On ne voit pas ce que voient les vétérans et leur famille
On ne peut pas enjoliver un traumatisme
L’équipe d’Atlas qui est axée sur l’expérience vécue et d’autres membres de la communauté des vétérans et de leur famille vous racontent ici de nombreuses histoires personnelles. Pourquoi miser sur l’expérience vécue? Nous voulions que vous, vétérans et familles, sachiez que nous sommes aussi passés par là. Nous vous voyons. Bien que nos expériences ne soient pas en tous points semblables aux vôtres, elles s’en approchent probablement suffisamment pour que vous sachiez que nous comprenons ce que vous traversez.
Nous sommes conscients que certains récits peuvent toucher certaines personnes de près et s’avérer difficiles à lire. Nous avons longuement réfléchi à ce que nous devions vous présenter et à la façon de le faire, sans étaler tous les détails de ces expériences. Mais la réalité est la suivante : il est impossible d’enjoliver un traumatisme.
Si certains extraits vous interpellent particulièrement, nous espérons que vous n’hésiterez pas à aller chercher de l’aide, que ce soit du soutien par les pairs, un traitement contre les dépendances ou une consultation avec votre médecin de famille, ou à trouver un psychologue (voir notre site Web à ce sujet), et que vous ne vous fermerez pas à la possibilité de suivre un traitement par médication. Nous savons d’expérience que votre cheminement, peu importe si vous êtes un vétéran ou un membre de la famille d’un vétéran, sera bien plus facile si vous n’êtes pas seul.
Si vous recevez déjà de l’aide, nous vous encourageons à persévérer. C’est probablement l’une des choses les plus difficiles que vous ferez dans votre vie. Mais votre travail portera des fruits. Et si les choses se passent bien pour vous, pourquoi ne pas aider d’autres personnes? Offrez-leur vos encouragements et votre soutien et contribuez à faire tomber les barrières de la stigmatisation.
Pourquoi vous avoir fait part de nos expériences? Parce que si personne n’en parle, il serait pourrait de croire que personne ne comprend. Nous voulons que vous sachiez que nous vous voyons et nous vous entendons.
Il n’y a rien qui cloche chez moi
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
Soyons francs : si vous étiez coincé dans un endroit comme Kandahar où des gens ont juré de vous tuer, ces réactions ne seraient pas anormales. C’est comme ça qu’il faut réagir dans ce genre de situation. Vous savez que chaque main peut tenir une arme, que chaque sac à dos peut exploser et que chaque chien est entraîné pour vous mordre. Vous devez toujours être sur vos gardes. C’est l’attitude qu’il faut adopter quand on se trouve dans une zone à haut risque. Mais tenter de diriger sa famille de cette façon, c’est terrible. Notre façon d’agir n’est pas un trouble. Il n’y a rien qui cloche chez moi. Je me dis parfois que je ne suis peut-être plus fait pour vivre comme avant, à la maison.
Les mots d’un Membre de la famille d’un vétéran
Quand vous regardez cette photo, vous voyez une famille heureuse. Ce que vous ne voyez pas, c’est le fait que mon mari était juste de passage à la maison, alors qu’il était à l’hôpital psychiatrique.
Je vous vois, je suis vous
Histoire écrite par Poliann Maher
Surmenage, burnout, usure de compassion… Quelle que soit l’expression utilisée, j’en ai moi-même souffert en tant qu’épouse d’un vétéran des Forces armées canadiennes touché par le trouble de stress post-traumatique (TSPT).
Quand je repense à certaines situations qui se sont produites dans ma vie chaotique, alors que j’essayais d’être à la fois une épouse, une mère et une aidante, en plus de travailler à temps plein… pour être honnête, je ne saurais dire comment j’ai fait. La seule explication valable est que j’étais en mode survie; j’étais prête à faire tout et n’importe quoi pour permettre à ma famille de tenir le coup, même si ça devait être au détriment de ma propre santé.
Il y a un dicton qui dit « If you know, you know » [Si tu le sais, c’est que tu le sais]. Vous voyez ce que je veux dire, le genre de journée où tout tourne au vinaigre? Vous préparez tout de même les enfants pour l’école. Vous vous préparez pour le travail. Vous sortez de chez vous. Vous affrontez la journée avec le peu d’énergie qui vous reste. Et personne n’a la moindre idée de ce qui se passe dans votre vie. On est très habiles pour cacher notre douleur, notre chagrin et le fardeau associé au TSPT (celui de notre conjoint, mais aussi le nôtre) qui pèse lourd sur nos épaules.
J’ai vécu ainsi pendant plusieurs années. Je ne sais pas comment ça s’est passé pour vous, mais de mon côté, il est venu un moment où j’en ai eu plus qu’assez. Je devais me sortir de là, j’étais complètement dépassée et c’était devenu insupportable. J’avais perdu tout espoir, alors je suis passée à l’acte : j’ai avalé des pilules. Mais je l’ai tout de suite regretté. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé l’ampleur de la situation et que j’ai compris que la seule personne qui pouvait changer le cours des choses, c’était moi. Il n’y avait pas de médecin, de médicament ou de solution miracle au TSPT. Les choses n’allaient pas se régler d’elles-mêmes.
J’aimerais pouvoir affirmer qu’une telle prise de conscience a permis à la situation de se replacer, mais ce ne fut pas le cas. Malheureusement, en cours de route, j’avais adopté de nombreuses stratégies d’adaptation malsaines pour me maintenir sur le pilote automatique. J’ai donc dû apprendre de nouvelles stratégies. Il s’agissait d’abord de me fixer des limites saines, d’apprendre à dire « non », ce qui n’a pas été facile. La deuxième stratégie était de déterminer ce qui m’aidait à me sentir mieux, à refaire le plein d’énergie, ce qui était encore plus difficile. Je n’en avais aucune idée, et pour être honnête, j’ai encore parfois du mal à répondre à cette question. Puis, la troisième étape a été d’apprendre à communiquer mes besoins et mes désirs. Enfin, j’ai dû reconnaître que je ne pouvais pas tout régler par moi-même.
Tout cela ne se pas fait du jour au lendemain, j’y travaille encore aujourd’hui. Je me suis toutefois offert un cadeau, à savoir la conscience de ce à quoi ressemble ma vie lorsque je me dirige vers l’épuisement et la fatigue. Je dispose maintenant d’un système de soutien composé de mes pairs, qui m’aident à en reconnaître les signes lorsqu’ils se présentent et qui m’encouragent et m’accompagnent afin de me remettre sur la bonne voie, vers le mieux-être.
La façon dont cela se manifeste pour moi est peut-être bien différente de la vôtre, mais vous vous devez, et vous le devez aussi à votre famille, de comprendre ce qui en est. Vous comptez pour tant de gens, et vous n’êtes pas en mesure d’aider votre conjoint ou vos enfants si vous êtes épuisé. Enfin, comme on dit, « vous devez d’abord mettre votre propre masque à oxygène avant de pouvoir aider les autres ».
Je suis ici pour vous dire qu’il y a toujours de l’espoir, aussi mince puisse-t-il vous paraître. Je vous vois, je suis vous. Tendez la main : toute une communauté s’offre à vous pour vous aider à mieux vous y retrouver dans le monde du TSPT.
Tu es un policier, pas un humain
Paroles d’un Vétéran de la GRC
On n’a pas le droit d’être humain. Et en tant qu’humain, c’est plutôt dur à accepter.
Je ne veux pas me plaindre, mais la réalité, c’est que nous aussi, nous sommes des êtres humains. Sauf que quand on a une mauvaise journée, on ne doit surtout pas le laisser paraître.
Quelqu’un peut te traiter de tous les noms pendant que tu es sur le terrain, mais si tu lui dis une fois d’aller se faire voir, c’en est fini de toi. Tu seras sanctionné sur le champ. Peu importe le nombre d’injures qui sont proférées contre toi, tu ne peux pas répliquer. Et si tu oses le faire, ton patron en sera rapidement informé : « Hé, il m’a dit d’aller me faire voir! Il n’a pas le droit de faire ça. »
Et c’est justement là le problème : il a raison! Être membre de la la GRC implique que tu sois être plus qu’un simple humain. Tu dois faire preuve d’une retenue totale. Je pense que c’est en partie pour cette raison que l’on développe un TSPT. Tu dois être capable d’en prendre plein la gueule, car c’est ce qu’on attend de toi.
On n’a pas le droit d’être humain. Et en tant qu’humain, c’est plutôt dur à accepter.
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
Pourquoi je déteste les pique-niques
Les paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
Faire un pique-nique devrait être quelque chose d’agréable : c’est l’occasion pour les amis, les familles et leurs enfants de se réunir. Mais les pique-niques peuvent aussi être chaotiques. Je pense par contre que pour plusieurs d’entre nous – et pour moi en particulier – les choses qui sont à la fois amusantes et chaotiques ne s’avèrent en fait que chaotiques. C’est vraiment difficile de se concentrer sur le bonheur ambiant quand c’est le chaos.
La fête d’anniversaire d’un enfant est généralement quelque chose d’agréable. Mais je déteste ce genre de fêtes. Je ne veux pas y aller. Je ne veux pas non plus en organiser. C’est un peu comme si on me demandait de traverser un essaim d’abeilles.
Vous savez ce que ça fait une dizaine ou une vingtaine d’enfants ensemble, à quel point ils peuvent être excités et le vacarme que ça crée? Ils crient de plus en plus fort pour se faire entendre. Et ça, c’est complètement à l’opposé de ce dont j’ai besoin. C’est le genre de choses que j’essaie d’oublier.
Bien des gens pensent que c’est le bruit des ballons qui éclatent qui déclenche une sorte de « flashback ». Oui, ça peut aussi avoir cet effet-là. Mais en fait, c’est surtout le bruit. C’est l’imprévisibilité. C’est quelqu’un qui arrive derrière vous et qui tire sur la jambe de votre pantalon. Ce genre de chose est peut-être amusant pour la plupart des gens, mais c’est pour moi tout le contraire de ce dont j’ai besoin.
Dans l’armée, on s’entraîne à gérer le chaos. On apprend à le diviser en zones spécifiques à surveiller. Mais quand on se retrouve seul dans une situation, on a l’impression que l’on doit avoir des yeux partout, être à l’affût de tout, ne rien manquer.
Mais on ne peut pas.
Ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit d’une fête d’enfants. C’est un barbecue dans ta propre cour. C’est un pique-nique dans un parc. Ce ne sont pas des choses stressantes, mais là n’est pas la question. La question est plutôt : que fait mon corps en ce moment? Ma tête me dit que « ce n’est qu’une fête d’enfants », mais tous les autres aspects de mon corps réagissent aux bruits, aux menaces, au chaos et au contrôle que je n’ai pas. Cela complique les choses qui, autrement, devraient être amusantes.
La radio était allumée 24 heures sur 24
Paroles d’un Vétéran de la Marine royale canadienne
La radio était allumée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les gens étaient donc assis à écouter la radio en permanence. On passait tout notre temps à écouter les gens qui appelaient à l’aide. C’était la routine. On pouvait voir des gens à Misrata de là où on était assis sur le pont. Depuis la salle des opérations, on pouvait sentir les craquements de la ville qui se faisait bombarder. On était tellement proches. On se sentait tous impuissants. Il n’y avait rien à faire. On ne faisait qu’assister à ces atrocités.
On faisait un compte rendu en équipe tous les soirs. On notait tout ce qui se passait pendant la journée, ou ce que les services de renseignements nous avaient communiqué, pour que tout le monde soit au courant des situations tactiques et opérationnelles. On était tous conscients que des dizaines de milliers de personnes à quelques kilomètres de nous tentaient de s’échapper en vain, en se faisant bombarder.
On restait là, à les écouter implorer notre aide sur cette maudite radio.
Un bateau devait entrer dans le port, mais il ne pouvait pas, car le port était miné. On ne pouvait pas laisser un bateau entrer avant d’avoir retiré les mines. Les occupants du bateau nous demandaient sans cesse quand ils pourraient entrer. On savait que notre mission était de retirer les mines. On nous avait donné cette mission parce que les mines explosaient, ce qui empêchait les gens de s’échapper. On savait qu’il fallait suivre des procédures précises. On avait pour consigne de dégager ces voies afin que les bateaux puissent circuler. Mais effectuer ce travail, ça signifiait que les gens étaient exposés à cette situation un jour de plus, et c’était horrible.
On fait comme si c’était normal
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
J’ai été appelée par l’Unité des enquêtes spéciales des forces armées. J’avais quitté ’armée depuis environ trois ans à ce moment-là. J’ai été convoquée pour un entretien à propos d’une femme qui avait été harcelée sexuellement et physiquement. Je suis restée trois heures dans la salle d’interrogatoire avec le policier. Il m’a demandé, en enregistrant ma déclaration : « Vous est-il déjà arrivé quelque chose de ce genre? »
J’ai répondu : « Non. »
« Pourtant, votre corps me dit autre chose. Nous sommes là si vous avez besoin d’en parler. »
Je ne comprenais pas. Après être partie, j’étais très, très en colère. C’était comme si j’avais fait dix pas en arrière. J’étais en furie. Je ne pouvais même pas expliquer ce que je ressentais.
Puis certaines informations ont commencé à circuler. Des amis m’ont contactée et m’ont dit faire partie du recours collectif. Un bon ami m’a dit : « Tu dois commencer à parler de ce qui t’est arrivé. Tu ne peux pas laisser passer ça. »
Alors, je l’ai fait. J’ai tout mis sur papier, et je l’ai envoyé.
Ce que les gens ne comprennent pas, c’est qu’on fait face à plein de situations dans l’armée. On apprend à normaliser ce qui se passe pour pouvoir aller de l’avant, sinon on est bloqué. Alors on ravale le tout et on se dit que ça devait arriver. Ou on se fait porter le blâme.
On se questionne. Toute personne ayant subi un crime sexuel vous le dira. On remet tout en question. Ma jupe était-elle trop courte? Mon chandail était-il trop décolleté? On s’en prend à soi-même.
On s’accroche à un sentiment d’appartenance. On veut avoir notre place, alors on ravale tout. On encaisse et on dit : « Tu sais quoi? J’ai un travail, j’ai de bonnes conditions de travail. » Et on fait comme si c’était normal.
Paroles de Guylaine « Gee » Lamoureux L’adjudant-maître (Ret.)
Donc, en arrivant sur le terrain, pour moi je sentais vraiment la détresse du peuple. Je sentais la peur, je sentais aussi le deuil. Parce qu’il ya eu beaucoup de mortalité. Donc, je trouvais qu’en temps normal, quand on va en exercice ou sur une mission, on est là pour faire la job.
On est pas là pour vivre de nos émotions et d’eau fraîche, on est là pour vraiment faire la job et arriver à nos buts.
Mais cette fois-là, j’ai décidé de gérer les choses un petit peu différemment. J’ai décidé de laisser ma compassion, ma sympathie, mon empathie envers le peuple, envers le désarroi, j’ai décidé de laisser ça prendre le dessus.
C’était la première fois que j’ai vraiment vécu un déploiement fait à partir de mes émotions et mon cœur au lieu de ma tête et la logique. Pour mon conjoint, parce qu’on était sur le même déploiement, c’était un peu différent. Il est très cartésien, lui s’en allait là pour faire une job et c’était la job du point A au point B, au point Z et sa job était faite et il se sentait valorisé avec ce qu’il pouvait apporter côté travail.
Une fois arrivée à la maison, moi j’ai définitivement enterré le tout. J’ai vécu certaines émotions mais j’ai décidé de les enterrer, de dire, »bon ben, le déploiement est fini », surtout que c’était mon troisième. Donc, le déploiement est fini, on passe à autres choses.
Mon conjoint a fait du pareil au même.
On n’en a pas reparlé, n’a pas revisité les images que l’on avait vues, des senteurs que j’avais senties.
On n’a pas revisité. Puis quatre ans après mon dernier déploiement, il y a eu un volcan. Un volcan dans moi qui a fait tout ressortir. La colère, les larmes, les émotions fortes, la joie, la peur, l’anxiété. Tout ce que l’on peut imaginer a ressorti. C’est à ce moment-là que j’ai commencé en parler.
Puis en étant ouverte et consciente de que j’avais vécu, j’ai ouvert une porte à mon conjoint aussi. Trois ans après que moi j’ai été capable de faire le ménage, mon conjoint a commencé à en parler. C’est là que l’on a réalisé que même si on n’avait pas vécu les mêmes choses en déploiement, on est arrivé à la même fin. Moi ça m’a pris un petit peu moins de temps que lui mais en bout de ligne, les deux on a eu un diagnostic de choc post-traumatique avec blessure de stress émotionnel ainsi que anxiété généralisée. Donc malgré que l’on avait pas vécu la même chose dans le déploiement, vu la même chose ou vu les choses de la même manière, le résultat a quand même été la même.
L’hypervigilance, c’est tout ce que j’ai
Paroles d’un Vétéran de la GRC
Imagine que tu es assis quelque part par une belle journée ensoleillée en compagnie de ta famille. Tout le monde profite de la journée, sauf toi. Tu regardes constamment autour de toi, tu regardes les mains des gens et tu ne prêtes absolument pas attention à la conversation.
Cela n’augure rien de bon pour les membres de ta famille. Même tes enfants diront : « Oh, papa est de mauvaise humeur aujourd’hui. » Quand tu prends le volant, tu ne peux t’empêcher de commenter tout ce qui passe : « Oh, regarde ce gars-là, il n’a pas fait son arrêt. » « Oh, regarde celui-là, il conduit comme un vrai con. Il a les yeux sur son cellulaire. » Ma famille est du genre à me répondre : « Non, contente-toi de conduire. » C’est vraiment ce qu’ils disent : « Contente-toi de conduire, pour l’amour de Dieu. »
Mais c’est ça le problème. Dès que tu entres dans la GRC, tu deviens un parent surprotecteur. Loin de toi l’idée de leur faire du mal, tu agis comme ça parce que t’as vu un million d’accidents arriver à des enfants. Tu l’as déjà vécu. Maintenant, tu dois ramasser les morceaux.
Si tes enfants te disent : « J’ai été invité à dormir chez un ami », tu passes en mode opérationnel. « OK, il faut que je vérifie les antécédents et la cote de crédit des parents afin de m’assurer que c’est du bon monde. » Si tu les laisses aller à une soirée pyjama, tu les mets en danger. Si vous organisez une soirée pyjama chez vous, ils te trouvent vraiment intense, parce que tu entres dans leur chambre toutes les 20 minutes pour t’assurer qu’ils sont en sécurité. C’est le genre de réflexes qui gèrent ta vie dorénavant. Impossible de faire autrement. Et je ne suis pas certain de vouloir que ça change. L’hypervigilance, c’est tout ce que j’ai.
Paroles d’un Membre de la famille d’un vétéran de la GRC
Cette odeur… Je me croirais en mission
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
Sur notre terrain, on a un abri où l’on remise notre tracteur pendant certaines périodes de l’année. Je ne peux pas entrer dans cet abri. Dès que je m’en approche, je me tourne vers mon mari et je lui dis : « J’suis pas capable. Cette odeur… Je me croirais en mission. »
L’odeur a toujours été pour moi un déclencheur important. Elle l’est encore aujourd’hui. Je pense que c’est le cas pour la plupart des vétérans.
C’est peut-être parce que l’abri dégage un mélange d’odeurs de caoutchouc et de diesel. Le genre d’odeur qui provoque instantanément une crise de panique.
Je m’en sors de mieux en mieux, parce que j’ai maintenant des outils pour y faire face. Mais une odeur peut encore m’amener au bord de la panique. « Ça y est. On est de retour en Haïti. »
Pour me calmer, je il faut que je m’éloigne physiquement. Je vais prendre une marche. Je prends de grandes respirations. J’essaie de reprendre le contrôle. Puis j’affronte la situation. Je vais finir par y arriver, un pas à la fois. J’ouvre la porte et je prends de grandes inspirations. Je me raisonne : « Ce n’est pas Haïti. Ça sent comme Haïti, mais ça n’a rien à voir avec là-bas. C’est ma cour arrière. Je suis chez moi en Ontario. »
C’est la seule façon pour moi d’y faire face. Ça fait 12 ans, et je dois encore composer avec ce genre d’éléments déclencheurs.
Vous et moi pourrions marcher dans la rue et voir exactement la même chose, mais nous ne réagirions pas de la même manière. Il est possible que je réagisse sur-le-champ alors que ça pourrait vous prendre des années avant de réagir. Quand on est dans l’action, on la respire, on la vit, on la ressent. C’est dans notre peau, c’est dans le soleil – tous nos sens sont en éveil.
Si on ne veut pas voir ce qui se passe quand on est à la maison, on éteint la télé. Mais quand on est dans l’action, c’est pas aussi simple. On ne peut pas l’arrêter. On ne peut pas ignorer ce qu’on a vu, ressenti ou senti. C’est là. C’est toujours là. C’est en nous.
C’est le genre de chose que le monde civil ne peut pas comprendre.
Je suis toujours inquiète
Paroles de La conjointe d’un vétéran de la GRC
Mes amis me demandent souvent si je m’inquiète quand mon mari part au travail. La vérité, c’est que ce n’est pas une option. Il faut être en mesure de compartimenter sa vie. Je sais que certains appels ne lui font courir aucun risque, et je sais aussi que n’importe quand, quelqu’un peut décider : « Hé, aujourd’hui, je vais descendre un policier! » Vous arrêtez quelqu’un pour lui remettre une contravention, et ça pourrait vous coûter la vie. On ne sait jamais ce qui nous attend.
Je dois lâcher prise. Tout ce que je peux faire, c’est prier Dieu pour que mon mari rentre à la maison à la fin de la soirée. C’est la chose la plus importante à faire : s’accrocher à l’espoir qu’il rentre à la maison après son service.
Et moi, dans tout ça?
Paroles d’un Membre de la famille d’un vétéran de la GRC
Jim adorait son travail. Il l’aimait profondément, malgré ce que cela comportait. Et son travail passait parfois avant moi. Je me disais : « Hé, attends une minute! C’est pas correct! » Mais je savais qu’il devait y aller. Il était appelé, il y allait, et je me demandais : « Et moi, dans tout ça? » J’étais assise à la table de la cuisine, toute seule. Il s’en allait et faisait ce qu’il avait à faire.
Ce n’est pas que je ne passais pas en premier. C’était simplement qu’il avait plusieurs responsabilités, et certaines d’entre elles étaient conflictuelles. Voilà ce que ça impliquait que d’aimer celui que j’aime. Il a un cœur qui se soucie de plein de choses et pas seulement de mon petit monde à moi, et c’est super pour la société. Mais c’est dur pour une relation.
L’Afghanistan est sa maîtresse
Histoire écrite par Laryssa Lamrock
J’ai toujours dit que si je devais un jour écrire un livre, je l’intitulerais L’Afghanistan est sa maîtresse. Si votre famille compte un vétéran touché par le TSPT, vous comprendrez mon titre.
Un traumatisme peut naître de nombreuses expériences, ou être associé à divers lieux ou événements. Vous pouvez modifier le titre comme bon vous semble, mais pour moi, il s’agit de l’Afghanistan.
Mon conjoint a effectué deux missions en Afghanistan. On n’était pas en couple à l’époque, mais je suis persuadée qu’une partie de lui est demeurée là-bas, en Afghanistan. Le pays, le peuple, le temps qu’il a passé avec Elle, l’Afghanistan. Ses magnifiques enfants. (Oh, comme il les aime!) Il se perd souvent dans ses pensées, se remémorant des moments passés qui sont encore bien présents en lui. Il est attiré par les films, les nouvelles et les médias sociaux qui parlent d’Elle. Et je sais qu’il rêve à Elle.
C’est une partie de lui que je ne connaîtrai jamais, à laquelle je n’aurai jamais accès. Cela lui appartient, à Elle.
Il n’accepte de parler que d’une partie de son histoire avec Elle. Je suis au courant de plusieurs des expériences qu’il a vécues, des bonnes comme des moins bonnes. Mais il refuse de parler de certaines d’entre elles. C’est leur histoire, une histoire privée. Je n’ai pas le droit d’y accéder et je respecte ça. Et je ne comprendrai probablement jamais vraiment ce lien avec le pays dans lequel il a servi consciencieusement et où il a laissé une partie de lui-même.
Un traumatisme est extrêmement personnel et intime. Cela a été tout un défi pour moi d’accepter que mon mari ne veuille pas me parler de certaines choses en lien avec son traumatisme, alors que lui et moi sommes les meilleurs amis du monde. Mais, quelles que soient ses raisons, ça lui appartient.
Le fait que nos proches gardent certaines choses privées n’est pas un reflet de l’amour ou de la confiance qu’ils nous portent, et cela ne constitue pas un témoignage de la force, de la profondeur ou de la qualité de notre relation avec eux. Il est bien plus important de se montrer disponible que de chercher à savoir exactement ce qu’ils ont vécu, incluant des choses que nous aurions peut-être préféré ne pas entendre, tout compte fait. Simplement être là pour eux sans juger ce qu’ils choisissent de nous dire, sans leur mettre de pression ou leur manifester nos attentes. Il est possible qu’ils s’imposent eux-mêmes un tel jugement, une telle pression et de telles attentes, bien que cela puisse nous échapper.
Ainsi, même si l’Afghanistan est sa maîtresse, je sais que je suis bien plus que cela pour lui. Je suis une source de soutien, sa caisse de résonance, son détecteur de « bullshit », sa partenaire et son alliée.
Et ce qui est ironique dans tout ça, c’est que c’est à Elle que l’on doit certaines de ces choses.
On est en Colombie-Britannique, pas à Kaboul
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
Plus j’arrive à me connecter à la pièce dans laquelle je me trouve, à la situation présente, à la réalité d’ici, en sécurité au Canada, moins je souffre.
L’une des façons de m’en sortir est de me concentrer sur les couleurs qui m’entourent dans le moment présent, comme je le fais au moment d’écrire ces mots, dans mon bureau.
Je vois du bleu : l’écran de sauvegarde de mon ordinateur est bleu. Ma femme a laissé son téléphone dans la pièce : son étui est bleu parsemé de fleurs blanches. Je vois du jaune : mon enfant m’a fabriqué un sous-verre sur lequel apparaît un « bonhomme sourire »jaune.
Ce ne sont que des couleurs, mais elles rappellent à mon corps et à mon esprit que je suis en Colombie-Britannique. Cela ne se passe pas à Kaboul, mais en Colombie-Britannique. Puis, je me concentre sur les choses qui m’entourent et sur trois sons que je peux entendre. Je me force à écouter le chant des oiseaux et le bruit de la fournaise en arrière-plan.
Plus j’arrive à me connecter à la pièce dans laquelle je me trouve, à la situation présente, à la réalité d’ici, en sécurité au Canada, moins je souffre.
Il n’est jamais trop tard pour se réapproprier sa culture
Paroles d’un Vétéran Autochtone des Forces armées canadiennes
« J’ai failli mourir peu après la fin de ma carrière. Je souffre du syndrome du côlon irritable à cause d’un traumatisme, un traumatisme sexuel subi pendant mon service militaire. Mon corps a commencé à aller mal et mon système digestif a cessé de fonctionner. J’étais probablement à une semaine du choc septique.
« C’est à un de mes aînés que je dois d’être encore en vie : Grand-Père Joe. Il m’a dit : “Viens marcher avec moi. Il faut qu’on se parle.” Au début, je lui ai dit que tout allait bien. Mais, j’ai fini par tout lui raconter.
« Il a répondu : “Tu es malade, et ça ne va que s’empirer si tu ne fais pas ce que je te dis : trouve-toi un morceau d’écorce de bouleau, puis écris ton histoire dessus. Ensuite, prends l’écorce et tous les documents, jette-les dans un feu avec du tabac et du cèdre, puis va-t’en sans te retourner.
« J’ai fait tout ce qu’il m’a dit. Dans les vingt-quatre heures qui ont suivi, mes intestins se sont débloqués et mon médecin m’a recommandé à un spécialiste.
« La cérémonie m’a littéralement sauvé la vie. »
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
« Merci d’avoir servi notre pays! »
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
Quand on est soldat, on finit souvent par accepter les choses qu’on ne peut pas contrôler, ce qui fait que l’on devient obsédé par les choses que l’on peut contrôler.
Si l’on doit parler des moments difficiles, j’aimerais avant tout que les gens se souviennent de ceux et celles qui leur ont permis d’être libres. Certaines personnes au pays jouissent d’une telle liberté qu’elles en oublient les gens à qui elles doivent cette liberté.
Ne m’en attribuez pas le mérite. Assistez plutôt aux cérémonies du jour du Souvenir et recueillez-vous avec sincérité près d’un cénotaphe pendant 30 secondes. C’est beaucoup plus important. J’ai survécu, je n’ai pas besoin qu’on me remercie. Je préférerais que les gens comprennent à qui ils doivent leur liberté : aux personnes qui ont sacrifié leur vie en son nom. Cela me toucherait davantage que d’entendre : « Merci d’avoir servi notre pays. » C’est bien, merci, mais… Moi, je n’y ai pas laissé ma vie.
Il y a une part de hasard dans les conflits que bien de gens ne comprennent pas. Qu’est-ce que cela signifie de mourir à 22 ans quand on se trouve simplement au mauvais endroit au mauvais moment? On a beau avoir les meilleures tactiques et les meilleurs équipements du monde, s’ils fabriquent une bombe si énorme qu’elle surpasse notre armure, il n’y a rien qu’on peut faire. L’incapacité de prévenir ce genre de choses est vraiment démoralisante. Quand on est soldat, on finit souvent par accepter les choses qu’on ne peut pas contrôler, ce qui fait que l’on devient obsédé par les choses que l’on peut contrôler.
Ici, on qualifie ce genre de personnes de « control freak » [maniaque du contrôle]. C’est que ce comportement détonne avec la vie au Canada. On trouve que ces personnes ont des comportements obsessionnels. Et c’est mon cas, c’est comme ça que je fonctionne. Dans l’armée, je savais tout ce qu’il y avait à savoir sur les choses que je pouvais contrôler dans une situation donnée. Je pouvais me concentrer sur ces choses précises. Et si je ne m’étais pas concentré sur ces choses et que je les avais laissées m’échapper en réfléchissant aux choses hors de mon contrôle, j’aurais été foutu. Il faut quand même rouler sur cette route. On y va quand même. Comment faire autrement?
Maîtriser à 100 % les choses que je pouvais contrôler était mon mécanisme de survie. Ce n’est peut-être pas la meilleure façon de diriger une famille, mais c’est une bonne façon d’organiser une patrouille. C’est même une excellente façon d’organiser une patrouille. Si vous devez rejoindre un hélicoptère en territoire ennemi, je vous recommande cette stratégie. En revanche, si vous devez planifier des vacances avec votre femme, je ne vous la recommande pas. Mais comment dire à une personne qui a survécu grâce à de telles stratégies de ne plus y recourir? « Je comprends que c’est ce qui t’a gardé en vie, mais arrête de le faire. » Ce n’est pas si simple que ça.
Une note sur la table de la cuisine
Paroles d’un Vétéran de la Marine royale canadienne
Lors de notre déploiement, il s’est écoulé 22 heures entre le moment où on m’a dit qu’on partait et le moment où on a quitté le port de Halifax. Je ne savais pas combien de temps je serais parti. Ma femme n’était même pas à la maison quand j’ai appris la nouvelle. On a pris la mer le 2 mars en faisant face à des conditions météorologiques désastreuses. Ma femme a demandé à un ami de la conduire du Cap-Breton à Halifax. On a donc pu se voir pendant une heure la nuit précédant notre départ pour six mois, vers ce qui est devenu la Libye.
Quelques-uns d’entre nous ont dû laisser une note sur la table de la cuisine, car leur famille n’était pas à la maison au cours des 22 heures qui se sont écoulées entre l’annonce et notre départ. Ils n’ont pas eu l’occasion de se dire au revoir.
Et certains d’entre eux ne sont jamais rentrés à la maison.
J’ai choisi cette vie
Paroles d’un Vétéran de la GRC
Un jour, quelqu’un m’a dit : « Étant donné qu’on ne t’as pas prévenu de l’ensemble des choses auxquelles tu pourrais être confronté, tu es en quelque sorte une victime. On a fait de toi une victime. » Je lui ai répondu : « N’utilise jamais, jamais ce mot en parlant de moi. » Vous savez pourquoi ? C’était mon choix de servir mon pays.
C’est vrai, je me suis engagé avec une certaine naïveté. Je ne connaissais pas tous les effets secondaires auxquels je m’exposais. Mais peu importe à quel point les choses étaient difficiles, ou à quel point ça m’a affecté, je demeure très fier de ce que j’ai accompli.
Je ne suis pas une victime.
Il est question de l’Ukraine, mais cela pourrait être Sarajevo
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
Il y a des semaines plus difficiles que d’autres. Les événements actuels sont parmi les choses qui me font revivre des émotions intenses. Je crois que, pour plusieurs d’entre nous, même s’il est question de l’Ukraine, c’est comme si c’était Sarajevo. Les deux se ressemblent beaucoup, et on verra une multitude de problèmes comparables. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’on entende parler de personnes âgées ravagées par la faim et le froid.
C’est mon point faible à moi. Celui de bien de gens, ce sont les enfants. Pour moi, c’est la souffrance des personnes âgées. Peu importe pourquoi , c’est ce que est le plus difficile pour moi. Et je sais que ça s’en vient.
Je ne peux pas le prédire avec précision, mais j’ai une assez bonne idée de ce que la ville de Kiev est sur le point de vivre. Je n’ai besoin de regarder les bulletins de nouvelles pour le savoir. Je connais les conséquences des combats urbains. Je connais les conséquences des combats urbains motivés par des raisons culturelles. C’est affreux. Un tas d’images me reviennent en mémoire.
Voir tous ces soldats enrôlés de force a été difficile pour moi. Quand je repense à tout ce que le Canada m’a demandé de faire, je demeure persuadé, en toute sincérité, que c’étaient les bonnes choses à faire. Si on m’avait forcé à poser des gestes que je jugeais illégitimes, ça aurait été épouvantable. Ça aurait été horrible. Quand je repense à ce jeune de 20 ans qui n’avait aucune idée qu’il envahirait l’Ukraine jusqu’au jour où il a envahi l’Ukraine… Quel choc! C’est déjà assez difficile quand on est d’accord avec notre mission, qu’on croit en ce qu’on fait, et qu’on veut être sur le terrain.
À aucun moment durant ma formation de base on ne m’a prévenu que je verrais des personnes âgées ravagées par la faim. Des enfants qui perdent leur droit d’être simplement des enfants. Cette perte d’innocence. Jamais on ne m’a parlé de la possibilité qu’un jour je devrais affronter un adversaire armé, qui a été forcé de se battre et qui ne comprend même pas ce qu’il fait. C’est une situation épouvantable qui risque de troubler un grand nombre de vétérans et de familles qui ont survécu aux Balkans.
Être un ami
Paroles d’un Vétéran des Forces armées canadiennes
C’est vraiment difficile d’être ami avec des gens comme nous, surtout lorsque l’ami en question n’est pas l’un des nôtres. Ce n’est pas qu’on passe les gens au crible ou qu’on est désagréable ou quoi que ce soit. C’est que mes amis doivent faire preuve d’une grande tolérance envers moi. Je passe mon temps à me défiler. J’annule souvent des activités sans vraiment expliquer pourquoi. C’est généralement parce que j’ai dit « oui » une certaine journée, mais qu’aujourd’hui n’est pas une bonne journée pour moi. C’est tellement plus facile de dire « oui » à des gens qui voient les choses comme moi. C’est plus facile d’être moi-même. Il y a moins de jugement. Si je réagissais à un bruit, ces gens-là n’en feraient pas de cas, parce qu’ils comprennent, ou même, ils en riraient, parce qu’ils sont déjà passés par là.
Je le prendrais probablement mal si quelqu’un se moquait de moi pour ça. Ma tolérance pour ce genre de commentaire est bien plus grande quand il s’agit de personnes avec qui j’ai servi que lorsque ça vient de quelqu’un d’autre. Le seuil de tolérance est différent. Certains appelleraient probablement ça de la discrimination, mais c’est vraiment comme ça que je me sens. L’une des raisons pour lesquelles je suis plus à l’aise d’aller chez des amis avec qui j’ai servi est que si je devais avoir une réaction importante alors que je suis là-bas, je sais qu’ils n’en feront pas de cas, parce qu’ils en ont vu d’autres. Ils ne seront probablement pas offusqués si j’arrive et que, 10 minutes plus tard, je leur dis que je dois partir. Je n’aurai pas besoin d’inventer une raison bidon. Ils sauront tous ce qui s’est passé, et ils m’inviteront à nouveau parce qu’ils comprendront. Mais ce n’est pas facile de côtoyer quelqu’un qui agit comme ça quand on ne comprend pas. C’est un peu comme si on vous faisait faux bond.
Sur ce plan, ma famille m’a été d’une grande aide. On a élaboré des stratégies afin que, si je dois m’en aller 10 minutes après le début d’une réunion familiale, on ne déçoive pas tout le monde, en expliquant à peine pourquoi on part. Souvent, on prend deux autos. Donc, si je ressens le besoin de partir, ma femme et mes enfants peuvent rester. Ou bien ma femme laisse les enfants avec sa famille le temps de me ramener rapidement à la maison, avant d’y retourner. Ça nous donne l’impression de travailler ensemble, de nous attaquer aux problèmes liés à mon TSPT – des problèmes qui l’affectent tout autant que moi – en tant que couple. Et on le fait d’une manière qui m’aide à atténuer ma réaction à la situation dans son ensemble. C’est essentiel d’avoir un plan de match.
Traumatisme indirect
Paroles d’un Membre de la famille d’un vétéran
J’en sais bien plus et j’en ai vu bien plus que je ne l’aurais souhaité.
« Tu ne peux pas fréquenter cet enfant-là; tu ne peux pas aller là-bas; tu ne peux pas faire ceci ou cela », lui répétait toujours son père. « Pourquoi pas? », demandait mon fils. « Parce que je sais des choses que tu ne sais pas. » Mes enfants aimaient leur père comme personne, mais malgré tout, mon plus grand a quitté la maison à l’âge de 20 ans. Ce n’est qu’après la mort de son père qu’il m’a dit : « Je devais déménager. J’aimais papa, mais je ne pouvais plus vivre avec lui. »
Il n’était plus capable de vivre comme ça, alors il a déménagé. C’est pourquoi on dit toujours que si une personne a un TSPT, c’est toute la famille qui a un TSPT. C’est du moins mon point de vue en tant que conjointe, et je continue à sensibiliser les gens au traumatisme indirect. J’en sais bien plus et j’en ai vu bien plus que je ne l’aurais souhaité, parce que mon mari avait besoin de quelqu’un sur qui déverser son trop-plein.
Et ce quelqu’un, c’était qui d’après vous?
Vous l’aurez compris, c’était moi.
Ne sois pas trop cynique quand il est question d’espoir
Paroles d’un Membre de la famille d’un vétéran
Je ne savais pas vraiment la différence entre ce qui était normal et ce qui ne l’était pas. Je ne savais pas à quoi pouvait ressembler une enfance dans le monde civil. Je sais que mon enfance m’a rendu très empathique et plutôt en phase avec les émotions des autres. C’était une question de survie à la maison. Je devais constamment m’adapter aux humeurs de mon père.
Cette aptitude, je l’ai conservée tout au long de mon enfance. J’étais plus sage que j’aurais dû l’être. C’est seulement lorsque je suis entré à l’université que j’ai réalisé qu’une grande partie de ce que j’avais vécu à la maison s’apparentait à de l’abus. C’est dur pour moi de prononcer ce mot – abus –, car mon père ne m’a jamais rien fait intentionnellement. Il n’a jamais voulu me faire du mal. C’est juste arrivé comme ça.
J’avais besoin de m’éloigner de mes parents pour savoir à quoi ressemblait une vie normale. Et c’est devenu plus facile pour moi de dire « non » à mon père. Ce qui était difficile, c’était de composer avec les demandes de ma mère, même si elles étaient sincères et affectueuses : « Je t’en prie, reviens à la maison! » ou « Ton père s’ennuie de toi. » C’était difficile de mettre des limites à ce genre de manipulation affective, parce qu’elle n’était pas intentionnelle. J’ai dû reconnaître qui si l’un de mes parents adoptait des comportements abusifs à mon endroit, l’autre permettait en quelque sorte que les choses soient ainsi. Je devais l’admettre. C’est difficile à reconnaître parce que je sais pertinemment, au fond de moi, à quel point j’aime mes parents et à quel point ils m’aiment, eux aussi.
Ce n’est pas à vous de prendre soin de vos parents. C’est à eux de s’occuper de vous et de veiller à leur propre bien-être. Ce n’est pas votre faute s’ils se mettent en colère. Ce n’est pas votre faute s’ils ne font plus rien, s’ils ne veulent plus sortir du lit. Ce n’est pas votre faute. Il est important d’être patient avec soi-même, surtout lorsqu’on est un enfant, et de ne pas être trop cynique face à l’espoir.
J’étais cynique quand je parlais d’espoir. J’étais convaincu qu’il n’y avait aucun espoir, et ça me déprimait. Mais avec les bons amis, les bons médicaments, le bon processus – j’ai encore du mal à croire qu’il y a de l’espoir, mais je sais que c’est possible. C’est un défi quotidien, mais il y a désormais dans ma vie plus de bons que de mauvais jours.
Quelque 150 personnes flottent dans une boîte de conserve au large des côtes libyennes
Paroles d’un Vétéran de la Marine royale canadienne
Lorsque j’étais en mission en Libye, on était responsables des blocus sur les voies maritimes. Aucun bateau ne devait passer. La phase initiale prévoyait l’inspection des bateaux. On devait donc envoyer des membres de notre équipage sur les navires afin de les inspecter. C’est un travail extrêmement dangereux. Le simple fait de descendre une échelle dans un petit bateau, un bateau étranger, et dont les occupants ne sont pas nécessairement heureux de vous accueillir, constitue un danger.
On ne savait jamais ce qui nous attendait. Lors des inspections, on fouillait les navires en inspectant absolument tout. Mon ami a ouvert un sac de sport qui contenait une grenade russe attachée par un cordeau détonant à un sac de Semtex. Il s’est carrément mis la tête dans le sac. Je crois qu’il se souviendra toute sa vie du jour où il a ouvert ce sac. J’ai regardé à mon tour et c’était bel et bien ça. Je lui ai dit : « C’est un engin explosif improvisé que tu viens de remettre en place dans le sac. »
On se serait cru dans un film.
En route vers la Libye, on a croisé des bateaux de migrants qui étaient dans un état lamentable. On cherchait comment les aider, mais on a dû partir en mission. Ça a vraiment affecté nos troupes. Ce n’est pas normal d’échapper à ses obligations liées à la « sauvegarde de la vie humaine en mer » pour partir en mission, et ça a longtemps dérangé plusieurs d’entre nous.
Encore aujourd’hui, je me demande ce qui est arrivé aux mères et aux enfants sur ces bateaux de réfugiés. À tous ces gens qu’on aurait pu aider, mais qu’on dû abandonner en pleine mer parce qu’on avait une mission à accomplir. Et malheureusement, ce jour-là, ils faisaient pas partie de notre mission.
Élargir les connaissances pour réduire la stigmatisation.
Nos remerciements à
Abdul Mullick, Bill Irving, Brian McKenna, Bruno Paquette, Guylaine Lamoureux, Jonathan Kowenberg, Kathryn Ward, Laryssa Lamrock, Paul Morrison, Polliann Maher, Tanis Giczi, Sharp Dopler