennes

Histoires des militaires et de leur famille | Services bien-être et moral des Forces canadiennes

L’équithérapie pour les blessures liées au stress opérationnel (en anglais seulement) |Can Praxis

Couples qui surmontent le TSPT au quotidien (COPE) | Wounded Warriors Canada

Services de santé mentale pour les jeunes et les adultes (en anglais seulement) |Strongest Families Institute

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L’ESPRIT AU-DELÀ DE LA MISSION, ÉPISODE 4 – « POURQUOI LA COMMUNICATION EST-ELLE SI DIFFICILE? »

Laryssa

La communication est essentielle au succès des opérations militaires. Elle fait partie de chaque étape. Lors des entraînements, des ordres pour la journée, des notes d’information, des groupes des ordres. Il existe même des rétroactions immédiates et des comptes rendus après action pour les cas où quelque chose s’est produit. Il semble donc ironique que, en prévision de cet épisode sur la communication, Brian et moi ayons eu la même réponse : « La communication? Ce n’est pas ma tasse de thé! »

Dans cet épisode, on tentera d’expliquer pourquoi il est si difficile de communiquer avec une personne ayant subi un traumatisme lié au stress, ainsi qu’avec les membres de sa famille.

Brian

D’une certaine façon, lorsqu’on a commencé à en parler, je me disais : « Peut-on parler d’autre chose? D’une chose avec laquelle je suis plus à l’aise, quelque chose de plus facile? »

À bien des égards, je préférerais parler de choses vraiment très désagréables plutôt que de parler des raisons pour lesquelles il est difficile de communiquer. Même à la maison, c’est inquiétant lorsqu’une discussion commence par « Il faut qu’on se parle… ». Ça peut être quelque chose de vraiment bénin, mais ça me met en mode « Quelle bombe est sur le point d’exploser? ». Je préférerais une vraie bombe. Toutes ces pressions me viennent à l’esprit quand on me dit : « Chéri, asseyons-nous et parlons. »

Donc, à cet égard, les militaires communiquent, mais lorsque je communique avec mes supérieurs, c’est un briefing de suivi. Je réponds à quelque chose qu’ils m’ont dit de faire et je leur montre comment je compte le faire.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Lorsque je communique avec un subordonné, ce sont des ordres. Je ne suis pas vraiment préoccupé par ce qu’il pense de la patrouille qu’il s’apprête à faire. « Tu y vas, as-tu des questions? » Et quand je communique avec mes collègues, c’est parce que je vais faire passer mes hommes par ce secteur, et ils vont faire passer les leurs par là. Nous devons planifier pour ne pas nous heurter les uns aux autres ni nuire aux activités des autres.

Je ne communique pas de la façon dont toi et moi communiquons lorsque nous déterminons comment répondre à nos besoins, comment nous allons réaliser ce projet.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Et cela n’a certainement rien à voir avec la façon dont je communique avec ma femme. Alors oui, j’ai des cours en communication, mais la communication que tu cherches me fait peur parfois.

Laryssa

Oui, parce que la communication dont tu parles est unidirectionnelle. Tu fournis ou reçois de l’information, et c’est tout. Comme tu as déjà dit, une partie de la formation que tu as suivie consiste à utiliser le moins de syllabes possible pour communiquer quelque chose.

Toi et moi en avons discuté, et dans le cadre d’une relation, il faut en faire plus. C’est censé être une communication bidirectionnelle. Il faut être réceptif à l’autre personne. Il faut reformuler, ce genre de choses. Je pense t’avoir déjà posé cette question. Si les militaires comptent tellement sur la communication et que vous y êtes formés, pourquoi est-ce si difficile pour tant de vétérans de communiquer au sein de cette grande famille?

Brian

Il y a une mission à laquelle j’ai participé et je veux parler de mon indicatif d’appel. Parce que oui, nous en avons vraiment. Beaucoup de gens se moquent des indicatifs d’appel lorsqu’ils visionnent Top Gun ou lorsque quelque chose de mauvais est annoncé dans les nouvelles. C’est d’ailleurs arrivé récemment dans notre communauté, dans le monde des indicatifs d’appel. On m’appelait « 3-3 Pronto » pour l’une des missions auxquelles j’ai participé, ce qui signifie le troisième peloton de la troisième compagnie, soit la compagnie Charlie. Donc, 3-3, 9e peloton. Pronto est le signaleur de peloton. C’était donc mon travail pour cette mission. Ce n’est pas un nom génial et nous ne l’utilisons pas dans les bars pour impressionner les gens. C’est censé être trompeur. Si tu ne savais pas ce que je viens de te dire, tu ne saurais pas ce que signifie « 3-3 Pronto ». Notre communication est donc basée sur la tromperie de toute personne autre que celle à qui j’avais l’intention de dire ce que j’avais l’intention de dire.

Laryssa

Hum, intéressant.

Brian

Il est donc tout à fait acceptable que quelqu’un demande la version militaire de « Où êtes-vous maintenant? » en disant « Quel est l’état des lieux? », et je lui répondrais par une grille codée si nous étions activement poursuivis. Je donnerais certainement une grille, pas un emplacement. Je ne dirais pas : « Je suis au sommet de cette montagne. »

Laryssa

Bien sûr.

Brian

Parce que tout le monde saurait où cela se trouve. Je donnerais une grille fondée sur notre système de cartographie. C’est conçu pour ne rien révéler.

Laryssa

D’accord, ce qui signifie que l’autre personne doit être au courant du code.

Brian

Oui.

Laryssa

Autre question pour toi. As-tu les mêmes difficultés à communiquer avec tes amis vétérans qu’avec ta famille?

Brian

Non. Ils ont le code, n’est-ce pas?

Et c’est en grande partie la raison pour laquelle c’est plus facile, mais il y a aussi le facteur d’intimidation. Comme je t’ai dit, mes amis pourraient venir me demander conseil. Ils pourraient venir me voir simplement pour socialiser. En général, lorsque la conversation commence par « Chéri, il faut qu’on se parle », cela signifie qu’il y a un problème, et c’est probablement dans le secteur émotionnel. Et je n’aimerai probablement pas la conversation, même si c’est pour savoir ce qu’on fera le lendemain. Même si c’est quelque chose qu’on aime, c’est une conversation intimidante si ça commence par « Asseyons-nous et parlons ». Je préférerais avoir à peu près n’importe quelle autre conversation. Nous sommes compétents en communication, c’est vrai. Mais pas le genre que tu recherches, cependant.

Laryssa

Donc, évidemment, un énorme obstacle est créé. On a déjà parlé de la façon dont toute relation, dans un couple ou entre les membres d’une famille, présente des défis en matière de communication. Il y a des millions de cours en communication que vous pouvez suivre uniquement pour vos interactions personnelles, ou pour votre environnement de travail. C’est difficile pour la plupart des gens. Ajoutons à cela une blessure traumatique. Alors, as-tu déjà été en mesure de déterminer comment ton TSPT crée un autre niveau d’obstacles à la communication?

Brian

Oui. Alors j’étais sur les lieux d’un incident une fois où un bus avait explosé. C’était très grave. Mais pour moi, il y a eu d’autres incidents qui étaient aussi très graves. Il m’a fallu trois ans de travail avec mon médecin pour pouvoir lui dire ce qu’il y avait de mal là-dedans. Donc, au cours de ces trois années, d’autres personnes me posent les mêmes questions, comme : « Comment vas-tu? Qu’est-ce qui te dérange? Que pouvons-nous faire pour t’aider? » et je n’avais pas la réponse.

Je ne mens pas lorsque je dis que je ne sais pas. Je ne savais pas. Et même pendant un moment où je pensais savoir, j’avais tort. Je me retrouve donc dans une situation où je n’ai pas la réponse ou ce que j’ai dit n’est pas vrai. Tu pourrais dire qu’il s’agit d’un mensonge, mais mon médecin et moi avons travaillé pendant des années pour découvrir la vérité.

Je le disais parce que c’est ce que je pensais. Dans ce cas-ci, ce qui m’a vraiment dérangé, c’est que j’avais mis le pied dans le sac à main d’une des personnes décédées dans le véhicule. Un sac à main. Pas un sac à dos. Les soldats ont des sacs à dos, mais les femmes ont des sacs à main. La situation est différente.
Donc, le fait de mettre le pied dans ce sac à main me dérangeait plus que ce qui se trouvait à l’intérieur de ce véhicule. C’est bizarre. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas ainsi que les choses sont censées se passer. Je suis un père, un mari, un voisin, toutes ces choses. Je suis censé être préoccupé par les pertes de vie, mais je me suis retrouvé dans une situation où les pertes de vie étaient si courantes que ce qui me dérangeait le plus, c’était de mettre le pied dans le sac à main de quelqu’un.

Laryssa

Parce que ça devenait personnel. Quelqu’un y était rattaché.

Brian

Comment le raconter? Et qu’est-ce qui s’améliorera si je le raconte? Et la vérité est que, nous sommes assis ici ensemble, et il y a deux ou trois personnes dans la pièce qui nous aident avec le son, elles écoutent aussi, et je peux voir leur visage, je peux voir le tien. Vous ne savez pas comment m’aider, n’est-ce pas? Alors pourquoi est-ce que je viens de te le dire? Quelle est l’utilité de te dire cela? Que vas-tu faire pour m’aider?

Laryssa

Je pense que c’est difficile à accepter pour les membres de la famille. On en discutait plus tôt, je vais parler précisément de la relation d’un couple. Chez Atlas ou dans ce balado, lorsque nous utilisons le terme « famille » on peut faire référence aux parents, aux frères et sœurs ou aux amis. Mais aujourd’hui, je veux parler du couple. Pour de nombreux couples, votre conjoint est censé être votre meilleur ami. Il est censé être celui sur qui vous pouvez compter pendant les périodes difficiles avec un soutien mutuel.

C’est donc très difficile pour les membres de la famille lorsqu’ils demandent « Qu’est-ce qui ne va pas? » et que la réponse est « Je ne sais pas ». Ils ont l’impression d’être exclus ou qu’ils ne comprendraient pas. Et dans bien des cas, on ne comprend pas. Mais je pense que les membres de la famille doivent comprendre ce que tu viens de dire, comme quoi il peut arriver que tu ne puisses y arriver par toi-même.

Il y a aussi cet autre élément, dont nous avons déjà parlé au sujet de la protection. Tu veux nous protéger de ce que tu as vécu. Si tu as ces films en tête, pourquoi voudrais-tu que je les aie en tête? Quels en sont les avantages?

Je pense donc qu’il est utile que les membres de la famille comprennent cela aussi, et qu’ils puissent donner un peu plus d’espace ou de compréhension.

Brian

Et je pense que de notre point de vue, il faut peut-être nous rappeler ou accepter qu’on nous rappelle que la communication est plus que la simple transmission des faits.

Et on le sait. Il y a des cas où nous mettons des choses et des émotions dans un rapport comme : « J’ai traversé cette ville en voiture et ils nous haïssaient, mais ils ne nous haïssaient pas la semaine dernière. Quelque chose a changé. » Je me souviens d’avoir fait rapport de cela et d’avoir aussi fait état de la quantité de gaz que nous utilisions et de tout cela, et la seule chose qui a été mentionnée dans la communication aux supérieurs, ce sont les faits, l’essence, les chiffres.

Je me souviens donc d’avoir été frustré par ce qui, selon moi, te frustre aussi, c’est-à-dire que toute l’émotion a été retirée. Il y a donc des circonstances dans lesquelles la conscience de la situation, l’atmosphère, fait partie de ce que nous faisons.

Je pense qu’il serait peut-être utile de rappeler aux soldats que la conversation avec leur conjoint porte probablement davantage sur la conscience de la situation que sur les faits et les chiffres. C’est un langage qu’on comprendrait. Je ne sais pas si cela peut aider, mais c’est l’un des rares endroits où on peut se faire rappeler qu’il faut parfois faire cela dans le cadre de nos communications, et qu’il faut ramener ce talent à la maison.

Laryssa

D’accord. J’aimerais revenir sur une autre chose que tu as dite. Qu’une grande partie de la communication n’est pas les faits. On parlait des obstacles et des obstacles qui pourraient être touchés par, disons, le stress post-traumatique ou la dépression. Certaines de mes expériences ont été en tant que membre de la famille. Un élément déclencheur touchait mon conjoint et il essayait simplement de se remettre sur pied, et je me plaignais pour qu’il sorte les poubelles. J’avais l’impression qu’il n’était pas présent, qu’il n’écoutait pas, qu’il ne s’en souciait pas. Peut-être essayait-il de gérer ses symptômes. Cela peut constituer un obstacle supplémentaire.

De plus, il m’avait expliqué qu’après sa blessure, il avait besoin de plus de temps pour traiter l’information. Je communiquais donc avec lui, puis il y avait cet espace et ce temps, mais il traitait ce que j’avais dit et il voulait formuler sa réponse. C’est donc une chose à laquelle nous avons dû nous adapter. Regardons les choses en face. Parfois, en plus des problèmes de santé mentale, il y a la toxicomanie. Il s’agit d’un autre obstacle.

Un autre exemple, si toi et moi sommes dans un Tim Hortons vraiment bondé et qu’il y a beaucoup de bruit ambiant et que tu essaies de maintenir une connaissance de la situation, et que j’aborde quelque chose qui, à mon avis, est vraiment important. Je pense donc qu’il y a tellement de couches différentes et que je pourrais lire des choses, comme ton langage corporel, qui ne sont pas factuelles, ni verbales, et en tant que membre de la famille, j’interprète qu’elles doivent être à mon sujet. Je pense donc qu’il y a cette couche supplémentaire qui accompagne la blessure.

Brian

Oui, je pense que pour bon nombre d’entre nous, en ce qui a trait aux obstacles, souvent la communication qui nous convient est : « Je dois parler de ce qui ne va pas avec la personne qui peut m’aider avec ça. » Et c’est tout. Par exemple, je ne vais pas parler à un mécanicien de ce qui ne va pas avec ma radio.

C’est donc en grande partie une version de nous qui vous protégeons. Et vous êtes des adultes; vous pouvez le supporter. Mais avez-vous besoin de le faire? Au bout du compte, le principal obstacle à la communication pour moi est souvent : « Que peut faire cette personne pour m’aider? » Il s’agit de se regarder soi-même à certains égards, mais je pense qu’une relation est plus que la somme des parties.
Il y a une autre entité dans la pièce entre le mari et la femme, à part les deux personnes, qui est la relation. Et la communication avec laquelle nous travaillons ne s’en soucie pas. Nous devons donc changer notre façon de faire. Ce n’est pas facile. Ce n’est pas facile, même maintenant.

Et j’ai l’impression que si j’ai un problème avec Tim Hortons, est-ce que cela signifie que tu dois avoir un problème avec Tim Hortons? Soit dit en passant, message aux gens de Tim Hortons : j’adore votre chili. Et je suis un mordu des beignets aux pommes. Je voulais simplement le mentionner. Mais si ce n’était pas mon rôle, ce n’est pas le tien non plus si nous sommes en relation.

En fait, dans cinq ans tu ne saurais même pas pourquoi tu ne vas plus chez Tim Hortons.

Laryssa

Exactement.

Brian

Et c’est peut-être parce que je t’ai conditionné de cette façon. Et je ne veux pas que ça arrive.

Laryssa

Exactement. Je pense que c’est un tout autre sujet de conversation parce que je pense que c’est assez insidieux.

Et quand on est émotionnellement lié à quelqu’un, on ne peut s’empêcher de présumer ces choses d’une certaine manière. Tu as dit vouloir parler à des gens qui peuvent t’aider. Parle-moi davantage de la communication avec ton thérapeute. Est-ce différent d’avec tes amis? D’avec ta famille?
As-tu dû t’adapter? Comment cela se passe-t-il?

Brian

J’ai menti aux médecins pendant 20 ans. En entrant dans l’armée, tu dois être soumis à une évaluation. Je pense qu’il est assez facile de dire, lorsqu’on te pose des questions, que les réponses du type « oui, j’ai un problème » ou « oui, ça me dérange » ne vont pas te permettre d’entrer. Tu veux participer à un déploiement et, soyons francs, c’est l’un des problèmes de communication entre les soldats et le pays; le pays ne comprend pas souvent que nous aimons ce travail et que nous voulons le faire. Il y a des gens qui m’ont déjà dit : « Oh, c’est tellement dommage que tu doives partir. » Non. Tu devras plutôt essayer de m’empêcher de partir.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Il y a donc un problème de communication. Mais je pense que c’est un peu comme ça que ça se passe en fin de compte. On a l’impression que les seules personnes qui nous comprennent sont nos amis.

Laryssa

OK.

Brian

Et cette personne avec qui je suis marié veut faire tout ce qui est possible pour moi. Mais c’est assez limité. Je vois le médecin, comme tous les autres médecins que j’ai dû consulter, comme la personne à qui je dois parler et qui peut me donner ce que je veux.

Laryssa

OK.

Brian

Je veux suivre le cours de conduite après la capture. Je sais que quelqu’un qui a un problème ne sera pas accepté. Alors, devine quoi? Je n’ai pas de problème. Mais ça finit par te rattraper. Avec le temps. Donc, si quelqu’un pense pouvoir établir une relation avec moi en une seule séance, bonne chance.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Bonne chance. Avec le temps. Alors oui, malheureusement, sans que ce soit de leur faute, j’ai mis les médecins à l’épreuve avant d’avoir l’impression qu’ils sont là pour moi.

Laryssa

Le test de l’odeur?

Brian

Oh oui! Ce que je veux dire, c’est que lorsque j’ai signalé à l’armée que j’avais un problème, leur plus grande instance de traitement avec moi est de voir quelle menace je représente pour le département. Et ils devraient le faire. Un soldat perturbé peut causer beaucoup de dommages dans le système. Ils doivent protéger les gens dans le système. Mais à l’autre bout, on a vraiment l’impression d’être simplement soumis à des tests pour voir ce qu’on pourrait endommager, et non administré du point de vue de la santé.

Laryssa

Donc, cela ne t’a jamais semblé légitime? Tu n’avais pas l’impression que les gens qui étaient là pour t’aider étaient investis. On dirait que tu t’es senti mal compris. Il y a eu une déconnexion.

Brian

Oui. Une fois, un médecin m’a demandé : « S’il y a eu une explosion ce jour-là, pourquoi y es-tu retourné le lendemain? » Eh bien, si vous pensez que les guerres se font par quarts, ce ne sera pas un lieu de guérison pour moi. Au prochain! Je me suis donc retrouvé peut-être trop critique, mais je me suis certainement demandé s’il avait la moindre idée de qui j’étais. Et à Vancouver, d’où je viens, il n’y a pas beaucoup de soldats. C’est une société différente. Il est difficile de trouver un médecin qui a une idée de qui vous êtes vraiment en tant que personne.

Laryssa

OK. Voilà donc la question que je voulais poser, je suppose, des deux côtés. Que dirais-tu aux fournisseurs de services qui travaillent avec une communauté de vétérans? Que pourrais-tu leur offrir pour les aider à établir ce lien et à communiquer avec les vétérans qu’ils soutiennent et avec lesquels ils travaillent dans leur pratique?

Brian

Je dirais d’y aller avec la simplicité. Ce que je veux dire par là, c’est que si vous allez recevoir un client qui vient de revenir de Lettonie et qui a un problème, eh bien, lisez un peu sur la Lettonie. La Défense est en fait assez bonne pour ce qui est de diffuser l’information, des mises à jour de mission sur l’objectif de la mission.

N’osez pas voir ce client sans d’abord vous informer.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Faites vos devoirs pour savoir qui nous sommes, et si vous avez quelques clients de notre milieu, commencez à essayer de comprendre ce que nous avons en commun, parce que beaucoup d’entre nous ont l’impression que vous essayez de réparer le soldat en nous.

Je ne veux pas que vous corrigiez cela. Je ne travaille plus dans l’armée et je me considère toujours comme un soldat. Et j’organise ma vie de cette façon. Je planifie de cette façon. Je fonctionne de cette façon. Je m’adresse à vous et vous essayez probablement de joindre le Brian en moi, mais celui que je préfère vous montrer, c’est le soldat.

Je pense qu’il faut comprendre cela. C’est la personne qui est assise sur votre canapé. N’essayez pas de retirer l’armée de ma façon de faire. Et quand j’ai l’impression que vous n’êtes pas hostile au soldat en moi, alors je peux vous parler.

Laryssa

OK. Passons à l’autre aspect de ma question, c’est-à-dire ce que tu dirais aux vétérans qui pourraient faire appel à des fournisseurs de services. Quelles recommandations ferais-tu pour améliorer la communication? Je pense que l’on retire de la thérapie ce que l’on y met, il faut s’y investir. Donc, si tu as une attitude fermée pendant toutes les séances et que le test de l’odeur prend neuf séances pour voir si cette personne te comprend, cela ne profite à personne. Donc, que dirais-tu aux vétérans au sujet de la communication avec leur thérapeute?

Brian

Ils sont des spécialistes; approchez-les comme tel. Si votre tourelle fait un bruit bizarre lorsque vous la tournez vers la droite, mais pas vers la gauche, vous le diriez exactement comme ça. Vous n’en cacheriez pas une partie, n’est-ce pas? Vous devez traiter votre thérapeute comme quelqu’un qui a besoin de connaître la vérité pour faire son travail. Donc, si quelqu’un vous dit, par exemple, que boire plus de quatre bières par semaine est mauvais pour vous, et que vous buvez beaucoup plus que cela, ce n’est pas un test pour voir si vous respectez la règle. Le médecin doit savoir combien vous en prenez.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Parce qu’il va peut-être prescrire des choses; il va travailler sur des thérapies; il va choisir les options qui vous conviennent le mieux. Il doit donc connaître la vérité à votre sujet. Et cela m’a pris du temps à accepter.

Et je sais que c’est assez courant. Donc, si jamais vous avez l’intention de quitter cette pièce sous quelque forme que ce soit qui soit meilleure que lorsque vous y êtes entré, dîtes la vérité seulement, au mieux de votre connaissance.

Laryssa

Ton analogie est centrée sur l’armée. Ce que je dirais aux membres de la famille qui ont souvent besoin de leur propre soutien, et de thérapie, c’est de tout sortir. Videz votre poche, y compris la peluche qui se trouve au fond. Sortez aussi la peluche de votre poche. Le thérapeute doit voir cela aussi. Alors, allez dans les recoins les plus profonds et les plus sombres et mettez tout sur la table. Voilà donc le côté Laryssa de ton analogie de la tourelle.

Brian

J’ai actuellement un médecin qui a fait beaucoup pour moi. Mais la première chose qu’il a dû faire a été de me montrer qu’il s’agissait d’un endroit où je pouvais dire la vérité. Il me disait : « À quoi penses-tu vraiment? Des idées suicidaires? » Je n’avais pas ce problème, n’est-ce pas? Mais je l’avais, en vérité. Et il m’a fallu un certain temps pour croire que c’était l’endroit pour en parler. Et ce n’est pas facile, mais vous ne réglerez pas le problème, à mon avis, en disant 60 % de ce que vous pensez que votre médecin doit savoir.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Comment le sauriez-vous? Et c’est tout. C’est un art. Vous n’obtiendrez probablement pas de réponse toute faite, comme si vous vous étiez foulé le poignet. Le traitement est assez défini dans ce cas. Il va y avoir des fluctuations pendant un certain temps. Vous allez devoir suivre un processus qui donnera peut-être l’impression que le médecin fait des suppositions et des tests, mais c’est parce que l’esprit est si compliqué, et vous devez avoir confiance que c’est un spécialiste qui sait ce qu’il fait.

Je vais vous faire accepter mon précurseur, qui est : « Si ça ne fonctionne pas, changez de médecin ». On ne peut pas continuer à travailler avec le même médecin si on sait que cette relation ne fonctionne pas. Vous vous devez, à vous-même, au contribuable qui paie la facture et à ce médecin, d’utiliser cette séance à bon escient.

Si c’est mort dans l’œuf, trouvez-vous un autre médecin.

Laryssa

Je pense que c’est vraiment utile. Je te suis reconnaissante d’avoir mis cela en lumière, car j’ai pu observer, en travaillant avec les vétérans et leur famille et dans ma vie personnelle avec mon conjoint, qu’il y a peut-être eu un moment où tu ne pensais pas pouvoir le faire.

Dans l’armée, on vous affecte un clinicien ou quelqu’un d’autre à la salle d’examen médical. C’est cette personne qui vous traite. Et c’est tout. Vous ne pouvez pas défendre vos intérêts, vous n’êtes pas responsable de votre propre guérison. Et je pense qu’il est important que certaines personnes entendent que si ça ne fonctionne pas, si ce n’est pas approprié, alors vous pouvez défendre vos intérêts et emprunter une autre voie. Vous n’êtes pas pris avec cette personne ou même cette modalité de traitement. Merci d’en avoir parlé.

Brian

Oui, et le rang entre en ligne de compte, peu importe à quel point les gens veulent dire le contraire. Ils disent que cela n’a pas d’importance. Du point de vue du patient, oui. En tant qu’adjudant, j’ai senti que je pouvais revenir au système et dire : « Ce praticien ne me convient pas. »

Laryssa

OK.

Brian

J’ai des soldats qui m’ont dit qu’ils n’avaient pas le même sentiment de flexibilité, même si on leur dit qu’ils peuvent soulever la question.

Oui, eh bien, c’est une conversation différente. C’est une conversation tout à fait différente. Et c’est là que le leadership peut vraiment jouer un rôle. En rappelant aux gens qu’ils ont des droits, qu’ils sont des patients, pas seulement des soldats. Je pense donc que c’est important.

Laryssa

D’accord, passons à autre chose, Brian. On parle de communication. On a parlé des fournisseurs de services et de la famille, ce sur quoi nous reviendrons peut-être avant de terminer aujourd’hui. Mais parle-moi de la communication avec d’autres personnes qui te fournissent des services, comme ACC.

Brian

Bien sûr. Tu veux parler des Canucks?

Laryssa

OK. (rires)

Brian

Tout à fait.

Laryssa

C’était subtil.

Brian

J’ai donc eu un problème il y a quelques années. Et je suis assez méticuleux avec mes papiers. Le problème que j’avais, c’est que je n’avais pas ouvert une lettre très anodine de l’Agence du revenu du Canada, du bureau de l’impôt, qui me disait que je devais faire quelque chose; je devais leur fournir un document. Facile à faire, mais je n’avais pas répondu depuis environ 14 mois. J’avais donc un problème. Eh bien, la raison pour laquelle cela s’est produit, c’est que les enveloppes brunes du gouvernement pendant un certain nombre d’années m’ont toujours apporté de mauvaises nouvelles. Normalement, elles signifiaient « Tu n’es pas admissible à ceci » ou « Tu dois subir une réévaluation pour cela ».

Il s’agissait normalement d’une réponse douloureuse écrite dans sept pages de jargon juridique qui, après interprétation, était une mauvaise nouvelle. Cela m’a amené au point où tout ce qui ressemblait à cela a été traité de la même façon. Alors, j’ai eu un problème fiscal. Parce que j’en avais assez de la communication écrite que je recevais et qui me fâchait.

La pile sur mon bureau ne faisait que grossir. J’y ai même trouvé un chèque de remboursement quand j’ai décidé de m’y attaquer. Il y avait littéralement de bonnes nouvelles dans une enveloppe, mais je n’ai jamais eu l’occasion de célébrer ce chèque de 54 $ parce qu’il est resté là comme tout le reste. C’est donc une partie du problème. Et j’admets que je veux encore parler à quelqu’un. Je ne veux pas parler à un mur, à un plexiglas ou à quelqu’un qui dit que je dois prendre un rendez-vous. J’ai un problème maintenant.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Alors, je dois demander un rendez-vous par l’entremise de ce programme informatique, et une personne me répondra et me proposera un rendez-vous peut-être une semaine plus tard. Ce n’est pas ce que je recherche quand j’ai un problème. Et peut-être que la réponse est, eh bien, ne cherchez pas de l’aide ici, mais alors vous devriez vous approprier cette réponse, n’est-ce pas?

Il y a donc beaucoup de perplexité dans cette question de communication. Je connais des gens qui font affaire avec le gouvernement tous les jours, de multiples voies de communication avec divers ministères. Mais il y en a une dont ils ne veulent pas parler. Et c’est parce que c’est une conversation crue.

Je ne parle pas d’une occasion d’affaires par l’entremise de Science Canada ou de quelque chose du genre. Ni d’exporter un produit. Mais plutôt ce à quoi ressemblera votre couverture et le nombre de fois que vous devrez revoir cette histoire pour convaincre l’autre personne que vous êtes admissible à quelque chose.

Laryssa

Tout à fait. Parce que les interactions des vétérans avec ACC portent sur une maladie ou une blessure, évidemment liée au service. Il y a donc une vulnérabilité, qu’il s’agisse d’une blessure physique ou d’une blessure de santé mentale, qui vous oblige à revenir en arrière et à approfondir certaines de ces choses. Qu’il s’agisse de la façon dont elle est survenue, de l’impact qu’elle a eu sur vous dans le passé, et qui peut vous rappeler des changements, peut-être, dans qui vous êtes maintenant : que vous n’êtes pas aussi capable, que vous n’avez pas la capacité, que vous n’êtes pas aussi bien que vous l’étiez auparavant. Il pourrait donc y avoir d’autres couches à ce que cette enveloppe représente. Et puis la nécessité : Je ne suis pas complet; je ne suis pas apte; je ne suis pas la personne que j’étais avant. Donc, il pourrait y avoir plus.

Brian

Oui. Aussi, comme on l’a dit, la porte d’entrée pour obtenir quelque chose qui vous aidera est très souvent une désignation qui ne sonne pas si bien que ça. Il faut être réhabilité avant d’être admissible à des choses dans le monde de la réadaptation.

Je comprends, d’un point de vue bureaucratique, pourquoi cela doit se produire. Mais je n’aime pas qu’on me dise que j’ai besoin de réadaptation ou que mon statut est diminué.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Donc, pour leur défense, il n’y a probablement pas une bonne façon de faire, mais il y a des façons mauvaises et pires. Et c’est un extérieur assez dur quand on essaie d’en parler.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Donc, une chose que j’aimerais dire, et cela va te mettre sur la sellette, mais je pense que c’est l’objectif. Je veux revenir à ma conversation sur le sac à main. Comment peux-tu m’aider à cet égard?

Laryssa

Bon sang! D’accord, oui. Me mettre sur la sellette. Eh bien, tout d’abord, je ne peux pas t’aider si je ne comprends pas ce qui se passe pour toi.

Cela ne veut pas dire que j’ai besoin de connaître les détails. On parle de communication. Ce n’est pas que je veuille que mon conjoint ou toi, en tant que collègue, vous penchiez sur ces questions, mais peut-être que je peux vous aider si vous me parlez de comment ça vous touche.

Brian

Oui.

Laryssa

Donc, à titre d’exemple, je vais prendre mon conjoint.

Pendant très longtemps, il a eu de la difficulté à passer au service au volant. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé pour lui. Je suis dans le domaine militaire depuis assez longtemps pour pouvoir spéculer. Il y a le bâtiment lui-même, il y a habituellement une clôture de l’autre côté, des véhicules devant et derrière, le mouvement est limité, etc. Je peux comprendre. Je n’avais donc pas besoin de connaître les détails de ce qui s’est passé. Je devais seulement savoir qu’il était difficile pour lui de passer au service au volant.

Brian

Oui.

Laryssa

J’ai donc dû accepter que lorsque nous allions au restaurant, nous allions chercher notre commande à l’intérieur, plutôt que de passer par un service au volant. La première fois que nous avons passé par le service au volant ensemble, je me suis dit que c’était vraiment génial! J’étais vraiment fière de lui! Et je pensais que ça allait aider. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai commencé à bavarder avec lui, je parlais sans cesse parce que je voulais le distraire.

Je parlais sans cesse. Une fois que nous sommes passés, il se range sur l’accotement et il me dit : « Ne fais plus jamais ça! »

Brian

Oui.

Laryssa

Parce que je l’ai distrait des techniques de conscience de l’ici-maintenant qu’il voulait utiliser, dont il a parlé avec son thérapeute. Il essayait de faire tout cela. Je l’ai distrait de la mauvaise façon. Mais encore une fois, tout cela devait être communiqué.

Donc, pour revenir à ta question, comment puis-je t’aider? Si jamais nous nous trouvons dans une situation, je dois savoir comment y être sensible, comment t’appuyer.

Brian

Donc, ce truc du service au volant. Je suis heureux que tu aies soulevé cette question.
On est dans une voiture. Je ne peux pas m’échapper à l’avant parce que la voiture qui se trouve devant est là, le conducteur se demandant s’il veut du fromage sur son hamburger ou non.

Laryssa

Commandant beaucoup trop de sandwichs. Le service au volant n’est pas censé servir à commander des repas complets.

Brian

Exactement. Et puis il y a la personne derrière, alors je suis coincé là. Impossible de m’échapper à gauche parce que c’est là que se trouve le restaurant, qui sera du côté du conducteur. Impossible à droite aussi, puisque tu t’y trouves. Comment peux-tu ne pas savoir ce qui ne va pas avec le service au volant? C’est une question de bon sens, n’est-ce pas? Eh bien, c’est une question de bon sens pour moi et mes pairs, parce que c’est ce que nous appelons, si je faisais cela à l’ennemi, la canalisation. Je n’ai pas seulement de mauvaises choses pour lui. Je dois le mettre dans une position où cette mauvaise chose va faire effet.
De la même façon, l’ennemi ne se contente pas de mettre des bombes partout dans le monde en espérant que je passe sur une. Il doit créer un scénario qui m’amène à ce point.

Laryssa

Tout à fait.

Brian

Il a peut-être même besoin que mon véhicule se trouve à 18 pouces, pas plus près et pas plus loin, pour que ça fonctionne. Et la façon dont il le ferait serait de créer une zone par laquelle je n’ai pas le choix de passer.
Ajoutons au service au volant le fait de parler à la radio, donc des communications métalliques, très semblable au fait de parler à la radio militaire. En plus, c’est très semblable à aller et sortir d’un camp, où on vit ce changement émotionnel massif, soit la joie de revenir ou la nervosité par rapport à ce qui se passera une fois qu’on sera sorti.

Bref. Je ne veux pas passer par le service au volant. Mais je parie que mes enfants, même aujourd’hui, ne comprennent pas pourquoi je ne veux pas le faire.

Laryssa

Alors, qu’est-ce qui t’empêcherait de leur dire ce que tu viens de me dire?

Brian

Je ne veux pas qu’ils deviennent bizarres. Je ne veux pas qu’il y ait quatre personnes dans ma maison qui détestent le service au volant.

Laryssa

Intéressant.

Brian

Allez-y sans moi. C’est plus efficace. Je comprends pourquoi vous voulez le faire. Il n’est pas nécessaire de sortir de la voiture. Les choses se présentent à vous. C’est rapide. J’ai compris. Mais je déteste cela. Je n’irai pas. Et c’est tout.

Revenons en arrière pour parler de l’autobus. Il m’a fallu des années pour comprendre ce que je vais te dire. Ce qui m’a dérangé au sujet de l’autobus, c’est le sac à main, et ce qui m’a dérangé au sujet du sac à main, c’est que c’est le dernier article de cette personne au monde. J’avais l’impression de marcher sur sa pierre tombale.

Si j’avais su pendant les premières années que je souffrais de cela, que ce que je viens de te dire était en fait ce qui me dérangeait, tu aurais pu m’aider en tant qu’ami. Ma femme aurait pu m’aider en tant qu’épouse. Mon médecin se serait épargné trois ans.

Je peux donc avoir cette conversation maintenant parce que je sais de quoi il s’agit.

Laryssa

Je comprends.

Brian

Vous comprenez? Je sais maintenant que c’est mon lien affectif avec ce moment. De penser que j’ai manqué de respect envers quelqu’un.

Cela me dérangeait plus que ce qui s’était passé. Cela a pris du temps. Et tu ne le sauras pas à moins que je te le dise. Donc oui, c’est à moi qu’il incombe de communiquer. Mais je veux que les gens qui nous écoutent réalisent à quel point cette conversation peut être intimidante.

Laryssa

Oui, parce que ce n’est pas superficiel. Le mot qui m’est venu à l’esprit à quelques reprises était « vulnérable », même lorsque tu décrivais le service au volant. Cela place le militaire, le vétéran dans son esprit, dans une position vulnérable. Et divulguer la signification de ce sac à main te met de nouveau dans une position vulnérable, ce qui peut être extrêmement difficile.

Brian

Alors voici quelque chose d’autre. C’est un épisode sur la communication, mais on pourrait aussi bien l’appeler l’histoire du bus. Il y avait un autre camp dans ce pays, en Afghanistan, où les gens avaient pris la moitié d’un autobus qui avait explosé et l’utilisaient comme café-bar. Ils servaient littéralement leur équivalent de Starbucks par la fenêtre de cet autobus explosé.

Cela ne me posait aucun problème. Je me demande maintenant pourquoi je n’ai pas eu de problème avec cela. J’ai de la difficulté à prendre l’autobus ici. Un autobus parfait ici; personne à bord ne me causera de problème. Pas deux enfants restés coincés sous un autobus qui a explosé en Afghanistan. C’est ce que j’ai vécu là-bas. C’est ce qui me vient à l’esprit lorsque je prends l’autobus ici.

Mais parmi mes amis et mes camarades, je pouvais boire un café qui m’était servi dans un bus explosé. Je ne sais pas pourquoi. En fait, je ne suis pas certain que ce soit acceptable. Mais cela montre simplement que, lorsque je côtoie des gens qui me comprennent, cela élimine toutes ces pressions inutiles.

On peut même voir l’humour dans certaines de ces choses. Et l’humanité aussi, et nous le comprenons. Donc oui, j’ai des problèmes ici avec des choses qui sont beaucoup plus bénignes que si je les vivais avec d’autres vétérans.

Laryssa

Tout à fait. Et comment communiques-tu cela à ta famille?

Brian

Comment puis-je communiquer cela à ma famille sans leur faire sentir qu’ils sont inférieurs à mes camarades?

Laryssa

Oui. Et c’est quelque chose que j’ai dû accepter, je crois, dans ma relation. Mon conjoint a des relations qui ont des liens différents, tout aussi proches et peut-être même plus serrés qu’il a avec moi pour différentes raisons.

Il y a des gens avec qui il a servi qui ont littéralement tenu la vie de l’autre entre leurs mains. Et je pense que j’ai dû me résigner au fait qu’il ne s’agissait pas d’un concours. Il s’agit simplement d’un type de relation différent que je ne comprendrais pas. Cela ne veut pas dire qu’il m’aime moins. Cela signifie que c’est tout simplement dans un contexte très différent.

J’aimerais revenir un peu sur les familles, parce que nous avons beaucoup parlé des difficultés de communication, des obstacles pour les vétérans. Quand on se préparait, j’ai eu la même réaction que toi : Je ne suis pas bonne en communication et je me sens hypocrite d’enregistrer ce balado sur la communication, alors que je sais que, dans ma vie personnelle, je ne suis pas une gourou, qu’il y a beaucoup d’endroits que, en tant que membre de la famille, je peux améliorer. On pourrait disséquer ces raisons et ces justifications. Cela est dû en partie à ma relation avec un vétéran et au fait que je ne sais pas comment aborder les choses ou quelles questions poser.

C’est en partie à cause de ma propre incapacité à faire face à la fermeture. Je pense que beaucoup de membres de la famille se renferment, surtout s’ils n’obtiennent pas la réponse souhaitée du vétéran ou, comme je l’ai dit, s’ils interprètent mal les symptômes ou les comportements, s’ils n’établissent pas de contact visuel, etc.

Brian

Eh bien, nous ne savons pas vraiment ce que vous vivez. Et dans une certaine mesure, tu m’as appris cela. J’ai fait partie d’une famille militaire. J’étais un militaire. C’est en fait un de mes points de friction, parfois, lorsque les gens essaient de mobiliser la famille, mais pas le vétéran.

Laryssa

Oui.

Brian

Je suis ici moi aussi. Mais depuis la création de cet institut, pourquoi avons-nous demandé que les familles soient parallèles à nous? Et c’est parce que nous savions qu’il y avait des problèmes, mais ce n’est certainement pas parce que nous les connaissions, n’est-ce pas?

Même au cours des deux années où nous avons travaillé ensemble, j’en ai appris davantage sur le point de vue et sur ce que vous vivez. Je me sentais parfois frustré lorsque les gens avaient une image glorifiée de la guerre ou une image tout à fait tragique de la guerre.

J’ai beaucoup joué au volley-ball à l’étranger. J’ai aussi joué beaucoup au poker. Ce n’est pas la conversation habituelle.

Il y a cinq jours de ma pire mission qui ont vraiment été mauvais pour moi. Les autres ont été un véritable plaisir. J’aimerais que tu puisses vivre la camaraderie, l’excitation et le plaisir d’être autour d’un peloton. Et je suis triste que les autres ne comprennent pas. Mais pour le soldat moyen, si vous lui dites qu’il n’y a personne à moins d’un kilomètre qui veut le blesser, c’est une excellente nouvelle. Cela vaut la peine de lancer un tournoi de poker.

Si vous dites à la conjointe moyenne qu’à l’extérieur d’un kilomètre, il y a quelqu’un qui veut vraiment tuer son mari, c’est une mauvaise nouvelle, n’est-ce pas? Il est donc difficile d’aborder la même chose sous deux angles différents. Maintenant, ajoute huit fuseaux horaires, et le fait de parler par Zoom, au mieux.
Laryssa, honnêtement, nous ne savons pas ce que vous vivez.

Laryssa

J’aimerais te parler d’un exercice auquel j’ai participé il y a quelques années. Encore une fois, il s’agit d’une blessure liée à la santé mentale, mais cela pourrait donner aux gens des renseignements utiles à ce sujet. Nous pourrions alors parler de ce que j’ai vécu pendant un déploiement en tant que membre de la famille d’un militaire.

Mais je veux revenir à l’expérience de soutenir un être cher qui a une blessure, une blessure mentale. Cet exercice a donc eu lieu pendant une retraite de couples. Tous les vétérans souffrant d’un trouble de santé mentale se sont rendus dans une pièce, tous les membres de famille se sont rendus dans une autre pièce et ont fait le même exercice dans les deux pièces.

Autour de la salle, nous avons placé différentes affiches avec les titres « psychologique », « spirituel », « financier » et « physique ». Nous avons demandé aux participants d’écrire sur les listes comment leur trouble les avait touchés dans ces différents domaines. Pour moi, en tant que membre de la famille, comment ai-je été touchée physiquement, etc.

Donc, à la fin, on a réuni les deux groupes et mis les affiches côte à côte. Nous avons constaté que les expériences des membres de la famille étaient les mêmes que celles des vétérans. Beaucoup des choses que vous vivez avec votre trouble, les membres de votre famille les vivent aussi.

Tout cela pour dire, puisque nous parlons de communication aujourd’hui, et cela semble un cliché. Parlez aux membres de votre famille, parlez à votre vétéran, écoutez ce qu’il a vécu, parce que je suppose que vous avez peut-être plus de choses en commun et que vous êtes plus dans la même équipe que des adversaires dans votre parcours.

Brian

Donc, dans le monde de la discussion informelle, une chose que je trouve, c’est que quand je vais chez le médecin, je passe une heure à lui parler de choses qui sont évidemment assez personnelles, assez lourdes. Je dois vraiment me concentrer lors du retour à la maison sur la route de retour et non sur la conversation. Comment veux-tu que je franchisse la porte et que je dise : « Je ne veux pas te parler maintenant »?

Laryssa

Je pense que je veux que tu me dises, avant de partir, « Écoute, j’ai une séance aujourd’hui et lorsque je rentre à la maison, j’ai vraiment besoin de temps pour décompresser et traiter ce qui s’est passé pour moi. Donc, si tu peux m’accorder cette heure et informer les enfants, etc. » Encore une fois, pour revenir à la communication, au fait de m’informer avant, afin que je ne sois pas en train de dire : « Comment s’est déroulée la séance? À quoi penses-tu? » Pour que nous puissions respecter ce dont tu as besoin et vice versa. Si le membre de la famille participe à une séance de thérapie ou s’il travaille à temps plein et que le vétéran est à la maison, demande-lui : « De quoi as-tu besoin lorsque tu franchis la porte? » Pose la question avant.

Brian

Une chose qui fonctionne pour moi, c’est que si je veux que quelque chose ne se produise pas, il est utile de déterminer quand cette chose se produira. Donc, si je termine ma séance à 13 h, je serai à la maison à 13 h 15. Si je ne veux pas me faire bombarder de questions à 13 h 15, l’une des façons de le faire, c’est de dire « On pourra parler après le souper. » Ou « Je vais promener le chien. Je serai probablement de retour à 14 h, après quoi on pourra discuter. » Je trouve que si nous déterminons comment et quand nous allons discuter, cela crée l’espace nécessaire pour pouvoir entrer dans la maison, déposer mon manteau, caresser le chien et respirer un peu. Et laisser tomber un peu mes défenses.

Donc, le fait de déterminer quand nous allons parler aide à créer un espace où je n’ai pas besoin de parler. Ce n’est qu’une chose qui fonctionne pour moi. Je ne sais pas si cela fonctionne pour quelqu’un d’autre, mais nous avons eu un certain succès à cet égard.

Laryssa

OK.

Brian

Eh bien, vas-tu le faire? Vas-tu suivre mon conseil? Ou vas-tu simplement m’ignorer?

Laryssa

Oui, je vais t’en reparler. On s’en reparle.

Brian

Il s’agit donc de communication. C’est pourquoi c’est difficile. Honnêtement, cela m’effraie parfois.

Laryssa

Je pense que c’est continu. J’ai révélé que je n’étais pas une experte en communication, et je pense que cela fluctue. Donc, je pense que l’important est d’être conscient, d’avoir des conversations et de continuer à faire des efforts.

Brian

Et soyez prêt et ouvert à revoir les choses. Ce pourrait être « Non, je ne peux pas te parler », mais ce pourrait aussi être « Non, je ne peux pas te parler aujourd’hui de cet incident, mais peut-être dans une semaine ». Les deux parties doivent comprendre que « non » ne signifie pas « jamais ». Nous pouvons, et nous devons probablement, discuter à ce sujet, mais j’aurai peut-être aussi besoin de cinq minutes.

Laryssa

Exactement. Eh bien, c’était bien d’avoir cette conversation avec toi, de communiquer au sujet de la communication.

Brian

On communiquera plus tard sur la façon dont on a communiqué au sujet de la communication.

Laryssa

(rires) 10-4.

Brian

D’accord.

Laryssa

Merci, Brian.

Brian

À la prochaine. Merci.

DESCRIPTION DE L’ÉPISODE

« Il est souvent question d’une décision prise sur le vif que l’on regrette à vie, avec l’énorme désavantage d’une vue rétrospective. »

Le terme « préjudice moral » est relativement nouveau dans le domaine de la recherche sur la santé mentale, mais de nombreux vétérans savent très bien ce que c’est. Les préjudices moraux désignent les répercussions psychologiques, sociales et spirituelles d’événements ou d’actes dont une personne est responsable, qu’elle a vécus ou qu’elle n’a pas pu empêcher et qui vont à l’encontre de ses croyances ou valeurs morales profondes.

Il n’est pas rare que des vétérans vivent des événements qui leur causent des préjudices moraux pendant leur service. Ceux-ci continuent aussi d’avoir des répercussions dans la vie des vétérans après leur service. Dans cet épisode de L’esprit au-delà de la mission, le président-directeur général de l’Institut Atlas, Fardous Hosseiny, se joint à Brian et à Laryssa pour discuter des préjudices moraux sous ces angles :

  • Qu’est-ce qu’un préjudice moral? En quoi est-il différent du trouble de stress post-traumatique?
  • Quels types d’événements peuvent causer un préjudice moral?
  • Après avoir subi un possible préjudice moral, quand une personne doit-elle parler des symptômes à son médecin de famille?
  • Quels sont les symptômes d’un préjudice moral? Que puis-je faire si je crains qu’un proche ait subi un préjudice moral?
  • Quelles sont les répercussions des préjudices moraux sur les familles des vétérans?
  • Comment faire la différence entre frustration morale et préjudice moral?
  • En quoi consiste l’échelle des résultats liés au préjudice moral?
  • Comment peut-on soutenir les pairs qui présentent des symptômes de préjudice moral?
  • Quelles ressources sont offertes aux vétérans ou aux membres de leur famille qui veulent en savoir plus sur le sujet?

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L’ESPRIT AU-DELÀ DE LA MISSION, ÉPISODE 3 – LES PRÉJUDICES MORAUX AVEC FARDOUS HOSSEINY

Laryssa

La trahison, la culpabilité et la honte sont les marques distinctives des préjudices moraux. Les préjudices moraux désignent les répercussions psychologiques, sociales et spirituelles d’événements ou d’actes dont une personne est responsable, qu’elle a vécus ou qu’elle n’a pas pu empêcher et qui vont à l’encontre de ses croyances ou valeurs morales profondes. Bien que l’attention portée aux préjudices moraux se soit accrue au cours des dernières années, de nombreux vétérans et membres de leur famille ne connaissent ni le terme ni la façon dont le préjudice se manifeste ou dont il se distingue du trouble de stress post-traumatique (TSPT).

Un grand nombre de vétérans sont laissés à eux-mêmes pour comprendre ce qu’ils ont vécu. Que ce soit intentionnel ou non, les vétérans qui se débattent avec le côté sombre de leur personnalité semblent repousser leurs proches. Et le manque flagrant d’information et de ressources éducatives à ce sujet offertes aux vétérans et à leur famille fait persister le problème.

Brian

Parfois, lorsqu’on me parle de préjudices moraux, je cherche à découvrir ce qui embête réellement la personne par rapport à sa situation. Les gens présument à l’occasion que, puisque j’ai assisté à un incident qui est traumatisant en théorie, c’est cela qui me tracasse. Cette situation m’agace encore plus, car ils passent quelques fois à côté de la plaque. On peut sans doute en dénicher une définition classique, mais, à mon avis, l’essentiel est de déterminer la racine même du préjudice moral. Souvent, il est davantage question de déception que de traumatisme. Vous vous distanciez de cette organisation qui n’a pas su vous protéger de l’isolement.

À mes débuts à l’Institut Atlas, un certain nombre de projets différents m’ont été présentés. En voyant le mot « préjudice moral », dont j’ignorais pourtant le sens à l’époque, j’ai annoncé à mon patron : « Il faut que je m’occupe de ce dossier ». Depuis, j’opte pour le même genre de dossiers.

À cet égard, on accueille aujourd’hui notre invité Fardous Hosseiny. Fardous est le PDG de l’Institut Atlas, mais il possède également une certaine connaissance du dossier lié aux préjudices moraux. C’est donc le moment tout indiqué pour vous le présenter. Avant d’entrer dans le vif du sujet, parlons de l’immense responsabilité qui vous incombe. Tu es à la tête d’une nouvelle organisation importante.

Fardous

Tout à fait. Merci de m’avoir invité. Pour revenir à ce que tu disais, Brian, on menait déjà des consultations en personne avant la COVID-19, lorsque l’organisation venait d’être créée il y a environ 3 ans. On a donc rencontré des vétérans accompagnés de leur famille à Vancouver, et ils étaient plusieurs à décrire quelque chose que l’on qualifiait alors de TSPT. Il fallait cependant aller plus loin pour déceler la honte, la culpabilité et la trahison – caractéristiques d’un préjudice moral. On dit parfois que le préjudice moral et le TSPT renvoient à la même notion, mais le fait d’entendre un vétéran parler de ses symptômes et de son passé vous prouvera le contraire.

Brian

En s’informant sur leur planification, les militaires répètent souvent : « Et alors? » On leur dit de prêter attention à ceci ou que cela est différent ou important à savoir. OK. Pourquoi? En quoi la prise en charge du préjudice moral diffère-t-elle de celle du TSPT? Les ordonnances et les traitements sont-ils différents? Qu’est-ce qui change au juste?

Fardous

Le préjudice moral ne fait toujours pas partie du DSM. Ce n’est pas un diagnostic. Cette conversation témoigne d’ailleurs de notre espoir que la recherche démontrera un jour qu’il mérite d’être considéré comme tel. Vous profiterez ainsi de traitements et de soins plus adaptés qui vous aideront à surmonter la honte, la culpabilité et la trahison, plutôt que de cibler la peur et l’anxiété, davantage associées au TSPT.
Même si la réalité est malheureusement tout autre, j’espère que notre discussion permettra de véhiculer le message et que les efforts d’Atlas contribueront à l’élaboration d’une échelle conçue pour mieux distinguer les symptômes propres au préjudice moral de ceux du TSPT. Puis, grâce à l’imagerie cérébrale, on pourra analyser les régions mises en évidence chez les patients. On sera ainsi bien outillés pour envisager des options de traitement. Cela dit, contrairement à ce que d’autres chercheurs vous diront, on a encore du chemin à faire avant de parvenir à un diagnostic formel.

Laryssa

Ce serait génial de pouvoir poser le bon diagnostic, selon s’il s’agit du TSPT ou d’un préjudice moral. Pourrais-tu approfondir un peu sur ce dernier? On a effleuré le sujet, mais j’aimerais qu’on en précise le sens.

Fardous

Il faut tout d’abord raconter son histoire. Comme on l’a dit, les préjudices moraux sont un enjeu d’actualité. Tout a commencé quand les travailleurs de la santé ont dit que les militaires éprouvaient de la détresse morale ou un préjudice moral qu’ils subissaient en prenant des décisions difficiles. Pourtant, le terme a été inventé en 1994 par le Dr Jonathan Shay, psychologue clinicien. À leur retour du Vietnam, beaucoup de vétérans manifestaient des symptômes qui n’avaient rien à voir avec le TSPT. C’est ainsi qu’est né le terme « préjudice moral ». Par conséquent, il en existe à l’heure actuelle 17 définitions légèrement différentes les unes des autres dans la littérature. Le Dr Shay parlait de la trahison institutionnelle, c’est-à-dire provenant de quelqu’un en position d’autorité. Vous vous retrouvez dans un rôle décisionnel auquel on ne vous a pas préparé. Il était donc pionnier de cette idée-là.
Plus tard, d’autres psychologues et chercheurs s’en sont inspirés. On a créé une échelle de résultats liés au préjudice moral avec le Dr Brett Litz, diplômé de l’Université de Boston et pionnier en la matière. Il a formulé la définition la plus récente : « les effets psychologiques, spirituels et biologiques de vivre une situation contraire à ses croyances morales ou d’en être témoin ». Quant aux événements potentiellement préjudiciables sur le plan moral, ce sont des transgressions. Vous pouvez en être soit l’auteur soit un témoin. C’est ça la définition actuelle du préjudice moral.

Brian

Pour moi, c’était un nouveau terme. La communauté scientifique a beau l’avoir découvert en 1994, moi, je n’en ai entendu parler pour la première fois qu’il y a environ 5 ans. Dans notre monde, nos conjointes sont bien souvent les premières à s’apercevoir d’un problème qui n’est pas abordé. Ce mot était-il évocateur pour toi dès le départ? Revêtait-il un sens en soi ou manquait-il un peu de chair autour de l’os?

Laryssa

Je voulais en apprendre plus, cela m’aurait éclairée sur certains aspects. Après 15 ans dans le domaine du soutien par les pairs, je savais parfaitement ce que TSPT voulait dire. Puisqu’on l’a diagnostiqué chez mon conjoint, j’en connaissais les particularités. On a élaboré des stratégies. J’en ai même adopté moi-même, mais elles ne fonctionnaient pas en tout temps. Je sentais qu’il y avait des incohérences. Je savais que le retrait et l’hypervigilance faisaient partie des symptômes du TSPT, mais l’insomnie de mon mari avait une autre explication.

Dès qu’on m’a parlé de « préjudice moral », j’ai eu une révélation. Petit à petit, je commençais à reconstituer le casse-tête. Tout tournait autour de la culpabilité. Elle le rongeait alors et le ronge toujours. Il faut qu’il s’en débarrasse, tout comme de sa perception négative de lui-même. Donc, tout ce qui n’était pas lié au TSPT portait à croire qu’il a subi un préjudice moral.

Brian

De mon côté, il m’était relativement difficile de concevoir qu’une discussion sur les préjudices moraux devienne vite émotionnellement chargée. Je me retrouvais à jongler des aspects délicats que j’élude habituellement. Parler d’un traumatisme demande du courage, mais cela en vaut la chandelle. Quiconque peut compatir avec vous lorsque vous lui confiez une chose terrible de votre vie. Mais je n’aime pas toujours mettre toutes mes tripes sur la table. L’abandon, c’est affreux. En tout cas, ce n’est pas un sentiment qu’on souhaite associer à l’armée. En révélant mes émotions, j’ai pu enfin toucher du doigt des choses qui m’échappaient. Et les autres semblaient toujours se tromper sur mon cas. Ils partagent la même réflexion : « Ton état est la suite logique de tel événement traumatisant. » Pourtant, le plus choquant est survenu en route.

J’ai vu des situations que je ne saurais qualifier autrement que de la maltraitance envers les femmes. Cependant, cela ne faisait pas partie des responsabilités de notre mission. Ces pauvres femmes sur une petite rue secondaire, ça ne nous concernait pas. Après tout, on n’était que 3 000 dans un pays de 50 millions d’habitants. On n’y pouvait rien. Il fallait fermer les yeux sur cette horreur. Même si tout le monde est persuadé que c’est l’événement qui se produisait à ma destination qui m’a tant affecté, je suis plutôt tourmenté par ce que j’ai vu en cours de route. On dit que « ce qui arrive en route, on l’accepte ». Ce qu’on ignore, on accepte. Je vois pourquoi je ne me suis pas arrêté. J’ai bien agi. Mais une partie de moi, le papa, Brian, on dirait qu’il a accepté cela.

Laryssa

Cela ressemble au préjudice moral : le fait de douter de ses actions ou, comme l’a dit Fardous, de celles d’autrui. J’ai quelques questions. Le TSPT et le préjudice moral peuvent-ils être concomitants. Qu’est-ce qui les distingue au juste?

Fardous

Absolument. Pour revenir au propos de Brian, on a mentionné les événements potentiellement préjudiciables sur le plan moral. Vos croyances morales profondes sont trahies et vous n’avez parfois d’autre choix que d’être spectateur. Votre code moral vous indique qu’il y a moyen d’intervenir. Pourtant, les règles d’engagement vous en empêchent. C’est donc un événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral. Passons au point de Laryssa. Le simple fait d’assister à une transgression et de ne pas être autorisé d’y réagir a une incidence sur vous. Cette expérience risque de vous marquer. Si c’est le cas, cela devient un préjudice moral.

Quant au point de Laryssa sur le TSPT, je crois que la difficulté relève du caractère quasi identique de ces affections. Chacune est liée à un traumatisme et toutes deux commencent de la même façon. Néanmoins, le point d’intérêt principal ce sont leurs différences, c’est-à-dire le tout premier élément déclencheur. Le TSPT, on l’a dit, est habituellement fondé sur la peur et l’anxiété. On n’exclura pas la honte et la culpabilité, mais elles se rapportent surtout au préjudice moral. Ce sont ses principaux symptômes. Ensuite, il y a les attributions. Une personne atteinte du TSPT éprouve un sentiment d’horreur, d’impuissance. Dans le cas d’un préjudice moral, on se sent mal d’avoir assisté à une situation donnée ou d’avoir entrepris une action.

Il n’est pas question d’impuissance. Vous reconnaissez que votre inaction pourrait signifier que vous êtes une mauvaise personne. Les attributions sont donc très différentes. Ensuite, côté traitements, on a encore du pain sur la planche. Par exemple, la thérapie d’exposition prolongée est le traitement par excellence du TSPT, mais qu’en est-il de la culpabilité et de la honte? En quoi est-ce utile de se faire dire : « Revivez ces émotions, confrontez-les »? Vous comprenez? Cela ne permet pas à la personne de s’en sortir. À mon avis, il faut circonscrire d’abord les distinctions entre les deux. C’est à ce niveau-là que se situe le problème. Puis, on pourra se pencher sur les options de traitement.

Brian

L’un des sujets desquels on a déjà traité c’est l’intervalle entre la première occurrence et la constatation de l’ampleur. On parlait du retrait de l’Afghanistan, une situation difficile à regarder. Enfin, je trouvais ça horrible. Pas du tout agréable. Et on disait que c’est tout à fait naturel. Certaines choses peuvent toucher une corde sensible. Y a-t-il un délai à prendre en considération si on continue de faire des nuits blanches et que les événements continuent d’avoir un énorme impact sur vos relations et de causer énormément de souffrance? Quel serait ce délai? Et ensuite? Et alors? Que doit-on faire à ce sujet?

Fardous

Tu es en train de décrire un continuum, n’est-ce pas? N’importe quand, vous pouvez observer ou faire quelque chose qui met en doute vos codes moraux. S’il ne s’agit que d’une violation minime, c’est davantage de la frustration morale. Lorsque le degré de la transgression est modéré, on fait affaire à des défis et à de la détresse d’ordre moral. Au 3e degré, c’est extrême : l’expérience en question vous marque et porte atteinte à vos convictions morales profondes. On parle alors d’un préjudice moral. C’est un continuum. Au départ, la frustration morale embarque quand quelque chose vous agace à l’occasion. Vous pourriez ensuite vous en remettre. Croire que ce n’est pas grave. Que cela ne vous a pas touché. Vous poursuivez votre vie.

Mais si ce n’est pas le cas, un événement plus grave risque de poser un défi moral, vous piégeant dans un état de détresse morale. Vous remarquez ensuite que cette expérience a ébranlé vos croyances profondes et qu’il n’y pas moyen d’aller de l’avant – elle a laissé sa trace.

Brian

Et ça se corse encore plus avec des règles qui entrent en jeu, la réalité. Par exemple, le personnel médical des Forces armées canadiennes est phénoménal. On garde en vie même ceux qui, hier, n’auraient jamais survécu. Ce service est offert à tous. Sachant qu’on peut leur fournir des soins de premier ordre, les blessés appellent parfois la base eux-mêmes.

La capacité est impressionnante. Comparable à une urgence torontoise. Cela dit, pas question d’être un bon samaritain. Sinon, la ville tout entière viendra vous voir avec des problèmes de toux et d’entorses dont vous ne pourrez pas vous occuper. Il faut que ces gens s’habituent à exiger ces soins de la part de leur propre système.

Bref, dans bien des cas, on n’est pas en mesure d’administrer des soins médicaux. C’est terrible pour le personnel soignant. Il est formé et prêt à aider n’importe quel patient. Mais, en se proclamant experts médicaux, on risque de déclencher une catastrophe dans cette ville. Ça arrive.

En ex-Yougoslavie, même si on aurait pu nourrir des gens, ce n’était pas une option. Autrement, on se serait retrouvé dans la situation que je viens de décrire. Après avoir sécurisé la zone où ils se trouvaient, on les a dirigés vers les organismes d’aide qui étaient là pour les nourrir.

Du pur n’importe quoi. Ça me dérange encore. Plein de gens trouvent ça bizarre, car ils s’attendent à un récit de guerre. Un immense massacre aurait fait leur affaire, mais il en existe déjà en masse. Le papa en moi était donc frustré. Un bon papa, ça nourrit des enfants affamés. Ça prend soin des gens. Je suis une bonne personne. Vous aimeriez bien m’avoir comme voisin. Mais cette conduite ne cadre pas ce qu’on attend d’un voisin. Cela concorde-t-il avec le sens de préjudice moral? Je parie que beaucoup de gens comme moi se demandent la même chose.

Fardous

En effet. Ça résume très bien le concept d’événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral. Le champ de bataille regorge d’exemples similaires où vous voulez tellement faire la bonne chose, mais vous n’en avez pas le droit.

Le recours à la force létale constitue un autre exemple. Il pourrait vous sembler que la personne devant vous ne mérite pas cela. Mais, qu’on le veuille ou pas, les règles d’engagement l’imposent. Donc c’est un peu ça. On donne des ordres pouvant entraîner de mauvaises décisions et la mort de civils et le risque de subir un préjudice moral est bien présent. Parfois le seul fait d’être obligé de maintenir une information confidentielle est susceptible de mener à un résultat catastrophique. Un autre événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral. Bref, ce qui arrive sur le terrain n’est qu’un côté de la médaille, car d’autres décisions sont prises en coulisse, décisions dont les gens pourraient ne pas tenir compte puisque votre mission n’avait qu’un seul but. Or, toutes les facettes de l’opération sont importantes. Il y a aussi d’autres décisions à prendre régulièrement qui peuvent avoir de mauvaises conséquences avec lesquelles vous devrez composer par la suite.

Brian

Puis, vous amènerez ces idées noires chez vous. Quand quelqu’un veut en discuter, je me demande s’il lui faut vraiment chaque détail juteux sur la fois où je n’ai pas nourri les enfants? Je ne pense pas!

Laryssa

Je pense que bon nombre de proches pensent vouloir tout savoir. On a déjà abordé ce réflexe qui existe chez les familles. Elles veulent soutenir leur vétéran. Surtout la conjointe ou la compagne, qui est à ses côtés pour l’écouter et l’aider. On pense vouloir en parler en disant « Je t’écoute. Qu’est-il arrivé? Défoule-toi, fais-moi confiance. » Pourtant, au fond de nous, on n’aimerait pas savoir les détails.
Ça complique les choses pour les vétérans, car certains parmi ceux aux prises avec un préjudice moral refusent de se regarder dans le miroir. Et comme l’a dit Fardous, le mot clé que vous avez prononcé, c’est le mot décision. D’après moi, il est souvent question d’une décision prise sur le vif que l’on regrette à vie, avec l’énorme désavantage d’une vue rétrospective.

Il se disent qu’ils auraient dû agir autrement, qu’ils avaient vu ou entendu telle chose, et ils doutent de la décision qu’ils ont prise. Comme je disais, beaucoup de vétérans n’osent pas se regarder dans le miroir parce qu’ils ne peuvent se voir en train de rectifier les décisions qu’ils ont prises ou ce qu’ils ont vu.
Écrasés par la honte et la culpabilité, ils ne se sentent pas dignes d’amour. Ils n’ont aucun amour propre. Consciemment ou non, le vétéran éloigne ses proches puisqu’il est convaincu qu’il ne mérite pas d’être aimé. Quant au membre de la famille, cette personne ignore le sens de préjudice moral et n’a peut-être jamais entendu ce terme. Elle peut donc prendre ce comportement personnellement et penser qu’il reflète la force de la relation ou qu’elle ne mérite pas d’être aimée. Peut-être que quelque chose ne va pas chez moi. Ainsi, rien que d’effleurer l’impact sur les familles s’avère une tâche très complexe.

Brian

Les vétérans veulent entendre que les gens comprennent parfaitement leur situation. On ne va pas forcément tout remonter à la surface, mais on parle souvent des cas où on ne pouvait pas fournir de l’aide ou que c’était interdit. Mais ça va dans les 2 sens.

Parfois, il suffit d’éliminer une seule cible pour que tout se normalise. On le sait bien, ce type est à l’origine du problème. C’est lui le cerveau. Le spécialiste des bombes. Le voilà! On l’attrape. Mais on ne peut pas. Même si la ville souffre de plus en plus, il y a une raison sous-jacente. Ce n’est pas que les personnes chargées de la prise de décision sont incompétentes, mais sur le terrain, c’est la mise en œuvre de ces décisions qui est moins évidente. Dans certaines circonstances, je savais que le militaire à l’autre bout du fil à 10 kilomètres de distance, ne comprenait pas assez la situation pour prendre de bonnes décisions.

Qu’en est-il alors des décisions prises à Bruxelles, à New York ou à Ottawa, par quelqu’un dont la formation est complètement différente de la vôtre? Et même si ce n’est pas vrai qu’il y a une déconnexion, il y a bel et bien un sentiment de déconnexion. J’ai trouvé cela particulièrement difficile à avaler parfois.

Laryssa

Fardous, dirais-tu que ce dont Brian parlait est un préjudice moral qui a pris naissance ailleurs, mais qui a influencé la perception actuelle du monde du vétéran ainsi que ses interactions avec les gens d’ici, où ce genre d’événements ne se sont peut-être pas produits et risquent de ne pas se produire? Ce préjudice peut-il altérer sa perception de l’humanité ou son souci du bien commun?

Fardous

Certains de nos efforts avec le Dr Brett Litz à l’Université de Boston étaient dirigés vers l’élaboration d’une échelle de résultats liés au préjudice moral. Quant à ton point précédent, ce ne sont même pas les événements qui comptent, mais le résultat, la décision qui a été prise. C’est ce qu’on est en train de mesurer.

Lors de la mise au point de l’échelle, on a pu dégager 6 catégories principales. La première concerne justement l’altération de la perception de soi. C’est quand on croit être une mauvaise personne. Cette impression, elle nous affecte beaucoup. C’est primordial.

La deuxième porte sur l’altération de la pensée morale. Vous perdez confiance dans la foi et la bonté des autres. Pour revenir au point de Brian, à votre retour, vous n’êtes peut-être plus en mesure de vous fier aux gens chargés de la prise de décisions sur le terrain,
qui ne connaissent pas notre histoire, et qui prennent des décisions que vous n’approuvez pas. Vous avez perdu toute foi en la bonté des autres. La troisième est l’impact social, cette déconnexion à l’égard des gens. Désormais, mon lien avec les autres s’est rompu. C’est la troisième catégorie.

Ensuite, on passe à l’automutilation et à l’autosabotage. Vous nuisez à votre propre succès, parce que vous ne croyez pas le mériter. Vous estimez ne pas être digne de bonté en raison des décisions que vous avez prises. Vous tentez d’empêcher votre perfectionnement ou votre réussite.

La cinquième catégorie touche les séquelles émotionnelles, l’apparition de la honte. J’ai honte, je suis coupable. Je me sens trahi. C’est de cela que ça a l’air.

Puis, on arrive aux croyances sur le sens de la vie et la raison d’être. Mon existence est futile. C’est différent de l’aspect de déconnexion ou de perte de confiance en la bonté; ici il est question du sens de la vie en général. Vous vous sentez carrément inutile.

On sait bien que lorsque les militaires, en particulier nos vétérans, reviennent, ils peinent à se réintégrer. Ils ressentent souvent qu’ils ont perdu leur raison d’être. Imaginez maintenant qu’au fond de vous, vous ne saisissez plus le sens de la vie. Cette personne se trouve dans le pétrin.

Ça fait pas mal le tour de notre échelle, qui comporte à présent 17 catégories. Puisqu’elle a fait ses preuves dans le contexte de la recherche, il ne restera que les essais en milieu clinique. Lorsque vous dites que 17 catégories ont été validées, cela signifie-t-il qu’il existe des mesures qui s’y rattachent?

Brian

Sur le plan de la recherche, oui. Comme notre article vient d’être publié chez Frontier Psychiatry, le monde de la recherche l’a accepté. L’étape suivante consiste à appliquer cette échelle à la vraie vie, en milieu clinique. Il faut demander au personnel médical de poser certaines questions aux patients. Vous utilisez les mesures de l’échelle, puis vous verrez. Hypothétiquement, si une personne obtient une note de 4 ou 5 dans 11 des 17 catégories, elle fait clairement face à un préjudice moral. Toutefois, on n’en est pas encore rendu là.

Brian

Dans l’environnement militaire, les nouveautés sont rejetées quasi systématiquement; les gens s’y opposent. Est-ce pareil en sciences? Avez-vous constaté que, malgré vos progrès, quelques personnes demeurent réticentes?

Fardous

Absolument. Un débat houleux sur la différence entre le préjudice moral et le TSPT oppose encore les chercheurs et la communauté scientifique. Cela se passe actuellement. Certains sont persuadés que le préjudice moral appartient à un sous-ensemble du TSPT, tandis que d’autres le classent dans une catégorie à part entière. Il y a donc 2 camps tâchant de se convaincre mutuellement. Alors oui, pas de consensus même à ce niveau.

Brian

Trouvez-vous que cette opposition pousse une partie de la communauté à se tenir à l’écart de la controverse?

Fardous

Oui. Les gens peuvent se laisser influencer par des chercheurs chevronnés qui ont accompli des choses remarquables et qui s’expriment avec une assurance impressionnante.

De concert avec leurs pairs, les futurs chercheurs devraient prendre l’initiative de mener cette saine conversation plus loin afin qu’on puisse aller de l’avant. Certes, la réticence est là, mais il y a aussi de nombreux chercheurs canadiens brillants et avant-gardistes axés sur le préjudice moral et j’ai hâte de les voir en action. Quelques-uns sont même établis à Ottawa et font partie de notre propre réseau. C’est donc à suivre de près.

Brian

Je me questionne toujours sur ce que l’armée, l’aviation et la marine feraient si toutes ces suggestions étaient approuvées. Dès qu’on découvre une nouvelle facette d’un traumatisme, on fait un remue-méninges.

On crée des acronymes, on vous entraîne. On achète l’équipement qui vous y préparera. Vous irez en Espagne si elle a une longueur d’avance. On fera beaucoup de choses pour que vous découvriez un peu ce moment traumatisant et sachiez comment y réagir.

Mais comment s’y prendre pour préparer une personne à quelque chose d’aussi vaste que le préjudice moral?

Fardous

Excellente question. J’ignore si l’on peut le prévenir. Mes collègues et moi, on s’est mis d’accord que, en joignant l’armée, on risque de subir un traumatisme. Vous êtes conscient que vous vivrez des expériences très pénibles. Impossible de l’empêcher. Passons au plan secondaire. Si l’on vous dit que vous serez percuté par un autobus, de quelle manière peut-on vous y préparer? Bien que cet aspect échappe à notre contrôle, vu l’imprévisibilité de la guerre, il nous incombe de veiller à ce que vous soyez prêt à une telle éventualité. Sachant que cela vous est arrivé, quel type de soutien peut-on vous fournir? Il doit y avoir de sérieuses conversations au niveau organisationnel sur la préparation des soldats déployés, sur ce à quoi ils devraient s’attendre et sur la procédure à suivre dans chaque circonstance. Voilà pour le point de vue préventif. Au niveau de l’équipe, il faut également signaler aux dirigeants d’organisations que, puisque les personnes qui en relèvent vivront forcément ce genre de choses ou en seront témoins, il faudra prévoir des mesures qui les aideront à s’en remettre après leur retour. Il est tout aussi crucial d’allouer assez de temps pour un compte rendu.

Brian

Les progrès sont bien réels. À la fin de mon service militaire, chacun de mes dirigeants s’est rendu compte qu’ils devaient avoir une politique de porte ouverte. Je dis bien jusqu’à un certain degré. Les idées trop farfelues ne peuvent être envisagées. Les portes sont certainement ouvertes pour ceux qui veulent exprimer leurs inquiétudes. Cela dit, aussitôt que quelqu’un se trouvait au seuil de ma porte de bureau, j’avais un peu peur.

Si la personne qui m’approche a besoin de parler de sa carrière, ça me va. Je peux l’encadrer. Mais si son problème est d’ordre plus personnel, je ne suis pas sûr d’être en mesure de l’aider. À cet instant même, bien que je travaille au dossier du préjudice moral, je ne sais pas trop ce que je ferais si j’avais à conseiller quelqu’un concernant un événement préjudiciable sur le plan moral. Tout dépend du contexte, de l’expérience, de la façon dont la personne l’a gérée et de sa réponse émotionnelle. Je me demande ce qu’on peut faire sur ce plan-là à l’avenir. Et mon instinct me suggère qu’il faut en parler davantage.

Fardous

C’est le point de départ. Tu mentionnais que ta porte était ouverte et que les gens pouvaient discuter avec toi. Tu serais surpris des répercussions que cela peut avoir, savoir qu’on a un leader disposé à écouter. Il n’a peut-être pas toutes les réponses et n’est même pas prêt à digérer cette information, mais sa porte est ouverte et il veut entendre ce que j’ai vu ou vécu. Ça change des vies. Ensuite, même dans les soins de santé, il est crucial d’avoir une équipe cohésive parce qu’on peut mettre la recherche en application ici même. Ça remonte le moral de l’équipe.

En tant que leader, vous veillez d’abord à ce que votre équipe soit aussi soudée que possible, que chaque membre peut compter sur les autres. Après, vous pouvez aborder le soutien par les pairs. Si un membre sent que les autres sont là pour lui, il s’adressera à eux en cas de difficulté. Cette cohésion est donc primordiale.

En outre, le leader est tenu d’encourager le bien-être personnel. Assurez-vous que tout membre de l’équipe dispose d’un moment pour se ressourcer et tâcher de comprendre la situation dont il a été témoin ou encore ce choix qui violait ses croyances morales profondes. Veillez à créer cet espace et à libérer du temps. C’est ce qu’il faut entreprendre en premier en étant un leader, car on ne peut simplement imposer le fardeau à la personne. Ce n’est pas juste. Que va-t-elle faire? Elle est victime d’un préjudice moral et vous lui dites de se soigner et de chercher de l’aide.

Brian

Alors, Laryssa, ce que je voudrais réellement aborder, ce sont les choses que j’ai tendance à éviter.
En fait, j’ai plus de facilité à parler des traumatismes et de sujets dérangeants. Non seulement tu as été l’épouse d’un militaire, mais tu travailles avec beaucoup de familles. Est-ce que ces aspects trouvent écho chez toi?

Laryssa

C’est-à-dire quand le vétéran se renferme sur lui-même?

Brian

Oui.

Laryssa

Comme je l’ai déjà dit, les proches ont de la misère à comprendre. Ils l’interprètent comme une rupture dans leur relation. Je parlerai d’un sujet intime plutôt que d’un préjudice moral. Le vétéran essaie d’accepter des choses que lui-même ne saisit pas parfaitement. C’est donc d’autant plus difficile de les dévoiler aux êtres chers. Alors oui, je pense qu’un fossé se crée souvent à ce niveau.

Si vous me le permettez, je vais faire une petite transition afin d’explorer l’impact des préjudices moraux sur les proches avec Fardous. Tu affirmes que le dialogue et la recherche autour du préjudice moral sont très récents et je me demande si les familles en font déjà partie.

Fardous

Excellente question, Laryssa. On dit que la recherche à ce sujet n’en est qu’à ses débuts, mais le volet familial est encore plus méconnu. Brian vient de mentionner que les militaires n’ont pas envie d’aborder certains sujets, car c’est très difficile. Le proche se demande alors pourquoi sa personne de confiance, son allié, ne veut pas lui en faire part.

Cela le porte aussi à croire qu’il n’est pas assez bon. Ce traumatisme secondaire découle du fait que cette personne qui tente de vous protéger croit que vous ne lui faites plus confiance, car avant c’était la transparence totale. À présent, vous gardez tout pour vous.

Il s’agit là d’un poids supplémentaire. Et si vous dévoiliez des choses, comme l’a dit Brian, le proche voudrait-il vraiment savoir que vous avez ignoré des enfants affamés? Quel genre de père ou de mère cela ferait-il de vous si vous révéliez ces renseignements? Quelle opinion allez-vous avoir de moi? Alors vous vous remettez à douter, tout comme la personne en face de vous.

Laryssa

J’aimerais maintenant revenir sur certaines des familles que j’ai appuyées. D’après mes observations, il y a une dynamique selon laquelle le partenaire commence à voir le vétéran sous un jour différent, ne le reconnaissant plus comme la personne, la conjointe ou le conjoint. Si le vétéran se confie, le point de non-retour est franchi. Ses êtres chers entendent parler du côté inhumain de l’humanité. Ils entendent parler de choses inconcevables.

On les voit dans les films, ces aberrations qui surviennent sur terre. Les proches remettent alors en question leur propre boussole morale, car leur conception du monde ne tient plus debout. Je serais même curieuse de savoir si les proches peuvent aussi souffrir eux-mêmes de préjudices moraux. Et c’est étrange, parce que c’est par l’intermédiaire des révélations du vétéran. Et les enfants, comment sont-ils touchés? Normalement, les parents façonnent leurs schémas moraux en leur transmettant les valeurs et principes éthiques auxquels ils croient. Ainsi, quand la boussole morale d’un vétéran s’affole, comment les enfants vivent-ils cela? Donc, c’est la génération suivante qui est touchée.

Fardous

Cela renvoie au traumatisme indirect. À force d’entendre votre vétéran vous raconter son expérience encore et encore, vous aurez l’impression qu’elle vous est également arrivée et serez en train de la revivre avec lui. Même si vous n’étiez pas présente, vous revivez l’expérience par l’entremise de votre partenaire. Ainsi, sachant ce qu’a vécu votre partenaire, vous ressentez davantage de pression. Vous êtes chamboulée par ce que votre compagnon a dû subir et la décision qu’il a dû prendre. Vous avez de la compassion pour lui, mais vous ne comprenez pas son choix, parce que vous ne connaissez peut-être pas les règles d’engagement. Comme Brian l’a mentionné, certaines choses ne relèvent pas de nous. Peu importe à quel point je veux laisser ma porte ouverte, la nature inhérente de mon poste suppose une grande discrétion. Vous pouvez demander à la personne d’expliquer sa conduite, mais elle pourrait ne pas être autorisée de le faire.

Brian

Et l’inverse est parfois vrai aussi, car il y a toujours des moments où le partenaire du vétéran ne souhaite pas lui parler de ce qui le tracasse. C’est pas jojo. Rien d’agréable. Je déteste quand un proche me lance une remarque du type : « Ça ne me tente pas de t’en parler ». Je me sens coupable de quelque chose. Et plus je réfléchis au fait que j’ai mal agi, plus je comprends le comportement de l’autre personne.
Cependant, je ne suis pas sûr qu’elle comprend mon point de vue. L’autre idée qui me préoccupe souvent, c’est que je dois raconter quelque chose sur mon déploiement sans rien révéler d’important. À une occasion, j’ai été accueilli à la maison par un groupe de proches qui pensaient que je revenais de vacances en Europe.

Bon, c’est en partie de ma faute. Je leur ai uniquement montré des moments de mon séjour à Budapest et de mon congé en Allemagne. Leur perception était fondée sur ce fragment de 3 semaines où je m’amusais à fond.

En y repensant, c’est mon manque de communication qui a provoqué cette réaction. C’était en partie à cause de moi. Pour moi, tout est interrelié. Le préjudice moral perturbe d’abord la communication, puis la relation en souffre. Alors, un incident d’il y a 20 ans peut-il affecter mes enfants aujourd’hui? Tout à fait.

Fardous

Effectivement, Brian, comprendre le point de vue de l’être cher nécessite une communication ouverte. Cette personne essaie de vous dire ceci : « Gardes-tu cette information pour toi à cause d’une chose que j’ai faite? »

Il est également important que votre proche comprenne que, à certains moments, vous n’aurez pas envie de discuter. Créez donc cet espace sûr. Ne le prenez pas personnellement. S’il existait une formation à ce sujet, n’as-tu pas l’impression qu’elle aiderait énormément le vétéran et sa famille à comprendre les raisons pour lesquelles il préfère ne pas dévoiler certaines choses et que les proches n’ont pas à se sentir visés? Quel est ton avis?

Brian

On travaille tous dans le même domaine, chacun ayant un rôle différent, mais, maintenant que vous avez appris que votre collègue a négligé de nourrir des enfants quand il aurait pu le faire, votre réaction m’inquiète. Et je sais comment vous allez réagir. Vous réagirez positivement, car vous êtes mes amis, mes collègues, et que vous l’avez appris dans le cadre de votre travail, mais cette inquiétude persiste. Eh bien, imaginez ma réaction lorsqu’il s’agit de mon voisin ou de quelqu’un qui n’est pas partie prenante dans notre relation?

D’autre part, je risque aussi de détruire ma relation avec ma femme et mes enfants en leur disant ce que je viens de vous confier. C’est moi seul qui porterai ma croix. Je le fais depuis longtemps. C’est un aspect important. Je vous protège, mais je me préoccupe surtout de votre réaction potentielle.

Laryssa

Afin d’y voir plus clair, les gens gagneraient à être informés et à recevoir une formation, comme l’a suggéré Fardous. Y a-t-il des ressources sur le préjudice moral pouvant servir à un vétéran qui soupçonne d’en avoir été victime, à ses proches ou même à des fournisseurs de services qui veulent en savoir plus?

Fardous

Ce serait honteux de se vanter de notre travail chez Atlas, mais…

Laryssa

Sachez qu’on n’a prévu rien de tout ça (rires).

Brian

Bien joué!

Fardous

Vous verrez qu’une bonne partie de notre site Web est consacrée aux préjudices moraux. En mettant sur pied l’organisation, notre position était nette : les préjudices moraux allaient être l’une de nos priorités. Et on poursuivra nos efforts dans ce sens jusqu’à ce que ce diagnostic soit officiellement reconnu. Avec un peu d’espoir, Anciens Combattants Canada commencera à couvrir le sujet et ce sera toute une victoire. Quant à ce que disait Laryssa, la recherche dans ce domaine est très prometteuse. Le Canada, les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni, le Danemark, l’Israël, chacun a un rôle à jouer.

Cela touche tout le monde, tous les militaires. On se doit donc d’être coordonnés et de regrouper ces renseignements afin d’en créer un guichet unique. C’est justement le mandat d’Atlas : on ne veut pas que vous parcouriez Google à 2 ou 3 heures du matin à la recherche d’informations.

On aimerait que toute l’information se trouve au même endroit. C’est pourquoi on cherche à offrir aux vétérans, à leur famille et aux militaires des formations dans le cadre desquelles on demandera à des cliniciens ayant une expérience de terrain ce qu’ils auraient aimé savoir avant le déploiement. Je souhaite connaître le point de vue de Brian. Imagine qu’un clinicien te disait ceci : « En fait, vous n’êtes pas atteint du TSPT. Cela ressemble à autre chose. » Combien d’années de stress cela t’aurait-il épargné et quel poids cela aurait-il ôté de tes épaules si on te l’avait signalé dès le départ?

Brian

Vous vous libérez complètement sur le plan psychologique quand quelqu’un sait ce qui ne va pas chez vous. Même si la personne ignore ce que vous allez faire, elle vous aide rien qu’en vous disant que vous souffrez de X, que vous avez déchiré ceci. Je pense qu’il faut faire la promotion de notre travail parce que, pour un pompier, l’audace et le courage renvoient à une chose, tandis que, dans ce domaine où règne la controverse, ces concepts signifient autre chose. Rien n’y est prédéfini et il y a certaines zones d’ombre.
L’unanimité n’y règne pas non plus. Mais les vétérans et leur famille nous ont dit que ces sujets les interpellent. Ils trouvent écho chez eux. C’est ce à quoi ils doivent faire face. Et je suis très fier qu’on travaille là-dessus. Je le dis aux gens. Je leur présente nos trouvailles et, au tout début, ils en sont plutôt abasourdis.

J’ai employé l’analogie de l’escalier roulant. Un bon ami et collaborateur nous a dit que, tandis qu’il a perdu 2 camarades, le principal débat en ville à son retour était l’avenir de l’équipe de hockey locale. Cet argument a sa raison d’être, car j’aimerais qu’elle continue d’exister et qu’elle remporte enfin un tournoi. Toutefois, il est difficile de prendre cela au sérieux après l’expérience qu’on a vécue. Au cours des Première et Seconde Guerres mondiales, tout le pays était en guerre. Toute la nation économisait du beurre et remettait ses casseroles en trop. L’effort de guerre se déroulait d’un océan à l’autre.
Les conflits actuels sont de bien moindre envergure, et seul le personnel militaire est impliqué. On dirait que nous partons à la guerre tandis que les civils vaquent à leurs occupations ordinaires. Nous, on revient d’un événement traumatisant. En bas de l’escalier roulant, les gens se préoccupent du prochain iPhone à acheter. Je catégorise les gens bien sûr, mais on dirait qu’on revient vers un pays qui n’a aucune idée de ce qu’on faisait. C’est éprouvant. Mais cela constitue-t-il un préjudice moral?

Fardous

Oui, mais je ne sais pas où ça se situe sur le continuum. Cette expérience dont tu fais part, toi seul l’as traversée. Tu sens que ta communauté te trahit parce que personne ne reconnaît l’immense sacrifice que tes camarades et toi avez dû faire. Les gens vivent leur vie comme si de rien n’était. Je perçois donc un sentiment de trahison là-dedans. Le reste de la population ne s’imagine même pas le prix de la liberté. On a déjà évoqué de la trahison institutionnelle, et on doit poursuivre ces discussions, mais il nous incombe d’envisager et d’explorer la possibilité d’une trahison communautaire.

Brian

Il y a aussi quelques points sensibles autour du temps de réponse. En cas d’incident, on envoie une force de réaction rapide sur place en quelques minutes. On obéit, car le gouvernement veut stabiliser la situation. Puis, en rentrant au pays, on se fait dire : « Cela prendra 18 mois ou tel dossier sera traité d’ici 16 semaines. » C’est horrible parce qu’on compare cela parfois au temps de réponse attendu de notre part lorsque notre aide était sollicitée. Je ne veux pas attendre aussi longtemps pour obtenir mon évaluation médicale. Ce temps d’attente me paraît exagéré. D’ailleurs, cela va au-delà de l’attente, car je repense au moment où j’ai agi en bon petit soldat lorsqu’il le fallait. Puis, c’est ce qu’on me donne en échange?

Fardous

Vous vous êtes sacrifiés pour nous. Et il est tout à fait logique que le pays vous rende la pareille à votre retour. Tu n’as donc pas tort en disant : « J’ai été en mesure de tout laisser tomber et de réagir sur-le-champ pour mon pays. Cependant, personne n’est là pour moi maintenant que je suis rentré. Par ailleurs, je tiens à mettre en évidence les éléments du préjudice moral que vous venez de décrire en détail parce qu’il y a forcément d’autres personnes qui se sont senties interpellées par votre expérience. Elles peuvent à présent la qualifier d’événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral.

Brian

L’autre enjeu majeur auquel je pense ce sont les traumatismes sexuels militaires. Un seul cas c’est déjà terrible, mais on en a plusieurs. Il s’agit donc d’un problème de taille. Ce type d’incidents me donnent matière à réflexion : non seulement je subis des épreuves dans le cadre de mon travail, mais d’autres militaires sont également blessés par leurs pairs et on dirait que ces victimes sont tout particulièrement vulnérables aux préjudices moraux. Quand l’agresseur fait partie de l’équipe qui a promis de vous protéger, est-il juste de dire que les blessures subies dans ce contexte s’assimilent davantage à un préjudice moral ou bien suis-je le seul à avoir cette impression?

Fardous

On ne peut dire avec certitude qu’un type de blessure correspond plus à un préjudice moral qu’un autre. Cela dit, la trahison institutionnelle contribue grandement aux préjudice moral. Vous acceptez déjà de réaliser une tâche monumentale, mais vous ne saviez pas que le danger rôde au sein même de votre organisation. Certes, vous êtes à risque de subir un préjudice moral, mais je doute qu’il soit possible de déterminer qu’une blessure soit d’ordre moral davantage qu’une autre.

Il pourrait parfois même s’agir d’un effet cumulatif. Imaginons que vous étiez blessé en service et puis une autre fois par un militaire? Vous serez dévasté à la suite d’un double traumatisme. Quoi qu’il en soit, vous touchez une thématique qui doit être approfondie, car la recherche n’a pas encore établi dans quelle situation le préjudice serait plus important.

Brian

Qu’en est-il de la suite des choses? À ton avis, que pourrait-on raisonnablement accomplir en ce qui a trait aux préjudices moraux d’ici 2 ans?

Fardous

Je crois que l’échelle de résultats liés au préjudice moral, le fruit d’un partenariat multinational, constitue la voie de l’avenir. Mon espoir et ma vision, c’est qu’on l’utilisera au niveau clinique. Une fois approuvée, elle sera employée pour diagnostiquer les patients manifestant de multiples symptômes du préjudice moral.

Rendu là, on commencera à changer les choses. C’est l’une des prochaines étapes. L’autre est liée à notre conversation d’aujourd’hui. N’oublions pas que Brian, un défenseur de longue date de la cause qui travaille dans ce milieu, hésite toujours à révéler certaines informations.

Lui qui est bien placé dans son parcours de rétablissement et qui est entouré de collègues qui le comprennent, ressent pourtant cette réticence. Plusieurs parmi nous sont loin d’être aussi chanceux. On doit donc s’assurer que cette discussion se poursuive et qu’on ne perde pas de vue le pouvoir qu’elle revêt. Par ailleurs, c’est grâce à nous que certains intervenants, notamment des vétérans de la GRC, apprennent l’existence du terme « préjudice moral ».

Brian

Même situation de mon bord! Une fois le sens clarifié, ils constatent qu’ils en parlaient déjà depuis des années. Il ne leur manquait que le nom. Ah oui! Le préjudice moral a-t-il des effets indirects? Est-il « transmissible »? Le préjudice moral auquel je fais face peut-il se répercuter sur mes proches?

Fardous

C’était justement notre conversation de toute à l’heure. Le vétéran a l’impression que, en parlant de son traumatisme à sa famille, elle en sera affectée également. C’est une chose d’en faire part, puis de s’en aller. L’impact est alors inévitable. C’en est une tout autre si on cherche ensuite à résoudre le problème ensemble. On se munit des ressources de soutien nécessaires pour traverser cette épreuve. On se demande à quel moment se tourner vers un professionnel.

Il sera bien plus bénéfique de poursuivre la conversation que de s’arrêter à l’étape de partage. Vous verrez ainsi que vous avez mis un poids sur les épaules de l’autre. Sans votre appui, votre proche se mettra à douter d’un grand nombre de choses, et cela ne mènera à rien de bon. Malheureusement, cette conversation a toujours existé en santé mentale.

Laryssa

J’ai une grande question pour toi. Elle te donnera sûrement du fil à retordre.

Brian

Ce sont les meilleures questions! (rires)

Laryssa

Il nous reste justement une minute!

Fardous, tu as parlé de l’évolution de la situation concernant les préjudices moraux et de l’échelle de résultats, mais je présume que les gens à l’écoute veulent savoir ce qui se trouve de l’autre côté du préjudice moral?

Fardous

La croissance morale. La résilience morale.

Brian

Ça existe?

Fardous

Oui. Bien qu’on n’en ait pas parlé, la croissance morale est bien réelle. Lorsque la thérapie ou les conversations que vous avez portent leurs fruits, vous avez la possibilité d’en sortir grandi. Vous pourriez décider d’agir autrement si cette situation se reproduisait. Une fois que vous comprenez votre traumatisme, votre boussole vous montrera la voie à suivre.

De l’autre côté, il y a la croissance morale. C’est un parcours. Lorsqu’une personne est atteinte de TSPT et qu’elle reçoit du soutien, elle pourrait s’en remettre. C’est la même chose dans le cas d’un préjudice moral. La croissance et la résilience morales surviennent quand la victime dispose d’outils et d’un soutien professionnel adéquat.

Brian

Je sens venir un balado de suivi! La croissance morale. Cet épisode est tout à fait unique. Le sujet revêt une très grande importance pour moi. Ce sont des choses sur lesquelles je veux travailler. Pour ceux qui écoutent, c’est comme s’il s’agissait d’une mini-réunion de personnel. Ici, tout part d’une conversation. D’ailleurs, on s’apprête à rencontrer la communauté demain et c’est la raison de notre visite en ville. On tiendra une rencontre avec nos principaux conseillers. On demande aux gens de quoi ils veulent parler. Et il faut probablement se concentrer sur les sujets les plus tabous. Je suis heureux que nous soyons assez courageux et audacieux pour discuter de tout cela, surtout lorsqu’on vous pose des questions et que vous admettez ne pas en connaître les réponses. Il nous reste encore beaucoup à faire. On doit donc poursuivre sur cette lancée.

Laryssa

Bravo! Quelqu’un devrait amener des beignets et du café à la prochaine mini-réunion. Merci beaucoup de t’être joint à nous aujourd’hui, Fardous.

Fardous

Bien sûr. Merci de m’avoir invité. J’espère que cela a été utile.

Brian

Voilà qui met fin à cet épisode. Ici Laryssa Lamrock, Brian McKenna et notre chère Courtney. C’est notre réalisatrice, notre productrice. Aucun balado sans elle.

Laryssa

Elle est notre ciment.

Brian

Et on a eu la chance d’échanger sur les préjudices moraux avec le grand patron, notre PDG, Fardous Hosseiny.

Merci d’avoir pris le temps de venir ici aujourd’hui.

Fardous

Bien sûr. Merci.

Dans ce deuxième épisode de L’esprit au-delà de la mission, Brian et Laryssa discutent avec Polly Maher, responsable de l’expérience vécue par les familles à l’Institut Atlas, de la façon dont les familles des vétérans sont touchées par les blessures de stress opérationnel et les problèmes de santé mentale.

Épouse d’un vétéran souffrant du trouble de stress post-traumatique, Polly parle de son expérience personnelle de l’équilibre entre la maternité, la vie professionnelle, son propre bien-être et le diagnostic de son conjoint. Polly, Brian et Laryssa réfléchissent à leurs expériences et défis en matière d’usure de compassion, de communication, d’autosoins, de la vie en « mode survie » et de gestion des attentes. Ils présenteront des ressources et des stratégies qui les ont aidés dans leur parcours.

Ce balado a été enregistré en anglais. Des transcriptions en français sont disponibles pour chaque épisode.

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MIND BEYOND THE MISSION EPISODE 2 : « ET LEUR FAMILLES »

Brian :

Bienvenue à Après la mission, un balado fait pour et par les vétérans et les membres de leur famille. Je suis l’un de vos hôtes, Brian McKenna, conseiller stratégique à l’Institut Atlas et soldat canadien à la retraite.

Laryssa :

Je m’appelle Laryssa Lamrock et je suis conseillère stratégique à l’Institut Atlas et fière membre de la famille militaire. Dans ce balado, nous nous pencherons sur les problèmes réels vécus par les vétérans, les anciens membres de la GRC et leurs familles.

Brian :

Nous ne vous promettons pas de tout faire parfaitement. Mais nous pouvons vous assurer que les expériences que beaucoup d’entre nous ont en commun, mais dont nous ne parlons pas toujours, sont authentiques.

Laryssa :

Nous espérons que vous trouverez dans nos paroles et nos expériences une certaine solidarité et, surtout, l’espoir que les choses peuvent vraiment s’améliorer. Vous pouvez vivre dans le moment présent et de façon authentique.

Brian :

Commençons. Nous sommes donc à Ottawa.

Laryssa :

En effet.

Brian :

C’est intéressant. Je travaille ici depuis 23 mois et je t’ai rencontrée pour la première fois il y a 3 jours. Et nous ne sommes pas seuls, nous sommes accompagnés de Polliann Maher. Elle se joint à nous aujourd’hui. L’un des sujets aujourd’hui, en ce qui concerne les familles, c’est encore le fait de dire « et leurs familles », et nous constatons que dans le monde des vétérans, nous avons de plus en plus d’influence, mais nous devons quand même rappeler aux gens qu’il y a ce groupe de personnes qui viennent avec moi, qui font partie de ce que je vis – en fait, de ce que j’avais l’habitude de vivre – parce que quand je revis ça dans des cauchemars, je dors à côté de quelqu’un. Quand j’ai une mauvaise journée, ça se répercute sur d’autres personnes. Et nous sommes tous dans le même bateau, mais on continue d’utiliser l’expression « et leurs familles ». On disait toujours que si l’armée voulait que vous ayez une famille, elle vous en aurait donné une. Et ça fait un peu rire. Mais ce n’est pas un argument complètement inventé. C’était un peu la façon de faire. Je me souviens d’avoir assisté à des séances d’information où nos conjoints et conjointes entraient dans une autre salle, parce qu’ils allaient à la séance d’information pour les familles, et nous allions à la séance d’information opérationnelle ailleurs, et c’était un progrès. À l’époque, c’était « et leurs familles ». Voilà où nous en sommes.

Laryssa :

Exact. On sait que les familles des vétérans sont des sources de soutien essentielles pour ceux et celles qui ont des blessures physiques, mais aussi des blessures psychologiques. Polly et moi allons donc avoir une petite discussion aujourd’hui sur la façon dont les familles sont touchées lorsqu’il faut un vétéran qui a des problèmes de santé mentale. Alors, Polly, parle-nous un peu de toi.

Polly :

C’est formidable d’être ici à Ottawa et de vous rencontrer. J’ai eu l’occasion de rencontrer Brian à Vancouver. J’ai donc pu le rencontrer avant toi. Je suis l’épouse d’un vétéran à la retraite qui souffre du TSPT et qui a reçu un diagnostic en 1999. J’ai donc plus de 20 ans d’expérience de ces montagnes russes avec lui. Et nous avons 2 fils. J’avais l’habitude de dire « les enfants », mais ce ne sont plus des enfants. Ils ont 29 et 27 ans et ils ont vécu tout ça avec nous. Je suis donc heureuse d’être ici aujourd’hui.

Laryssa :

On veut parler de la façon dont les familles sont touchées. Une grande partie de l’éducation offerte ou des conversations porte sur les vétérans. Aujourd’hui, on va vraiment parler des répercussions sur la famille. Et on veut garder à l’esprit qu’il y a une séparation entre le vétéran et sa famille. Brian nous rappelle que le vétéran fait partie de la cellule familiale, que nous ne devrions pas les séparer. Les deux ne s’excluent pas mutuellement. La santé du vétéran a une incidence sur celle de la cellule familiale, et vice versa. On va en parler aussi. Alors, allons-y. Comment et pourquoi les familles sont-elles touchées par les blessures de stress opérationnel, comme le TSPT, l’anxiété et d’autres problèmes de santé mentale?

Polly :

Comment pourraient-elles ne pas l’être? Il y a un changement énorme dans la santé mentale de leur proche. Pour nous, ça s’est mis à monter lentement après sa libération. Après environ 6 mois, les cauchemars ont commencé et une odeur a tout déclenché. Il disait : « Sens-tu ça? » Et je ne savais rien. C’était les années 1990. J’étais complètement dans le noir. Nous avons échangé des lettres sans arrêt. Il n’y avait pas d’Internet. Je ne me suis jamais rendu compte qu’il y avait un rapport. Il ne faisait plus partie de l’armée. Il a adopté des méthodes d’adaptation malsaines qui ont joué un rôle et auxquelles se sont ajoutés la drogue et l’alcool, l’évitement et l’isolement, et cela m’a donné l’impression d’être une mère monoparentale. C’était probablement l’une des premières répercussions sur nous en tant que couple. Il y avait moi et les enfants, puis il y avait lui. Et je ne savais pas qui se lèverait le matin, le Dr Jekyll ou M. Hyde. Ça nous touche, on est en mode survie, on devient hypervigilant pour les enfants. En tant que conjointe, je ne pouvais pas mettre le doigt sur tout cela à l’époque. Je faisais de mon mieux avec ce que j’avais. Quand il a reçu son diagnostic, ça a été comme un soupir de soulagement.

Laryssa :

Toi et moi en avons déjà parlé, Polly. Les choses s’améliorent beaucoup, mais il n’était pas rare qu’il y ait une période d’environ 10 ans avant que les militaires soient diagnostiqués ou qu’ils le soient après leur libération. On ne comprend donc pas ce qui se passe dans notre famille pendant 10 ans. Non seulement le militaire ou le vétéran peut trouver des stratégies d’adaptation négatives, mais les familles aussi. Je me souviens de mes expériences et du fait que je ne connaissais rien à la santé mentale. En tant que membres de la famille, on n’a pas été formés sur ce à quoi on doit être attentif, ce à quoi s’attendre et ce qui pourrait se produire. Je pensais vraiment que c’était moi la cause de l’isolement, du retrait. J’ai exploré ce qui, rationnellement, aurait eu du sens pour moi à ce moment-là, et ça voulait dire que c’était ma faute. Alors, quelles ont été tes expériences lorsque ces événements se produisaient? Comment procédais-tu?

Polly :

Je ne les analysais pas. Je ramenais tout à moi. Je me demandais ce que je pouvais faire mieux. Comment je pouvais garder les enfants tranquilles. Comment je pouvais éviter d’exercer une pression financière sur lui. De quelles autres tâches je pouvais me charger. J’essayais d’en faire toujours plus, jusqu’à ce qu’il y ait un point où je m’écrase, épuisée, et ça a été comme une claque au visage. Ça s’est fait graduellement, mais j’ai compris que la seule personne qui pouvait m’aider, c’était moi.

Laryssa :

Parle-moi donc davantage de cet épuisement et de la suite des choses.

Polly :

En fait, c’était le résultat de petites choses qui s’étaient accumulées. Il avait été diagnostiqué, alors je pensais que les psychologues allaient tout régler.

Brian :

Comme pour les blessures physiques.

Polly :

Oui, exactement. Je me disais : « Oui, ça va aller. » On va en thérapie chaque semaine, on en parle, on rentre à la maison et on va être « normal », peu importe ce que ça veut dire. Mais ça n’a pas été le cas. Et à mesure que j’en faisais toujours plus et que j’essayais de travailler et d’élever 2 enfants, il y avait le silence, les luttes intestines, les disputes. Donc, c’était ma faute. Je ne faisais pas du bon travail. Je n’étais pas une bonne épouse. Je n’étais pas une bonne mère. Et un jour, j’ai pris une bouteille de pilules. C’était mon appel à l’aide. C’était un peu draconien. Ma sœur nous a rejoints à l’hôpital. Je n’ai pas pris de pilules qui me tueraient. De toute évidence, c’était un appel à l’aide. Mais c’était par désespoir. Je voulais dire : « et moi dans tout ça? »

Brian :

Oui, on est un patient aussi. Penses-tu que les gens comprennent ça?

Polly :

Non, parce que de l’extérieur, j’ai l’air de bien aller. Je mets ce masque tous les jours.

Brian :

Il me semble assez évident que ce qui arrive, c’est que beaucoup de gens regardent les conjoints et les conjointes, les enfants et les fournisseurs de soins en se disant : « Quelle est leur capacité d’aider cette personne? » Donc, le vétéran s’occupe de la situation du vétéran, sa conjointe ou son conjoint s’occupe de la situation du vétéran. Les enfants se demandent : « Que fait Papa? » Tout cela est en quelque sorte axé sur la façon dont on peut aider son conjoint et sur le fait qu’on doit comprendre qu’on est un être humain, qu’on est un patient. Je pense que c’est ce que nous devons faire. Oui, c’est l’espoir dans tout ça. Explorons cette question. Comment peut-on commencer à regarder les gens comme ils sont?

Polly :

À l’époque, j’étais l’épouse qui prenait sa défense auprès du ministère des Anciens Combattants. Le bureau de notre ville nous connaissait très bien. J’ai écrit à de nombreux ministres au fil des ans. Certains m’ont répondu, alors j’espère avoir ouvert la voie à d’autres familles. J’essayais toujours d’être proactive et d’obtenir entre autres de l’aide pour mes enfants. Mais en fait, la première conseillère qui a vraiment compris la situation faisait partie d’un programme d’aide aux employés de l’entreprise pour laquelle mon mari travaillait à l’époque. Ce n’était pas ACC à l’époque. Et en ce qui me concernait, elle a parlé de deuil et de perte.

Nous nous sommes donc un peu engagés dans cette voie, mais elle m’a vraiment expliqué comment prendre soin de moi et comment gérer ma dépression. Elle m’a expliqué quoi faire quand la situation devient accablante. Ce que je devais créer autour de moi. C’était une sorte de sensibilisation. Et j’ai dévoré des livres sur les autosoins, les traumatismes et ce genre de choses. C’était donc moi qui m’éduquais à l’époque, avec un peu d’aide d’une travailleuse sociale, pour m’aider à comprendre ces émotions. Pour être honnête, je n’ai pas été admise à l’hôpital. Je suis entrée, je me suis sentie humiliée et les médecins m’ont dit : « Eh bien, vous voyez un psychologue », parce que j’allais, à l’époque, de façon sporadique avec mon conjoint, à ses visites chez le psychologue. C’était donc une case à cocher.

Brian :

As-tu eu l’impression que tu devais cacher ton problème? Parce qu’on s’occupe déjà de l’autre?

Polly :

Tout à fait. Honnêtement, j’étais responsable des finances. Et je ne suis pas une spécialiste. Je ne suis pas très bonne, mais je faisais de mon mieux. Mais encore une fois, je ne voulais pas alourdir le fardeau de mon mari.

Brian :

J’aimerais donc vous poser une question à toutes les deux. Laryssa, tu peux peut-être répondre. J’ai expliqué aux gens la différence, à mon avis, entre motivation et capacité. Et là où cela devient évident pour moi, c’est que je devais remplir de nombreux formulaires. Je suis sûr que vous savez de quoi je parle. En fait, la simple vue de l’enveloppe du gouvernement, cette tache brune qui ressemble à du café renversé… je déteste regarder ces lettres. Peu importe d’où elles viennent. Il pourrait s’agir d’un formulaire de déclaration de revenus. Mais je les vois et je me dis : bon, je recommence à remplir ces formulaires. Sur ces formulaires, l’une des questions est : pouvez-vous aller faire vos achats? Pouvez-vous préparer des repas?

Oui, je peux. J’en suis capable. Mais ma femme s’occupe de 80 % de ce genre de choses. Je peux aller reconduire les enfants à l’école, je le fais plus souvent, en fait. Parce que c’est notre manière d’équilibrer les tâches à la maison. Mais il était toujours évident qu’on me posait la mauvaise question. Si vous me parlez des tâches ménagères, oui, je peux faire tout ça. Mais je ne le fais probablement pas. Et si c’est à l’extérieur de la maison, surtout lorsque vous souffrez, le fardeau repose entièrement sur l’autre personne. Alors, comment détermine-t-on qu’une personne peut faire quelque chose? Peut-elle vraiment le faire ? Et est-ce qu’elle le fait vraiment?

Laryssa :

Il y a tellement de niveaux à tes questions. Je pense que, dans bien des cas, le vétéran veut contribuer, participer et faire partie de la cellule familiale. Il peut donc faire de son mieux et contribuer, venir à l’épicerie ou aider à faire les courses, selon le cas, en amenant les enfants ici et là. Mais en soi, si le vétéran utilise toute son énergie pour accomplir cette tâche, cela devient souvent difficile pour le reste de sa famille. Et cela nous impose des exigences supplémentaires pour gérer cette tâche et nous assurer que les enfants sont prêts à monter dans la voiture. Et ensuite, il faut essayer de gérer les symptômes du vétéran. On finit souvent par tout faire nous-mêmes, parce que c’est plus facile.

Brian :

On en est donc à : « Je peux faire les courses, mais je pourrais revenir dans un état pire, par exemple, à cause des odeurs de la section boucherie, du bruit, de l’agitation. Ce serait tout simplement plus simple si tu t’en chargeais ». Et donc, c’est ce qui arrive.

Polly :

Exactement. Et ça devient une seconde nature. On ne se rend même pas compte qu’on prend cette responsabilité. Parce que c’est l’environnement qu’on peut contrôler en tant que conjoint ou conjointe. On maintient donc les symptômes, les déclencheurs qui aggravent les symptômes au minimum. On se dit : je vais y aller. Je vais faire ceci. Je vais faire cela. Même si on a 6 autres choses à faire et qu’on doit aller reconduire les enfants quelque part.

Brian, je pense que tu as soulevé un très bon point. Quand je repense à ma vie, il m’est arrivé de faire 100 % des choses, puis c’est passé à un scénario 90/10. Ça fait maintenant depuis plus de 20 ans et c’est habituellement 60/40. Il arrive, mais rarement, que ce soit 50/50 et il sera d’accord avec toi; je ne dis rien qu’il ne reconnaîtrait pas aussi. Mais si le vétéran travaille, comme dans notre cas quand mon conjoint travaillait, il consacrait toute son énergie à la vie militaire et au travail. Et puis nous en faisions les frais quand il rentrait à la maison, parce qu’il y avait des conséquences au travail si son comportement dérangeait ou s’il ne faisait pas son travail correctement.

Brian :

Des conséquences directes et importantes.

Polly :

Exactement. Et quand il rentrait, le masque tombait; il était en colère ou il ne voulait voir personne. Il s’isolait et passait en mode « bunker », puis son psychologue lui a dit :» c’est votre travail ou votre famille ». Et nous nous sommes séparés à quelques reprises. Ce que je veux dire, c’est que je me considère comme l’une des chanceuses, car nous avons été en mesure de passer au travers. Mais on a failli signer un accord de séparation. Puis on a décidé d’essayer encore une fois. Et je suis heureuse de dire que nous avons réussi. Parfois, je regarde mes enfants et je me demande si c’était la meilleure décision. Je ne sais pas. Mais je l’ai fait à l’époque avec les informations que j’avais, et le cœur que j’avais, parce que ce n’était jamais une question d’amour. C’était une question de comportement. Je l’ai toujours aimé. Et j’ai dû faire la distinction entre les deux. Ensuite, il était plus facile de dire qu’il n’était pas une mauvaise personne. Son comportement est incontrôlé aujourd’hui, ou il n’est pas gentil. Vous comprenez?

Laryssa :

On pourrait donc en quelque sorte lier le comportement au fait qu’il a eu un diagnostic. Ce comportement, c’est lié aux symptômes du TSPT. Ton mari a un TSPT, et tu as donc été en mesure de l’identifier. On a parlé de la possibilité que le fait de faire des courses provoque ou déclenche le comportement problématique du vétéran. Tu as parlé de ton mari qui revenait du travail, qui était en colère et qui s’isolait. Quelle est l’incidence sur les membres de la famille? Je pense qu’en tant que membres de la famille, nous avons souvent l’occasion de relever des subtilités réelles et de développer une hypervigilance et d’autres choses qui ressemblent parfois presque au TSPT lui-même. Mais à ce moment-là, quelles sont les répercussions pour toi? À quoi ressemble cette expérience?

Polly :

Je pense qu’on devient hypervigilant et qu’on perd un peu notre identité. Parce que je vivais ma vie sociale au travail. J’aimais ça quand je pouvais travailler. J’ai quitté plusieurs emplois, à cause de sa santé mentale. Je devais prendre un congé pour cause de stress, ou je quittais tout simplement mon emploi, ce qui a eu des répercussions parce que mon curriculum vitae contient plusieurs emplois différents. Les gens se demandent pourquoi je ne pouvais pas garder un emploi. Ce n’était pas moi, la cause, mais la situation, ma vie à la maison. Alors on accepte un emploi qui fonctionne, qui offre de la flexibilité, peut-être que ce n’est pas la carrière qu’on veut ou un travail qu’on est apte à faire. Je pense qu’avec l’isolement et tout le reste, il y avait les garçons et moi… et lui. Il y avait donc un certain fossé, même si ce n’était pas ce qu’on voulait. Les enfants venaient toujours me voir pour tout, ne sachant pas comment il allait réagir. Encore aujourd’hui. Mes enfants sont dans la vingtaine, et ils ne réveillent pas leur père s’il dort. Quand ils étaient petits, ils ont essayé, et quand il s’est réveillé, il les a attrapés ou a été agressif. Il n’est plus comme ça. Mais ils s’en souviennent. Vous comprenez?

Laryssa :

Peux-tu m’en dire plus à ce sujet? On a parlé de l’incidence sur le conjoint ou la conjointe, de la dynamique de la relation de couple. Parlons des répercussions sur les enfants.

Brian :

Je voulais mentionner quelque chose. À cet égard, mes enfants ont dû apprendre à me réveiller correctement. Et ils ont dû apprendre qu’on peut réveiller quelqu’un en lui tapant l’épaule, ou simplement en s’approchant du lit, en disant « Hé! » et en commençant à parler très fort. Ils ont appris très rapidement que cela ne fonctionnait pas avec Papa. Je n’ai jamais donné de coup de pied à quelqu’un, mais ça pourrait arriver si tu es au mauvais endroit et que tu me réveilles au mauvais moment. Qu’en penses-tu? Comment les enfants doivent-ils apprendre des choses que les enfants ne devraient pas avoir à apprendre?

Polly :

C’est un excellent point, Brian. Je pense que c’est vrai. J’ai dû apprendre comment réveiller mon mari, que ce soit à la suite d’un cauchemar ou le matin, pour un rendez-vous, par exemple. Et j’ai assez bien réussi. Je mettais ma main doucement sur son épaule, sa poitrine ou ailleurs, selon sa posture, et je lui disais : « Hé, Sean, c’est Polly. On est couchés. Tu es en sécurité. » Personne ne m’a appris à faire ça. Il n’y avait pas de guide, pas de médecin, rien. J’ai juste compris que ça fonctionnait.

Brian :

Oui. Mais ce qui est intéressant, c’est que les médecins sont payés cher pour faire ce que tu as fait. Ils m’ont dit : « Vous devez voir les couleurs dans la pièce et y porter attention. » Par exemple, il y a une horloge rouge là. Et il y a cette affiche jaune WiFi de l’autre côté de la pièce. Comme les techniques d’enracinement.

Polly :

Tout à fait, mais peut-être que Shawn les apprenait, mais je ne les apprenais pas avec lui. Je dois dire que j’ai eu de la chance en ce sens que j’ai en quelque sorte forcé mon chemin vers une grande partie de son traitement. Il m’a permis de participer et je me sens privilégiée. Ça a donné de meilleures chances à notre relation, à notre vie et à la façon dont on a dû affronter les choses parce que le psychologue était ouvert. Il nous parlait de traitement de rechange ou suggérait d’essayer différentes choses. Cela a vraiment fonctionné pour nous, cela dépend de l’état du vétéran et de son ouverture. Il faut voir les choses en équipe plutôt qu’individuellement.

Mais quand on parle des répercussions sur les enfants, c’est un gros problème. Je pense qu’on pourrait faire tout un épisode sur la culpabilité. Parce que, au cours des dernières années, mes séances de thérapie ont porté sur la culpabilité. Et la culpabilité concerne mes enfants. Je les aime à mort. Et ils sont devenus des jeunes hommes fantastiques. Mais je me sens très coupable de ce qu’ils ont vécu. Et je sais dans mon cœur que j’ai fait de mon mieux avec les outils que j’avais à l’époque. On ne peut pas mettre les enfants à l’abri. Je pense que mes enfants sont plus conscients des enjeux de santé mentale. Et notre maison a fini par être un lieu de rassemblement, ce qui pour moi a été un succès. Si des amis avaient des problèmes de santé mentale, ils pouvaient nous en parler, comme nous en avons parlé plus ouvertement à l’adolescence. Pour être honnête, je ne sais pas ce que pensent les garçons. Nous n’avons jamais eu de conversations vraiment approfondies, parce que je ne sais pas si je veux réellement le savoir.

Brian :

Je me souviens de l’époque où j’avais 2 enfants de 4 et 2 ans et que je devais de nouveau aller à l’étranger. Pour eux, c’était la première fois que je partais, mais pour moi, c’était la troisième. En arrivant à l’aéroport de Vancouver, mes enfants n’avaient aucune idée de ce que je leur expliquais. Je leur ai donc dit la vérité. Vous étiez habitués à ce que Papa soit parti pendant un certain temps. Maintenant, Papa part pour longtemps. On leur dit la vérité, mais ça n’évoque rien pour eux. La fois suivante, mon enfant, qui avait maintenant 5 ans, m’a dit alors que je sortais de la voiture : « Ne laisse pas les talibans te tuer, Papa. » Et j’ai encore ces mots gravés dans mon esprit. Parce que les enfants de 5 ans ne devraient pas savoir que Papa pourrait mourir. Ils ne devraient certainement pas savoir comment se nomment les groupes terroristes dans le monde. Et le fait que mes choix de carrière leur permettent de comprendre ça, soyons justes, c’est trop. C’est trop difficile à comprendre.

Mais j’avais un groupe d’environ 1000 personnes qui faisaient la même chose. Nous avons pensé : c’est dur pour nos familles, mais nous sommes tous dans le même bateau. Mais quand on revient et qu’on a un problème, et que les 4 autres n’en ont pas, on n’est plus dans le même bateau. Et maintenant je suis le patient et j’impose cette douleur supplémentaire à la famille. Y a-t-il une certaine inspiration pour le cacher, l’enterrer, s’en débarrasser en criant? Parce que la colère vaut mieux que la douleur. On a certainement l’impression que c’est le cas. Et on sait qu’on est souvent la source du problème. Cela ne nous échappe pas. Mais on ne sait pas ce qu’il faut faire.

Laryssa :

Il n’y a pas de manuel, il n’y a pas de guide. On fait de notre mieux sur le moment et, rétrospectivement, il y a des choses que je changerais. Il y a des choses qu’on ne peut pas défaire. Je pense qu’il y a aussi parfois des possibilités, et je suppose qu’il faut avoir une certaine compréhension des événements. Mon fils aîné est maintenant ambulancier et il est à risque de blessures morales et psychologiques. Je suis très consciente du risque à cause de ce que j’ai vécu. On en parle souvent et il répond souvent : « Maman, on a parlé de santé mentale à la maison, j’ai vu, j’ai vécu ça, j’ai soutenu quelqu’un. Je suis peut-être mieux préparé que d’autres. » C’est donc très difficile parce que la persévérance et la sensibilisation passent par l’adversité. Il est parfois difficile de voir nos enfants traverser ces moments difficiles. Je suppose que je suis optimiste, que j’essaie d’utiliser ces expériences à des fins d’apprentissage. Pour dire à mes enfants que la colère est normale. Mais que la façon dont on la gère fait toute la différence. Je plaisantais parfois en disant que même les chats se battaient. Ça arrive. J’ai donc essayé de voir ça comme une méthode d’apprentissage. Mais c’est vraiment difficile, parce qu’il n’y a pas beaucoup de directives, on doit en quelque sorte se débrouiller seuls.

Brian :

Polly, tu m’as dit l’autre jour que c’est différent quand les enfants deviennent des adultes, ou quelque chose du genre. J’y ai réfléchi pendant un moment, car je n’en suis pas encore là. Mes enfants sont encore adolescents, ils sont encore en train de développer leurs capacités à réfléchir. À quoi cela ressemble-t-il vraiment? Et qu’est-ce qui doit m’effrayer?

Polly :

Eh bien, cela se fait du jour au lendemain. On cligne des yeux et, tout à coup, ils sont plus grands que nous.

Brian :

Ils sont là. On est là. (rires)

Polly :

(rires) Et ils sont sur leur propre parcours, en train de faire leur truc. Mon fils aîné se bat contre la dépression et l’anxiété. Et c’est difficile. On veut toujours régler leurs problèmes. On pense savoir ce qui est le mieux pour eux. Mais ce sont des adultes et ils doivent faire leurs propres choix. Je pense qu’il en a assez de m’entendre répéter que « tout est une question de choix ». On peut faire des choix sains, des choix non sains, on peut prendre de mauvaises décisions, des bonnes, mais ça nous appartient. On doit jouer nos propres cartes. La façon dont on choisit de le faire nous appartient. Papa et moi sommes ici pour vous soutenir, quoi qu’il arrive. Parce que je pense que, parfois, les pousser trop loin ne fait que les repousser. Et ensuite, ils se referment sur eux-mêmes. Comprenez-moi bien.

J’ai toujours dit à ma mère que si mon fils ne me répondait pas pendant quelques jours, je me rendrais en voiture où il vit pour m’assurer qu’il va bien et pour lui dire que je l’aime. Et je suis ici pour les appuyer. Et de quoi a-t-il besoin? Parce que je ne sais pas. N’est-ce pas? Je peux dire ce qui a fonctionné pour moi, mais je ne sais pas ce qui a fonctionné pour lui. Comme s’ils avaient grandi à une époque totalement différente. Une bonne partie de la façon dont j’ai géré les choses remonte à ma famille d’origine et à la façon dont les choses ont été gérées. Nous ne pensons pas à ces choses. Mais ce que j’ai appris en ce qui concerne le TSPT, c’est que, souvent, la façon dont les vétérans gèrent leur stress et leurs symptômes est liée à leur famille d’origine. Si les membres de leur famille n’ont jamais parlé de leurs émotions, ils ne parleront certainement pas des émotions découlant du TSPT.

Brian :

C’est vrai.

Polly :

Nous étions un peu plus qu’une famille qui montre ses émotions, et je voyais la vie avec des lunettes roses. J’étais la dernière d’une famille de quatre. Dans ma vie, tout était merveilleux. Puis, je me suis mariée à 21 ans et j’ai déménagé en Allemagne. C’était un choc culturel et tout ça, d’accord, j’étais dans une famille militaire. Mais je pense que cela joue un rôle. Ma sensibilité m’a vraiment aidée. La sensibilisation de mon mari a aussi été utile. Il a donc l’impression d’avoir un peu brisé un cycle. Il est incapable de dire aux enfants qu’il les aime à la fin d’un appel téléphonique, ou de leur donner une accolade lorsqu’il les voit, par exemple. Ce n’est pas quelque chose qui se faisait chez lui, alors je suis vraiment fière de cet élément. Laryssa, on en parle beaucoup. Soyons optimistes. Il en est ressorti de très bonnes choses. Je ne dis pas que nous avons toujours la meilleure relation familiale. Mais nous pouvons avoir de beaux moments auxquels nous accrocher, pour que ça puisse l’emporter sur toute la merde que nous avons vécue dans le passé.

Brian :

D’ailleurs, quand nous produisons des communications destinées au public et à la communauté des familles de vétérans, on vise l’authenticité. Il faut oser tout en communiquant de l’espoir. Et nous ne voulons pas faire semblant. On ne veut pas prétendre. On veut regarder la vérité en face et travailler à partir de là.

Polly :

Laryssa, tu m’as demandé ce que j’ai fait, ce qui aide et ce genre de choses, et je pense qu’un autre élément important pour moi était la gestion de mes attentes. Par exemple, ce que Sean était capable de faire aujourd’hui, compte tenu de son parcours.

Brian :

Et que se passe-t-il si cela ne correspond pas à tes besoins actuels? Par exemple, s’il ne peut pas aller chez Home Depot aujourd’hui, mais que tu as vraiment besoin de quelque chose chez Home Depot.

Polly :

On s’adapte. Est-ce qu’il faut vraiment aller chez Home Depot aujourd’hui?

Brian :

C’est ça.

Polly :

Je pense qu’en tant que société, nous voulons une solution rapide, tout doit être fait immédiatement. Et donc, je me décris comme une personne très grise, je ne suis pas noir et blanc, mais mon mari réfléchit en noir et blanc. Je suis donc plus facile à vivre. Il progresse, mais si ça ne se produit pas, ça ne se produit pas. Pendant un certain temps, c’est difficile et il faut toujours peser le pour et le contre. Parce que si on accorde trop d’accommodements, alors il y a cette codépendance qui entre en jeu. Et nous pourrions faire tout un balado sur le sujet de la codépendance. Ah, on plante des semences pour d’autres balados. (rires) Mais si vous vous accommodez toujours des mauvaises journées, que se passera-t-il?

Il y a quelques mois, un samedi matin, je faisais du rangement et du lavage, et il se lève, et il n’est pas de bonne humeur. Il vocifère, il grogne : on doit se débarrasser de ceci, on doit aller porte ça au dépotoir… parce que mon fils n’a pas fait ce qu’il voulait qu’il fasse. Ce n’est plus bon parce que ce n’est pas bien organisé. Bref, la catastrophe recommence. Je l’ai regardé et je lui ai dit : « On va avoir une de ces journées? » et je suis partie. Il y a 10 ans, je n’aurais jamais fait cela. Mais je me disais que je ne voulais pas avoir ce genre de journée. Je vais donc partir et faire ce que j’ai à faire. Et il a fait la même chose. Il médite beaucoup maintenant, et fait beaucoup d’activités d’enracinement. Il est revenu me voir environ une heure plus tard, et il m’a dit : « Chérie, je suis désolé, c’est moi. Ce n’est pas toi. » Et il a poursuivi en disant : « Je ne veux pas avoir une de ces journées. »

Laryssa :

J’aimerais souligner quelques éléments dont tu as parlé qui pourraient être utiles à d’autres familles et couples. Il semble que la communication a joué un rôle déterminant dans la relation épanouie que vous vous êtes construite, qui comporte bien sûr quelques bobos de temps à autre. Grâce à elle, toi et Sean avez convenu d’être honnêtes. Parfois, on doit faire preuve d’honnêteté et d’humilité et révéler des trucs qu’on aurait voulu garder pour soi, même si on n’en est pas fier. Vous avez réussi à mettre en place différentes stratégies pour vous y aider, cultivant par le fait même un sentiment de confiance mutuel. C’est tout un boulot! Vous avez dû faire ça pour en arriver au point où tu peux lui lancer une remarque du genre « On va avoir une de ces journées », puis t’en aller. Je veux indiquer que c’est un travail en évolution. Vous avez mis beaucoup d’effort pour en arriver là. Avais-tu autre chose à ajouter?

Polly :

Merci pour ces beaux mots! (Rires) Ce point de vue semble plutôt positif.

Brian :

Je souris comme ça en écoutant parce que je repense au fait que l’armée t’enseigne justement l’art de la communication. Elle t’apprend à ne transmettre que les mots qui sont absolument nécessaires pour expliquer la date et l’heure, le quoi et le quand. Le reste disparaît comme par magie. Je me demande donc parfois si cette approche, qui convient à merveille aux communications radio, ne serait pas une manière très inappropriée de s’adresser à ses enfants. Que ce soit dans l’armée ou dans la police, on enseigne aux gens qu’il faut appliquer le principe du continuum de l’usage de la force, pas vrai? Ça me fait penser à un oignon. Il y a les couches extérieures et tout le reste.

Autrement dit, on t’apprend à exercer ton autorité lorsque tu fais face à un problème. Si quelqu’un est turbulent, il suffit de s’affirmer et de resserrer graduellement la vis au fur et à mesure que la situation évolue. Mais l’idée c’est que tu dois toujours avoir une longueur d’avance sur ce qui se passe. C’est super efficace pour gérer une émeute. Et si ma stratégie de communication se résume à toujours aborder mon interlocuteur avec cette même supériorité? On m’a carrément formé pour avoir des relations désastreuses à la maison, mais assez efficace pour le travail. Ça fait la job.

Polly :

C’est tout à fait logique, Brian.

Brian :

Ensuite, on rentre à la maison et on traite tout le monde de la même façon parce que ça fonctionnait au travail. Sauf que, à un moment donné, ça ne marche plus. Malheureusement, on l’a appris à nos dépens. C’est drôle?

Polly :

(Rires) Oh que oui! La colère était omniprésente dans notre ménage. Mon mari a une belle voix grave qu’on pourrait qualifier de voix de radio. Il peut donc passer du mode zen et relax à un mode où le niveau de décibels te fait vachement peur. Et c’est à cette voix qu’on a eu droit pendant longtemps quand les enfants étaient jeunes, parce qu’il se tournait vers la colère à tout bout de champ. Il n’y avait aucune autre émotion. Je pense que s’il était triste, ça se traduisait par un sentiment de colère qui lui donnait l’impression de maîtriser les choses. Et ça, il était un pro en la matière. Il a fini par rectifier le tir et j’en suis heureuse.

Laryssa, pour en revenir à ce que tu disais sur la communication, je dois t’avouer que c’était une tâche ardue et que, à présent, ce qui caractérise notre foyer c’est le progrès, pas la perfection. On progresse constamment à travers ce voyage infini. Il y a toujours moyen de se surpasser d’abord, puis d’aider sa famille par la suite. Je me suis rendu compte que je devais avant tout prendre soin de moi-même en me mettant ce fameux masque à oxygène en priorité. On en entend parler chaque fois, mais on ne réagit que lorsque l’avion s’apprête à s’écraser. Je ne dis pas que ma vie était constamment en déclin, mais, en même temps, il fallait que je m’occupe de Polly. Qui était Polly? Je ne le sais même pas parfois.

Maintenant que j’ai 52 ans, je me demande « À quoi est-ce que je veux que ma vie ressemble? » J’ai des possibilités devant moi, et le côté positif c’est que j’ai pu consacrer une partie pas tellement formidable de ma vie à épauler les autres dans le cadre de ma carrière, et j’en suis très reconnaissante. Et j’ai envie de rendre ce chemin moins cahoteux pour les autres. Mais c’est à ces gens de l’emprunter, ce chemin. On ne peut que les accompagner. De nos jours, il y a énormément plus de programmes qu’il y a 22 ans. Donc, Brian, on dit encore « et leurs familles ». Cependant, la bonne chose c’est que tu as un vaste choix de programmes. Parlant de communication, celui qui nous a aidés, c’est… Bon, commençons par ce qui n’a pas marché. La thérapie de couple, on a tenté ça, mais mon mari n’y arrivait pas. J’aurais beau lui tout plein d’histoires de réussite à ce sujet, il a tout de même choisi de l’abandonner. Son thérapeute s’est contenté de dire : « Il n’est pas prêt ». Ma question était : « Quand le sera-t-il? » Moi, je l’étais, parce que ça n’allait pas trop à la maison. Je suis super emballée que tu le voies une fois par semaine pendant une heure, mais le reste du temps c’est avec moi qu’il le passe. Alors, de quoi ai-je besoin? De quoi a-t-on besoin pour mieux communiquer?

En 2013, on a eu la chance d’aller à Can Praxis, qui est spécialisé en équithérapie. Mon mari n’aime pas les chevaux, il en a peur. Il a apparemment été éjecté d’un cheval quand il était jeune. Mais il s’est joint à moi et on a eu quelques bons moments ensemble. On en est revenus avec d’excellents éléments de base. L’un d’entre eux, pour lui, était de donner l’exemple du comportement que tu souhaites voir chez les autres. Et il m’a dit : « Je ne suis pas un bon modèle pour nos fils, mais je m’attends à ce qu’eux se comportent bien. » Parce que c’est ça l’armée. Il faut respecter son supérieur. À notre retour, même si les garçons sont restés chez nous, c’était clair que la magie des chevaux avait opéré. La relation père-fils s’est beaucoup améliorée. Je crois aussi que le moment était bien choisi. Leur relation est maintenant meilleure parce que mon mari a pris du recul et regardé la situation d’un autre œil.

Il a compris quelles étaient ses véritables attentes envers nos enfants et comment, jusqu’ici, il se donnait la permission de se comporter comme un chien sale avec eux. Oups, je ne suis pas certaine d’avoir le droit de dire ça ici. Le pire c’est qu’il était persuadé que c’était correct. Qu’on allait toujours lui pardonner, parce qu’on l’aimait. C’est sûr qu’on l’aimait. Peu importe à quel point on était fâché contre lui, on allait toujours avoir cette espèce d’amour inconditionnel pour lui. On a aussi appris que les chevaux, même si on les emmène loin de l’écurie, il faut absolument qu’ils reviennent par eux-mêmes. Si on considère cette analogie, du moment où tu fais fuir ta famille, juste parce que tu viens pour t’excuser en disant « désolé, bébé. J’ai été odieux » ne signifie pas que je vais te le pardonner – je pourrais évidemment te remercier.

Brian :

Oui, ça va mieux maintenant. Tout va bien, non?

Polly :

Pas du tout. J’ai toujours cette éclaboussure sur moi. Comme si on m’a vomie dessus. Même s’il n’y avait rien de physique là-dedans, ça me hante jusqu’à ce jour. Des années plus tard, je peux lui dire : « Tu as fait fuir le cheval et il n’était pas prêt à revenir. » Ou bien, c’est lui qui me le dira, parce qu’il sait que je suis plus calme, que j’ai besoin de plus de temps. Après, je peux juste aller prendre un bain, appeler une copine ou aller faire une promenade. Il ne se sent plus visé. Avant, si j’osais quelque chose du genre sans avoir accepté ses excuses, on se ramassait avec une autre dispute. Ou bien il me disait : « Tu ne m’aimes pas ». Il avait tendance à dramatiser les choses en me balançant des phrases comme « tu vas me quitter », et ainsi de suite. Ça nous a vraiment aidés. Ce n’était pas une recette miracle. C’était la pièce manquante du casse-tête dont on avait besoin.

Brian :

Alors, sans me donner la définition médicale, qu’est-ce que l’usure de compassion dans une relation?

Laryssa :

Je pense que, vu qu’on aime nos conjoints – on en est fières, on les voit souffrir – on aimerait les aider, que ce soit en tant que mère, parent ou épouse. Dans mon cas, c’était presque graduel, j’étais prête à me sacrifier petit à petit pour l’aider à mieux se porter, et le fait de céder des parties de moi-même sans pouvoir les reconstituer m’a affectée. Peu à peu, j’ai renoncé à mes limites, car je l’aimais et je voulais lui donner un coup de pouce. Comme je ne faisais pas attention à moi et que je n’étais pas encore rendue au point où cela pouvait m’affecter aussi, j’ai fini par souffrir d’usure de compassion qui s’est transformée à son tour en dépression, vu que je ne l’ai pas traitée. C’est comme ça qu’un membre de la famille peut aussi être touché. Polly, je me demandais si tu pouvais t’identifier à ce qu’on vient de décrire, si tu as vécu des expériences liées à l’usure de compassion, des traces dont tu veux nous parler.

Brian :

En d’autres mots, quand en as-tu ras-le-bol de nous autres?

Polly :

Eh bien, dans le passé, il arrivait que mon mari m’exaspérait. Il suivait une thérapie au début des années 2000. Il ne s’était pas encore défait de la plupart de ses méthodes d’adaptation malsaines. Il a été admis au programme pour patients hospitalisés de Bellwood. Moi, j’ai fait le programme familial, comme à de nombreuses reprises durant son hospitalisation. Pour tout vous dire, c’était une période éprouvante parce que, avant Bellwood, il a passé 6 semaines dans un hôpital psychiatrique après une tentative de suicide. En gros, il y avait pas mal de choses qui tourbillonnaient dans mon esprit. À peu près un an après Bellwood, les choses étaient… Enfin, notre vendredi soir ressemblait à ceci : il traversait le couloir de l’église menant jusqu’aux AA, alors que moi je prenais celui qui me menait vers la réunion Al-Anon. C’était ça notre rendez-vous du vendredi soir, et cette stratégie a porté fruit. Mais ensuite, certains mécanismes d’adaptation nocifs ont commencé à se manifester. Sur le plan financier, on n’était pas très bien placés. Côté comportement, ça ne me tentait juste pas de revenir en arrière. J’ai décidé que cette limite-là était infranchissable. Je ne comptais pas céder d’un poil. Et c’était pénible. Heureusement, on avait une relation plutôt amicale. Je sais qu’il me détestait à l’époque. Je suis partie avec les garçons tandis que mon conjoint est retourné vivre chez ses parents. Plus tard, il est retourné à Bellwood et j’ai repris le programme familial, même si techniquement on n’était pas ensemble. Je lui offrais mon soutien parce que, sinon, cette relation coparentale n’allait pas tenir la route. C’était bizarre pour notre famille. Figurez-vous qu’on s’est séparé en novembre, il me semble, et le mois d’après je suis encore allée visiter sa famille pour Noël, y compris sa tante et son oncle, pour que tout reste normal pour les enfants. Et j’imagine que cette situation était peut-être malaisante pour tout le monde. On pensait faire de notre mieux, mais ça a donné ce que ça a donné. À partir de là, j’ai posé une véritable limite. Ceux qui me connaissent savent que mes limites ne sont pas coulées dans le béton. J’essaie donc de les conserver, tout en adaptant mes attentes aux circonstances. Pourrais-je faire respecter cette limite? Faudrait-il que je sois un peu moins rigide aujourd’hui?

Brian :

À mes débuts, j’ai interviewé un chef de police local dans ma collectivité, et je dois dire que c’est assez impressionnant, la façon dont ils gèrent la santé mentale. On était en train de jaser, puis j’ai tout à coup envie de parler d’un tout autre sujet. Il m’a dit que si je voulais discuter des services de police, il fallait qu’on s’attarde sur l’usure de compassion. Il m’a dévoilé sa compréhension du concept, et il avait un point de vue unique : il commence à s’inquiéter pour une personne lorsqu’il remarque une perte d’empathie. Pour lui, c’est le point de départ. Est-ce que ça a de l’allure? Y a-t-il une variante familiale de ça?

Polly :

Je dirais que oui. On en arrive au point où on se dit : « ben, voyons donc! » Si telle chose se passe, OK. Si cette autre chose survient, je m’en fous. Vous comprenez? J’étais une sorte de planificatrice familiale pour ma famille élargie, et je décidais si on participait ou pas à tel ou tel événement. Cela dit, quand je regarde en arrière, je pense qu’on a perdu un peu d’intimité quelque part. De mon bord, j’éprouvais beaucoup de ressentiment envers lui. Sans que ce soit une colère noire, je lui en voulais de toujours tout ramener à lui sans jamais s’intéresser à moi ou aux enfants. Chaque aspect de notre vie gravitait autour de lui et tous les avantages qu’on pouvait obtenir, les enfants et moi, passaient par lui. J’étais donc rancunière non seulement envers mon mari, mais aussi envers le système. Voilà, c’est de ça qu’avait l’air l’épuisement et l’usure de compassion qui m’habitaient.

L’autre chose à avoir c’est que, pendant que l’on construit tranquillement sa résilience ou qu’on reprend graduellement soin de soi, il peut se produire quelque chose qui n’a absolument rien à voir avec le TSPT, parce que la vie poursuit son cours. Il peut s’agir de la perte d’un parent ou d’un membre de la famille. Dans mon cas, c’est un simple événement qui a eu lieu. Je ne me sens pas à l’aise d’en parler; je dirais simplement que c’est arrivé en 2018 et que j’en suis restée bouche bée. Je me suis de nouveau retrouvée dans l’impasse. Je n’avais aucune envie de traverser un autre épisode traumatisant. On m’avait déjà prescrit des médicaments contre la dépression, mais j’avais refusé de les prendre jusqu’alors. J’ai donc commencé par joindre le geste à la parole, un défi de taille! Je suis allée chez mon médecin, on a discuté et elle m’a proposé d’» arrêter de travailler ». Je lui ai répondu que je mourrais sans mon travail. Il me fallait une raison d’être. Et surtout, je ne voulais pas rester chez moi avec mon conjoint 24 h sur 24. Voici notre compromis : semaine de 4 jours, reprise de mes médicaments et recherche d’un nouveau thérapeute. Ça se comparait à remettre en place les piliers sur lesquels reposait ma vie. Et il s’est écoulé une année entière avant que je ne reprenne le travail à plein temps. Il y a 10 ans, j’aurais tout simplement recommencé à travailler comme d’habitude.

Brian :

À t’entendre parler, je pense que ça s’applique aussi en contexte militaire. Sans trop s’y attarder, dans le cadre d’un déploiement, on peut se rendre dans un lieu avec une certaine idée en tête. Voici ce que je veux dire. Chacun a son rôle à jour : l’agresseur, les défenseurs et les soldats (qui, eux, sont là pour aider les gens ordinaires). Cependant, une fois la mission terminée, il est très facile de se rendre compte que, dans une certaine mesure, on est l’artisan de notre propre misère. On contribue en partie à ce problème. J’ai vécu ça au moment où je regardais le retrait de l’Afghanistan l’an dernier. Il y a cette énorme partie de moi qui me fait croire que je me bats encore pour ce pays. Serais-tu d’accord avec cette idée-là? D’ailleurs, c’est lié à l’usure de compassion. D’une certaine manière, ça peut arriver à la suite d’une mission de 6 mois. Ensuite, si je compare ça à ce que mes enfants ont vécu avec moi, je me dis qu’ils peuvent l’avoir, eux aussi, après 11 ans de vie commune. Si ça ne me prend rien que 6 mois, faites le calcul. Mais ce n’est qu’une idée récente que j’ai eue au cours des 2 dernières années.

Polly :

Je suis ravie que tu aies eu l’occasion de cogiter là-dessus, Brian.

Laryssa :

Je dirais qu’il est important que les familles abordent cet aspect de la conversation. À mon avis, si on n’a plus d’empathie, le train est déjà passé.

Brian :

Oui, mais comment savoir si on est rendu là?

Laryssa :

Il doit y avoir des signes. D’après moi, le ressentiment et l’épuisement physique sont des signes avant-coureurs. De plus, il faut créer des attentes réalistes envers soi et prendre la peine de s’analyser. Soutenir quelqu’un qui souffre de TSPT, c’est difficile. Moi, j’aime mon mari de ton mon cœur. Il est formidable et, heureusement, il en a été épargné. Alors, chaque jour, je dois me lever et me demander si je suis partante ou non. Si oui, il y a certaines choses que je dois accepter. Je dois accepter de prendre soin de moi-même. Je dois accepter d’enseigner à mes enfants comment fixer leurs propres limites. Je dois également accepter que je n’irai jamais voir de feux d’artifice avec mon conjoint. Comme Polly l’a mentionné tantôt, tout dans la vie relève d’un choix. Et des choix, je dois en faire à titre de membre de famille.

Brian :

On a déjà parlé des 5 minutes dont j’ai besoin, pas vrai? Bon, regardez. En rentrant du travail, le stress est là. Chaque fois que je prends le volant, voilà une autre dose de stress. Je suis le genre de gars qui, de temps en temps, doit finir d’écouter une chanson qui lui plaît ou juste rester un petit bout dans l’entrée pour déstresser. Parce que je sais qu’en franchissant cette porte, dès que les petits me verront, ils viendront faire ce que font les enfants : « Papa, tu savais que… ». Avec le temps, j’ai découvert que, quoi qu’il arrive, il me fallait ces 5 minutes. Je pouvais donc voler ces quelques instants pour décompresser dans notre entrée ou jaser avec le voisin, même si on n’avait rien à se dire. Il m’a fallu des années pour comprendre cette notion pourtant si simple : j’ai d’abord besoin de ces 5 minutes, puis tu peux me dire ce qui se passe dans ta vie. Sinon, si je rentre chez nous et que je demande à ma femme comment était sa journée, le seul fait d’avoir prononcé ces mots ne signifie pas que j’écouterai la suite. Je suis ailleurs. Je ne suis pas prêt à tenir une conversation.

Polly :

Tu as soulevé un très bon point, Brian. C’était probablement vers 2007. Sean est allé à Homewood. Les enfants suivaient alors une thérapie. Et quand il est sorti de là, on a commencé la thérapie familiale. Un jour, le thérapeute m’a regardé et m’a dit : « Alors, Polly, de quoi as-tu besoin? ». Je ne comprenais pas. Il a donc répété : « De quoi as-tu besoin, toi? Tu parles sans cesse de ce stress, alors que peuvent faire Sean et les garçons à ce sujet? » J’étais comme un cerf pétrifié par les phares d’une voiture. Je lui ai confié que personne ne m’avait jamais posé cette question. Il m’a donc suggéré de « m’accorder une vingtaine de minutes à mon retour à la maison ». Comme tu l’as dit, Brian, tu as juste envie d’avoir un peu de répit. Sean en bénéficiait déjà parce que je parvenais à déchiffrer son langage corporel. Maman, elle, passait inaperçue.

Au début, c’était super étrange. En poussant la porte d’entrée, les enfants, enfin, tout le monde se précipitait vers moi. Puis la seconde d’après, pouf, je les voyais repartir. Ils me laissent en paix pendant 20 minutes. Comme ça, je pouvais me défouler ou être de meilleure humeur. Avant, à mon retour, j’étais assaillie de toutes parts : « Qu’est-ce qu’on mange? J’ai un entraînement de hockey ce soir, faut que je finisse mes devoirs ». Vu que mon conjoint ne travaillait pas, il était seul toute la journée, et il voulait juste me donner un câlin et m’embrasser. Je trouve ça très mignon, mais j’avais besoin d’oublier ma journée un peu avant de replonger dans le rôle de maman. À ce jour, ma famille n’a pas trop de difficulté à me décoder, ce qui est vraiment chouette! Mes enfants diront : « Maman, as-tu besoin de tes 20 minutes? ». Bon, je n’en ai pas besoin aussi souvent ces jours-ci, car je parviens beaucoup mieux à conserver mon énergie, plutôt que de me laisser lessiver.

Brian :

Mais puisque cette question leur vient à l’esprit, tu as toujours l’option de dire oui.

Polly :

Exact. Et ça ne les dérange pas. Il s’agit d’une conversation qu’on a eue, au cours de laquelle je leur ai expliqué mes raisons. C’est devenu un petit rituel bien à nous. Je prends le temps de les observer avant de leur sauter dessus comme une maniaque pour prendre de leurs nouvelles, parce que c’est ça la job d’un parent, non? Il leur faut peut-être un peu de temps avant de me dire comment était leur journée. Pas de soucis, on parlera plus tard.

Brian :

Chez moi, on finit par jouer le rôle de l’aidant naturel. C’est comme ça. Pour en revenir aux courses et aux tâches ménagères, disons que la répartition n’est pas tout à fait 50/50. Je n’oserais même pas mentir en prétendant que c’est 60/40. Ce n’est pas le cas. C’est elle qui fait la vaste majorité de ces choses. Alors en plus de son rôle d’aidante naturelle, elle doit jongler avec tout le reste. Comment t’y prends-tu pour assumer également ton rôle de conjointe? Est-ce difficile d’être parallèlement épouse et aidante naturelle?

Laryssa :

En fait, on peut avoir une conversation entière sur les aidants naturels, car à mon avis, rien qu’en utilisant ce terme on attribue déjà une certaine responsabilité à la famille. Pour cette raison, je préconise vivement le mot « accompagnateur ». C’est sur ça que portait l’une de mes premières conversations avec mon conjoint. Sachant qu’il souffrait de TSPT, je lui ai fait comprendre que je n’allais pas être son aidante naturelle. Malgré tout, on ne peut pas y échapper. Alors oui, les effets de ce double rôle sont plus que perceptibles. Sinon, le mot « aidant naturel » me chicote à cause de cet écart de pouvoir qu’il suppose. Pour moi, il renvoie à un éducateur de la petite enfance ou, à la limite, à un préposé aux bénéficiaires s’occupant d’une personne âgée fragile. Comment développer alors une relation intime avec quelqu’un qui n’est pas sur un pied d’égalité avec toi?

Brian :

Permettez-moi aussi d’ajouter que bon nombre d’entre nous n’aiment pas quand leur maison se métamorphose en un cabinet de médecin. Et je ne veux pas que vous essayiez d’agir en tant que mon médecin. Ça ne me tente pas non plus qu’on me pathologise à la table de cuisine; c’est frustrant. À plusieurs reprises, juste après ma visite chez le médecin, la première chose que ma conjointe me balançait c’était : « De quoi avez-vous parlé? ». Dans mon esprit, je venais de faire une petite balade d’une heure en enfer. Un autre interrogatoire? Non merci! Je viens de passer par là. Je fais un vœu de silence. Pourtant, ta chérie d’amour n’arrête pas de fouiller. Bref, elle fait ce que tu as fait toi aussi. Elle tente d’investiguer pour savoir quel genre de journée on va avoir. On sait que vos intentions sont bonnes, mais on a parfois l’impression que vous essayez de jouer le rôle de notre médecin, alors qu’on en a déjà un. Je veux juste qu’elle soit ma femme, mais ce n’est pas évident.

Polly :

Je pense que les frontières sont certainement floues. Pendant un certain temps, bien qu’on avait cette belle communication entre nous, mon mari cherchait à obtenir mes conseils ou mes commentaires sur des choses auxquelles seul son psy aurait su répondre. Aujourd’hui, je me sens enfin capable de le lui dire. Me voilà donc en train de tracer des limites et de jouer davantage le rôle d’épouse plutôt que celui d’aidante naturelle. Néanmoins, il a fallu acquérir beaucoup de connaissances, être compréhensive et faire preuve d’un peu de conscience de soi pour reconnaître ce que je faisais, parce que des fois, je dérape. C’est normal, je l’aime et je veux qu’il ait la meilleure qualité de vie possible, sans que ce soit à mon détriment.

Laryssa, je voulais juste revenir sur un élément dont tu as parlé tout à l’heure. En fait, c’est du soutien par les pairs, auquel j’ai consacré 10 ans de ma vie avant de venir chez Atlas, que vient la plupart de mon savoir. L’une des choses que je constate chez les conjoints, c’est qu’on est enclin à refléter l’état d’esprit de notre bien aimé à longueur de journée. Je me permets désormais de poser cette unique limite en demandant à mon conjoint quel genre de journée nous attend.

Brian :

En gros, vous êtes des épouses chasse-neige? J’ai l’impression que vous essayez d’éliminer les obstacles.

Laryssa :

C’est clair. C’est là qu’intervient l’hypervigilance. On est tellement à l’écoute de notre proche que, dès qu’on entre dans la maison – sans même avoir à se regarder – on sait déjà quel type de…

Polly :

On comprend.

Laryssa :

On anticipe donc les déclencheurs, on tente de les réduire au minimum afin d’éviter une explosion en plein milieu de la cuisine. Ça nous met dans cet état d’hypervigilance ou d’hyperexcitation et, à cause de ça, on s’isole, on se referme sur soi. Tout un sujet, ça! Mais sans aucun doute, on s’investit à fond pour essayer d’améliorer la journée.

Brian :

Le problème c’est que, quand vous jouez les épouses chasse-neige – j’adore cette expression-là, elle est très imagée – on dirait que vous nous prenez pour des enfants.

Polly :

Tout à fait. Je pense que ça dépend de la façon dont on le fait. À un moment donné, le message va passer. Voici un exemple. Lundi dernier, avant de venir ici, on préparait du steak et des pommes de terre au four. Étant donné que mon barbecue n’était pas prêt, j’ai opté pour la cuisinière. J’avais mis du beurre à l’ail sur les patates, et une partie a coulé dans le four. Eh bien, mon mari a des déclencheurs olfactifs. Et même si tout allait bien, la situation en Ukraine a accentué certains de ses symptômes dernièrement, et on en était tous conscients. Il était sur le chemin du retour, donc je l’ai appelé en lui expliquant : « Écoute, il y a un peu de boucane chez nous. Quelque chose a collé au fond du four. Ça sent un peu, mais j’ai allumé le ventilateur et les fenêtres sont ouvertes. Je voulais juste t’en aviser avant que tu arrives. » Et il m’a dit : « Merci, tu es vraiment fine ». Sinon, il aurait pu se mettre en colère. Par la suite, il a un mal de tête et se sent misérable, puis les choses se corsent davantage. Comme j’ai pu le prévenir, l’odeur l’a dérangé quand même, mais j’ai fait de mon mieux pour qu’elle se dissipe au plus vite. Les effets étant atténués, on a été en mesure de souper en paix; enfin, même si ça marche dans notre cas, ce n’est pas une solution universelle.

Bon, revenons à la question du détachement. On pourrait probablement créer un balado rien que sur ça, mais il s’agit vraiment de savoir comment y parvenir. Que faire pour que notre humeur ne soit pas affectée? Comme tu l’as fait remarquer, Brian, je crois aussi que ça doit être plus difficile pour les gens dont le diagnostic n’est établi que de nombreuses années plus tard. C’est toute une épreuve que de vouloir garantir une bonne qualité de vie à son conjoint adoré, tout en anticipant chaque chose négative qui a déjà eu lieu. J’ai donc appris à ne pas remonter aussi loin dans le passé. Bien qu’il ait ces légères déviations jusqu’à maintenant (c’est comme ça qu’on les appelle dernièrement), on finit toujours par s’en remettre de plus en plus vite. Auparavant, une mauvaise journée se transformait en une mauvaise semaine, puis en un mois affreux. Désormais, on ne dépasse pas les 10 minutes.

Laryssa :

Et vous avez les compétences pour vous rétablir.

Polly :

Puis, on a une belle fin de journée.

Laryssa :

Je sais que notre temps est presque écoulé. Polly, tu nous as dit qu’il te fallait parfois 20 minutes pour te ressourcer et on voit que tu possèdes une vaste expérience en matière de soutien par les pairs auprès d’autres familles. Je sais que tu étais douée dans ce que tu faisais, et que tu y mettais tout ton cœur. J’aimerais donc dresser un tableau plus complet à partir de ta propre expérience. De quoi les familles ont-elles besoin?

Polly :

Comme je l’ai dit plus tôt, les ressources se sont améliorées, mais il est plus difficile de s’y retrouver. Ça prend quelqu’un qui s’y connaît. D’ailleurs, c’est ce côté du soutien par les pairs que j’aimais, car je pouvais guider les gens, que ce soit le ministère de la Défense nationale pour ceux qui en faisaient toujours partie, ou celui des Anciens Combattants, pour qu’ils puissent tirer parti des avantages offerts. Ou alors, c’était les ressources communautaires. Tel était le but de mon travail. J’avais besoin de connaître ces choses pour les soutenir. Les ressources à Windsor n’ont rien à voir avec celles de Niagara.

Je dirais que le monde virtuel a élargi l’éventail de ressources, car on n’est pas obligé de vivre dans une région donnée pour en profiter pleinement. Par exemple, on peut s’inscrire à un atelier. Pour moi, ce qui importe le plus, c’est de planter la semence. Et cette psychoéducation, cette sensibilisation, il me semble que lorsque ce sujet a été abordé pour la première fois, l’idée était de toujours trouver le meilleur moyen d’aider son vétéran. De nos jours, l’accent est plus mis sur comment se mettre ce masque à oxygène en premier. Autrement, on n’est pas d’une grande utilité. C’est sûr qu’on peut faire semblant pendant un bout et croire que tout va bien. Cependant, il faut se concentrer sur soi-même et se renseigner sur les limites, les attentes et les signes et symptômes du TSPT. Quels traitements cliniques faut-il entreprendre? Comment aider son conjoint à s’y retrouver dans ce monde sans se négliger? C’est l’une des choses qui m’a le plus marquée.

Laryssa :

J’ai cette question à t’adresser, à laquelle tu as peut-être déjà répondu partiellement. Tu as révélé avoir atteint la cinquantaine, que tes gars ont grandi, que tout se passe super bien entre Sean et toi et que vous disposez d’un arsenal de stratégies pour quand ça va mal. J’imagine que notre auditoire est peut-être composé de jeunes familles, de couples. Bref, les familles, pour moi, ça englobe plus qu’un conjoint et des enfants. Il a les parents – on n’a même pas effleuré le sujet – les frères et sœurs, voire un collègue pompier sur lequel on compte maintenant en tant que vétéran. Si tu avais une machine à voyager dans le temps, qu’aurais-tu conseillé à la Polly âgée de 25 ans?

Polly :

Tu veux me faire pleurer?

Brian :

Tu n’avais pas prévu cette question? Aucune réplique toute prête?

Polly :

(rires) J’ai été prise au dépourvu. OK, ça y est. Je lui aurais simplement suggéré de penser d’abord à elle-même. Prends soin de toi et sers-toi de toutes les ressources à ta disposition. Même si tu penses que ce n’est pas la bonne solution, fais cet appel et n’aie pas peur d’essayer. Et ne te décourage pas si, après plusieurs tentatives, tes attentes ne sont pas comblées. Il faut que tu apprennes à bien les gérer, car il n’y a pas de recette miracle pour le TSPT. Son antidote n’existe pas. Tu vas devoir vivre avec ces symptômes pour la vie. Le vétéran et toi faites partie de la même famille. Alors, comment peux-tu avoir la meilleure qualité de vie qui soit? Comment peux-tu garnir ton arsenal de ressources spécialement conçues pour toi? D’ailleurs, ces outils changeront en cours de route. Parce qu’au fur et à mesure qu’on vieillira et que la mémoire de Sean ne lui sera plus aussi fidèle, on devra ajouter quelques aide-mémoire supplémentaires. Je ne sais pas si j’ai répondu entièrement à ta question, mais je lui dirais certainement qu’elle compte, qu’elle ne doit pas s’y perdre et qu’elle fasse son possible avec ce qu’elle a.

Laryssa :

Merci beaucoup.

Polly :

C’est moi qui vous remercie tous les deux.

Brian :

Nous espérons que vous avez aimé cet épisode d’Après la mission.

Laryssa :

Si cette conversation vous interpelle ou qu’elle vous a été utile, je vous encourage à vous abonner au balado Après la mission sur la plateforme de votre choix, afin que vous soyez les premiers à savoir quand notre prochain épisode sortira.

Brian :

Et si vous connaissez quelqu’un que cette discussion pourrait toucher ou qui pourrait en tirer quoi que ce soit, n’hésitez pas à lui en parler. On est tous dans le même bateau.

Laryssa :

Dites-nous également quels autres sujets vous aimeriez qu’on explore à l’avenir. Brian et moi avons beaucoup d’idées et de sujets en tête, mais vous, en tant qu’auditeurs, en avez probablement d’autres.

Brian :

Communiquez avec nous si c’est le cas. Repérez-nous sur les médias sociaux à l’aide du mot-clé @atlasveterans.ca et n’hésitez pas à nous envoyer un gazouillis ou un message ou même à laisser un commentaire sur cet épisode pour nous dire de quoi vous aimeriez nous entendre parler.

Laryssa :

Brian, c’est toujours un plaisir de tenir ces conversations importantes avec toi. J’ai hâte à notre prochaine rencontre.

Brian :

Je t’en prie. Merci, Laryssa. Fais attention à toi.