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DESCRIPTION DE L’ÉPISODE

« Il est souvent question d’une décision prise sur le vif que l’on regrette à vie, avec l’énorme désavantage d’une vue rétrospective. »

Le terme « préjudice moral » est relativement nouveau dans le domaine de la recherche sur la santé mentale, mais de nombreux vétérans savent très bien ce que c’est. Les préjudices moraux désignent les répercussions psychologiques, sociales et spirituelles d’événements ou d’actes dont une personne est responsable, qu’elle a vécus ou qu’elle n’a pas pu empêcher et qui vont à l’encontre de ses croyances ou valeurs morales profondes.

Il n’est pas rare que des vétérans vivent des événements qui leur causent des préjudices moraux pendant leur service. Ceux-ci continuent aussi d’avoir des répercussions dans la vie des vétérans après leur service. Dans cet épisode de L’esprit au-delà de la mission, le président-directeur général de l’Institut Atlas, Fardous Hosseiny, se joint à Brian et à Laryssa pour discuter des préjudices moraux sous ces angles :

  • Qu’est-ce qu’un préjudice moral? En quoi est-il différent du trouble de stress post-traumatique?
  • Quels types d’événements peuvent causer un préjudice moral?
  • Après avoir subi un possible préjudice moral, quand une personne doit-elle parler des symptômes à son médecin de famille?
  • Quels sont les symptômes d’un préjudice moral? Que puis-je faire si je crains qu’un proche ait subi un préjudice moral?
  • Quelles sont les répercussions des préjudices moraux sur les familles des vétérans?
  • Comment faire la différence entre frustration morale et préjudice moral?
  • En quoi consiste l’échelle des résultats liés au préjudice moral?
  • Comment peut-on soutenir les pairs qui présentent des symptômes de préjudice moral?
  • Quelles ressources sont offertes aux vétérans ou aux membres de leur famille qui veulent en savoir plus sur le sujet?

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L’ESPRIT AU-DELÀ DE LA MISSION, ÉPISODE 3 – LES PRÉJUDICES MORAUX AVEC FARDOUS HOSSEINY

Laryssa

La trahison, la culpabilité et la honte sont les marques distinctives des préjudices moraux. Les préjudices moraux désignent les répercussions psychologiques, sociales et spirituelles d’événements ou d’actes dont une personne est responsable, qu’elle a vécus ou qu’elle n’a pas pu empêcher et qui vont à l’encontre de ses croyances ou valeurs morales profondes. Bien que l’attention portée aux préjudices moraux se soit accrue au cours des dernières années, de nombreux vétérans et membres de leur famille ne connaissent ni le terme ni la façon dont le préjudice se manifeste ou dont il se distingue du trouble de stress post-traumatique (TSPT).

Un grand nombre de vétérans sont laissés à eux-mêmes pour comprendre ce qu’ils ont vécu. Que ce soit intentionnel ou non, les vétérans qui se débattent avec le côté sombre de leur personnalité semblent repousser leurs proches. Et le manque flagrant d’information et de ressources éducatives à ce sujet offertes aux vétérans et à leur famille fait persister le problème.

Brian

Parfois, lorsqu’on me parle de préjudices moraux, je cherche à découvrir ce qui embête réellement la personne par rapport à sa situation. Les gens présument à l’occasion que, puisque j’ai assisté à un incident qui est traumatisant en théorie, c’est cela qui me tracasse. Cette situation m’agace encore plus, car ils passent quelques fois à côté de la plaque. On peut sans doute en dénicher une définition classique, mais, à mon avis, l’essentiel est de déterminer la racine même du préjudice moral. Souvent, il est davantage question de déception que de traumatisme. Vous vous distanciez de cette organisation qui n’a pas su vous protéger de l’isolement.

À mes débuts à l’Institut Atlas, un certain nombre de projets différents m’ont été présentés. En voyant le mot « préjudice moral », dont j’ignorais pourtant le sens à l’époque, j’ai annoncé à mon patron : « Il faut que je m’occupe de ce dossier ». Depuis, j’opte pour le même genre de dossiers.

À cet égard, on accueille aujourd’hui notre invité Fardous Hosseiny. Fardous est le PDG de l’Institut Atlas, mais il possède également une certaine connaissance du dossier lié aux préjudices moraux. C’est donc le moment tout indiqué pour vous le présenter. Avant d’entrer dans le vif du sujet, parlons de l’immense responsabilité qui vous incombe. Tu es à la tête d’une nouvelle organisation importante.

Fardous

Tout à fait. Merci de m’avoir invité. Pour revenir à ce que tu disais, Brian, on menait déjà des consultations en personne avant la COVID-19, lorsque l’organisation venait d’être créée il y a environ 3 ans. On a donc rencontré des vétérans accompagnés de leur famille à Vancouver, et ils étaient plusieurs à décrire quelque chose que l’on qualifiait alors de TSPT. Il fallait cependant aller plus loin pour déceler la honte, la culpabilité et la trahison – caractéristiques d’un préjudice moral. On dit parfois que le préjudice moral et le TSPT renvoient à la même notion, mais le fait d’entendre un vétéran parler de ses symptômes et de son passé vous prouvera le contraire.

Brian

En s’informant sur leur planification, les militaires répètent souvent : « Et alors? » On leur dit de prêter attention à ceci ou que cela est différent ou important à savoir. OK. Pourquoi? En quoi la prise en charge du préjudice moral diffère-t-elle de celle du TSPT? Les ordonnances et les traitements sont-ils différents? Qu’est-ce qui change au juste?

Fardous

Le préjudice moral ne fait toujours pas partie du DSM. Ce n’est pas un diagnostic. Cette conversation témoigne d’ailleurs de notre espoir que la recherche démontrera un jour qu’il mérite d’être considéré comme tel. Vous profiterez ainsi de traitements et de soins plus adaptés qui vous aideront à surmonter la honte, la culpabilité et la trahison, plutôt que de cibler la peur et l’anxiété, davantage associées au TSPT.
Même si la réalité est malheureusement tout autre, j’espère que notre discussion permettra de véhiculer le message et que les efforts d’Atlas contribueront à l’élaboration d’une échelle conçue pour mieux distinguer les symptômes propres au préjudice moral de ceux du TSPT. Puis, grâce à l’imagerie cérébrale, on pourra analyser les régions mises en évidence chez les patients. On sera ainsi bien outillés pour envisager des options de traitement. Cela dit, contrairement à ce que d’autres chercheurs vous diront, on a encore du chemin à faire avant de parvenir à un diagnostic formel.

Laryssa

Ce serait génial de pouvoir poser le bon diagnostic, selon s’il s’agit du TSPT ou d’un préjudice moral. Pourrais-tu approfondir un peu sur ce dernier? On a effleuré le sujet, mais j’aimerais qu’on en précise le sens.

Fardous

Il faut tout d’abord raconter son histoire. Comme on l’a dit, les préjudices moraux sont un enjeu d’actualité. Tout a commencé quand les travailleurs de la santé ont dit que les militaires éprouvaient de la détresse morale ou un préjudice moral qu’ils subissaient en prenant des décisions difficiles. Pourtant, le terme a été inventé en 1994 par le Dr Jonathan Shay, psychologue clinicien. À leur retour du Vietnam, beaucoup de vétérans manifestaient des symptômes qui n’avaient rien à voir avec le TSPT. C’est ainsi qu’est né le terme « préjudice moral ». Par conséquent, il en existe à l’heure actuelle 17 définitions légèrement différentes les unes des autres dans la littérature. Le Dr Shay parlait de la trahison institutionnelle, c’est-à-dire provenant de quelqu’un en position d’autorité. Vous vous retrouvez dans un rôle décisionnel auquel on ne vous a pas préparé. Il était donc pionnier de cette idée-là.
Plus tard, d’autres psychologues et chercheurs s’en sont inspirés. On a créé une échelle de résultats liés au préjudice moral avec le Dr Brett Litz, diplômé de l’Université de Boston et pionnier en la matière. Il a formulé la définition la plus récente : « les effets psychologiques, spirituels et biologiques de vivre une situation contraire à ses croyances morales ou d’en être témoin ». Quant aux événements potentiellement préjudiciables sur le plan moral, ce sont des transgressions. Vous pouvez en être soit l’auteur soit un témoin. C’est ça la définition actuelle du préjudice moral.

Brian

Pour moi, c’était un nouveau terme. La communauté scientifique a beau l’avoir découvert en 1994, moi, je n’en ai entendu parler pour la première fois qu’il y a environ 5 ans. Dans notre monde, nos conjointes sont bien souvent les premières à s’apercevoir d’un problème qui n’est pas abordé. Ce mot était-il évocateur pour toi dès le départ? Revêtait-il un sens en soi ou manquait-il un peu de chair autour de l’os?

Laryssa

Je voulais en apprendre plus, cela m’aurait éclairée sur certains aspects. Après 15 ans dans le domaine du soutien par les pairs, je savais parfaitement ce que TSPT voulait dire. Puisqu’on l’a diagnostiqué chez mon conjoint, j’en connaissais les particularités. On a élaboré des stratégies. J’en ai même adopté moi-même, mais elles ne fonctionnaient pas en tout temps. Je sentais qu’il y avait des incohérences. Je savais que le retrait et l’hypervigilance faisaient partie des symptômes du TSPT, mais l’insomnie de mon mari avait une autre explication.

Dès qu’on m’a parlé de « préjudice moral », j’ai eu une révélation. Petit à petit, je commençais à reconstituer le casse-tête. Tout tournait autour de la culpabilité. Elle le rongeait alors et le ronge toujours. Il faut qu’il s’en débarrasse, tout comme de sa perception négative de lui-même. Donc, tout ce qui n’était pas lié au TSPT portait à croire qu’il a subi un préjudice moral.

Brian

De mon côté, il m’était relativement difficile de concevoir qu’une discussion sur les préjudices moraux devienne vite émotionnellement chargée. Je me retrouvais à jongler des aspects délicats que j’élude habituellement. Parler d’un traumatisme demande du courage, mais cela en vaut la chandelle. Quiconque peut compatir avec vous lorsque vous lui confiez une chose terrible de votre vie. Mais je n’aime pas toujours mettre toutes mes tripes sur la table. L’abandon, c’est affreux. En tout cas, ce n’est pas un sentiment qu’on souhaite associer à l’armée. En révélant mes émotions, j’ai pu enfin toucher du doigt des choses qui m’échappaient. Et les autres semblaient toujours se tromper sur mon cas. Ils partagent la même réflexion : « Ton état est la suite logique de tel événement traumatisant. » Pourtant, le plus choquant est survenu en route.

J’ai vu des situations que je ne saurais qualifier autrement que de la maltraitance envers les femmes. Cependant, cela ne faisait pas partie des responsabilités de notre mission. Ces pauvres femmes sur une petite rue secondaire, ça ne nous concernait pas. Après tout, on n’était que 3 000 dans un pays de 50 millions d’habitants. On n’y pouvait rien. Il fallait fermer les yeux sur cette horreur. Même si tout le monde est persuadé que c’est l’événement qui se produisait à ma destination qui m’a tant affecté, je suis plutôt tourmenté par ce que j’ai vu en cours de route. On dit que « ce qui arrive en route, on l’accepte ». Ce qu’on ignore, on accepte. Je vois pourquoi je ne me suis pas arrêté. J’ai bien agi. Mais une partie de moi, le papa, Brian, on dirait qu’il a accepté cela.

Laryssa

Cela ressemble au préjudice moral : le fait de douter de ses actions ou, comme l’a dit Fardous, de celles d’autrui. J’ai quelques questions. Le TSPT et le préjudice moral peuvent-ils être concomitants. Qu’est-ce qui les distingue au juste?

Fardous

Absolument. Pour revenir au propos de Brian, on a mentionné les événements potentiellement préjudiciables sur le plan moral. Vos croyances morales profondes sont trahies et vous n’avez parfois d’autre choix que d’être spectateur. Votre code moral vous indique qu’il y a moyen d’intervenir. Pourtant, les règles d’engagement vous en empêchent. C’est donc un événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral. Passons au point de Laryssa. Le simple fait d’assister à une transgression et de ne pas être autorisé d’y réagir a une incidence sur vous. Cette expérience risque de vous marquer. Si c’est le cas, cela devient un préjudice moral.

Quant au point de Laryssa sur le TSPT, je crois que la difficulté relève du caractère quasi identique de ces affections. Chacune est liée à un traumatisme et toutes deux commencent de la même façon. Néanmoins, le point d’intérêt principal ce sont leurs différences, c’est-à-dire le tout premier élément déclencheur. Le TSPT, on l’a dit, est habituellement fondé sur la peur et l’anxiété. On n’exclura pas la honte et la culpabilité, mais elles se rapportent surtout au préjudice moral. Ce sont ses principaux symptômes. Ensuite, il y a les attributions. Une personne atteinte du TSPT éprouve un sentiment d’horreur, d’impuissance. Dans le cas d’un préjudice moral, on se sent mal d’avoir assisté à une situation donnée ou d’avoir entrepris une action.

Il n’est pas question d’impuissance. Vous reconnaissez que votre inaction pourrait signifier que vous êtes une mauvaise personne. Les attributions sont donc très différentes. Ensuite, côté traitements, on a encore du pain sur la planche. Par exemple, la thérapie d’exposition prolongée est le traitement par excellence du TSPT, mais qu’en est-il de la culpabilité et de la honte? En quoi est-ce utile de se faire dire : « Revivez ces émotions, confrontez-les »? Vous comprenez? Cela ne permet pas à la personne de s’en sortir. À mon avis, il faut circonscrire d’abord les distinctions entre les deux. C’est à ce niveau-là que se situe le problème. Puis, on pourra se pencher sur les options de traitement.

Brian

L’un des sujets desquels on a déjà traité c’est l’intervalle entre la première occurrence et la constatation de l’ampleur. On parlait du retrait de l’Afghanistan, une situation difficile à regarder. Enfin, je trouvais ça horrible. Pas du tout agréable. Et on disait que c’est tout à fait naturel. Certaines choses peuvent toucher une corde sensible. Y a-t-il un délai à prendre en considération si on continue de faire des nuits blanches et que les événements continuent d’avoir un énorme impact sur vos relations et de causer énormément de souffrance? Quel serait ce délai? Et ensuite? Et alors? Que doit-on faire à ce sujet?

Fardous

Tu es en train de décrire un continuum, n’est-ce pas? N’importe quand, vous pouvez observer ou faire quelque chose qui met en doute vos codes moraux. S’il ne s’agit que d’une violation minime, c’est davantage de la frustration morale. Lorsque le degré de la transgression est modéré, on fait affaire à des défis et à de la détresse d’ordre moral. Au 3e degré, c’est extrême : l’expérience en question vous marque et porte atteinte à vos convictions morales profondes. On parle alors d’un préjudice moral. C’est un continuum. Au départ, la frustration morale embarque quand quelque chose vous agace à l’occasion. Vous pourriez ensuite vous en remettre. Croire que ce n’est pas grave. Que cela ne vous a pas touché. Vous poursuivez votre vie.

Mais si ce n’est pas le cas, un événement plus grave risque de poser un défi moral, vous piégeant dans un état de détresse morale. Vous remarquez ensuite que cette expérience a ébranlé vos croyances profondes et qu’il n’y pas moyen d’aller de l’avant – elle a laissé sa trace.

Brian

Et ça se corse encore plus avec des règles qui entrent en jeu, la réalité. Par exemple, le personnel médical des Forces armées canadiennes est phénoménal. On garde en vie même ceux qui, hier, n’auraient jamais survécu. Ce service est offert à tous. Sachant qu’on peut leur fournir des soins de premier ordre, les blessés appellent parfois la base eux-mêmes.

La capacité est impressionnante. Comparable à une urgence torontoise. Cela dit, pas question d’être un bon samaritain. Sinon, la ville tout entière viendra vous voir avec des problèmes de toux et d’entorses dont vous ne pourrez pas vous occuper. Il faut que ces gens s’habituent à exiger ces soins de la part de leur propre système.

Bref, dans bien des cas, on n’est pas en mesure d’administrer des soins médicaux. C’est terrible pour le personnel soignant. Il est formé et prêt à aider n’importe quel patient. Mais, en se proclamant experts médicaux, on risque de déclencher une catastrophe dans cette ville. Ça arrive.

En ex-Yougoslavie, même si on aurait pu nourrir des gens, ce n’était pas une option. Autrement, on se serait retrouvé dans la situation que je viens de décrire. Après avoir sécurisé la zone où ils se trouvaient, on les a dirigés vers les organismes d’aide qui étaient là pour les nourrir.

Du pur n’importe quoi. Ça me dérange encore. Plein de gens trouvent ça bizarre, car ils s’attendent à un récit de guerre. Un immense massacre aurait fait leur affaire, mais il en existe déjà en masse. Le papa en moi était donc frustré. Un bon papa, ça nourrit des enfants affamés. Ça prend soin des gens. Je suis une bonne personne. Vous aimeriez bien m’avoir comme voisin. Mais cette conduite ne cadre pas ce qu’on attend d’un voisin. Cela concorde-t-il avec le sens de préjudice moral? Je parie que beaucoup de gens comme moi se demandent la même chose.

Fardous

En effet. Ça résume très bien le concept d’événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral. Le champ de bataille regorge d’exemples similaires où vous voulez tellement faire la bonne chose, mais vous n’en avez pas le droit.

Le recours à la force létale constitue un autre exemple. Il pourrait vous sembler que la personne devant vous ne mérite pas cela. Mais, qu’on le veuille ou pas, les règles d’engagement l’imposent. Donc c’est un peu ça. On donne des ordres pouvant entraîner de mauvaises décisions et la mort de civils et le risque de subir un préjudice moral est bien présent. Parfois le seul fait d’être obligé de maintenir une information confidentielle est susceptible de mener à un résultat catastrophique. Un autre événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral. Bref, ce qui arrive sur le terrain n’est qu’un côté de la médaille, car d’autres décisions sont prises en coulisse, décisions dont les gens pourraient ne pas tenir compte puisque votre mission n’avait qu’un seul but. Or, toutes les facettes de l’opération sont importantes. Il y a aussi d’autres décisions à prendre régulièrement qui peuvent avoir de mauvaises conséquences avec lesquelles vous devrez composer par la suite.

Brian

Puis, vous amènerez ces idées noires chez vous. Quand quelqu’un veut en discuter, je me demande s’il lui faut vraiment chaque détail juteux sur la fois où je n’ai pas nourri les enfants? Je ne pense pas!

Laryssa

Je pense que bon nombre de proches pensent vouloir tout savoir. On a déjà abordé ce réflexe qui existe chez les familles. Elles veulent soutenir leur vétéran. Surtout la conjointe ou la compagne, qui est à ses côtés pour l’écouter et l’aider. On pense vouloir en parler en disant « Je t’écoute. Qu’est-il arrivé? Défoule-toi, fais-moi confiance. » Pourtant, au fond de nous, on n’aimerait pas savoir les détails.
Ça complique les choses pour les vétérans, car certains parmi ceux aux prises avec un préjudice moral refusent de se regarder dans le miroir. Et comme l’a dit Fardous, le mot clé que vous avez prononcé, c’est le mot décision. D’après moi, il est souvent question d’une décision prise sur le vif que l’on regrette à vie, avec l’énorme désavantage d’une vue rétrospective.

Il se disent qu’ils auraient dû agir autrement, qu’ils avaient vu ou entendu telle chose, et ils doutent de la décision qu’ils ont prise. Comme je disais, beaucoup de vétérans n’osent pas se regarder dans le miroir parce qu’ils ne peuvent se voir en train de rectifier les décisions qu’ils ont prises ou ce qu’ils ont vu.
Écrasés par la honte et la culpabilité, ils ne se sentent pas dignes d’amour. Ils n’ont aucun amour propre. Consciemment ou non, le vétéran éloigne ses proches puisqu’il est convaincu qu’il ne mérite pas d’être aimé. Quant au membre de la famille, cette personne ignore le sens de préjudice moral et n’a peut-être jamais entendu ce terme. Elle peut donc prendre ce comportement personnellement et penser qu’il reflète la force de la relation ou qu’elle ne mérite pas d’être aimée. Peut-être que quelque chose ne va pas chez moi. Ainsi, rien que d’effleurer l’impact sur les familles s’avère une tâche très complexe.

Brian

Les vétérans veulent entendre que les gens comprennent parfaitement leur situation. On ne va pas forcément tout remonter à la surface, mais on parle souvent des cas où on ne pouvait pas fournir de l’aide ou que c’était interdit. Mais ça va dans les 2 sens.

Parfois, il suffit d’éliminer une seule cible pour que tout se normalise. On le sait bien, ce type est à l’origine du problème. C’est lui le cerveau. Le spécialiste des bombes. Le voilà! On l’attrape. Mais on ne peut pas. Même si la ville souffre de plus en plus, il y a une raison sous-jacente. Ce n’est pas que les personnes chargées de la prise de décision sont incompétentes, mais sur le terrain, c’est la mise en œuvre de ces décisions qui est moins évidente. Dans certaines circonstances, je savais que le militaire à l’autre bout du fil à 10 kilomètres de distance, ne comprenait pas assez la situation pour prendre de bonnes décisions.

Qu’en est-il alors des décisions prises à Bruxelles, à New York ou à Ottawa, par quelqu’un dont la formation est complètement différente de la vôtre? Et même si ce n’est pas vrai qu’il y a une déconnexion, il y a bel et bien un sentiment de déconnexion. J’ai trouvé cela particulièrement difficile à avaler parfois.

Laryssa

Fardous, dirais-tu que ce dont Brian parlait est un préjudice moral qui a pris naissance ailleurs, mais qui a influencé la perception actuelle du monde du vétéran ainsi que ses interactions avec les gens d’ici, où ce genre d’événements ne se sont peut-être pas produits et risquent de ne pas se produire? Ce préjudice peut-il altérer sa perception de l’humanité ou son souci du bien commun?

Fardous

Certains de nos efforts avec le Dr Brett Litz à l’Université de Boston étaient dirigés vers l’élaboration d’une échelle de résultats liés au préjudice moral. Quant à ton point précédent, ce ne sont même pas les événements qui comptent, mais le résultat, la décision qui a été prise. C’est ce qu’on est en train de mesurer.

Lors de la mise au point de l’échelle, on a pu dégager 6 catégories principales. La première concerne justement l’altération de la perception de soi. C’est quand on croit être une mauvaise personne. Cette impression, elle nous affecte beaucoup. C’est primordial.

La deuxième porte sur l’altération de la pensée morale. Vous perdez confiance dans la foi et la bonté des autres. Pour revenir au point de Brian, à votre retour, vous n’êtes peut-être plus en mesure de vous fier aux gens chargés de la prise de décisions sur le terrain,
qui ne connaissent pas notre histoire, et qui prennent des décisions que vous n’approuvez pas. Vous avez perdu toute foi en la bonté des autres. La troisième est l’impact social, cette déconnexion à l’égard des gens. Désormais, mon lien avec les autres s’est rompu. C’est la troisième catégorie.

Ensuite, on passe à l’automutilation et à l’autosabotage. Vous nuisez à votre propre succès, parce que vous ne croyez pas le mériter. Vous estimez ne pas être digne de bonté en raison des décisions que vous avez prises. Vous tentez d’empêcher votre perfectionnement ou votre réussite.

La cinquième catégorie touche les séquelles émotionnelles, l’apparition de la honte. J’ai honte, je suis coupable. Je me sens trahi. C’est de cela que ça a l’air.

Puis, on arrive aux croyances sur le sens de la vie et la raison d’être. Mon existence est futile. C’est différent de l’aspect de déconnexion ou de perte de confiance en la bonté; ici il est question du sens de la vie en général. Vous vous sentez carrément inutile.

On sait bien que lorsque les militaires, en particulier nos vétérans, reviennent, ils peinent à se réintégrer. Ils ressentent souvent qu’ils ont perdu leur raison d’être. Imaginez maintenant qu’au fond de vous, vous ne saisissez plus le sens de la vie. Cette personne se trouve dans le pétrin.

Ça fait pas mal le tour de notre échelle, qui comporte à présent 17 catégories. Puisqu’elle a fait ses preuves dans le contexte de la recherche, il ne restera que les essais en milieu clinique. Lorsque vous dites que 17 catégories ont été validées, cela signifie-t-il qu’il existe des mesures qui s’y rattachent?

Brian

Sur le plan de la recherche, oui. Comme notre article vient d’être publié chez Frontier Psychiatry, le monde de la recherche l’a accepté. L’étape suivante consiste à appliquer cette échelle à la vraie vie, en milieu clinique. Il faut demander au personnel médical de poser certaines questions aux patients. Vous utilisez les mesures de l’échelle, puis vous verrez. Hypothétiquement, si une personne obtient une note de 4 ou 5 dans 11 des 17 catégories, elle fait clairement face à un préjudice moral. Toutefois, on n’en est pas encore rendu là.

Brian

Dans l’environnement militaire, les nouveautés sont rejetées quasi systématiquement; les gens s’y opposent. Est-ce pareil en sciences? Avez-vous constaté que, malgré vos progrès, quelques personnes demeurent réticentes?

Fardous

Absolument. Un débat houleux sur la différence entre le préjudice moral et le TSPT oppose encore les chercheurs et la communauté scientifique. Cela se passe actuellement. Certains sont persuadés que le préjudice moral appartient à un sous-ensemble du TSPT, tandis que d’autres le classent dans une catégorie à part entière. Il y a donc 2 camps tâchant de se convaincre mutuellement. Alors oui, pas de consensus même à ce niveau.

Brian

Trouvez-vous que cette opposition pousse une partie de la communauté à se tenir à l’écart de la controverse?

Fardous

Oui. Les gens peuvent se laisser influencer par des chercheurs chevronnés qui ont accompli des choses remarquables et qui s’expriment avec une assurance impressionnante.

De concert avec leurs pairs, les futurs chercheurs devraient prendre l’initiative de mener cette saine conversation plus loin afin qu’on puisse aller de l’avant. Certes, la réticence est là, mais il y a aussi de nombreux chercheurs canadiens brillants et avant-gardistes axés sur le préjudice moral et j’ai hâte de les voir en action. Quelques-uns sont même établis à Ottawa et font partie de notre propre réseau. C’est donc à suivre de près.

Brian

Je me questionne toujours sur ce que l’armée, l’aviation et la marine feraient si toutes ces suggestions étaient approuvées. Dès qu’on découvre une nouvelle facette d’un traumatisme, on fait un remue-méninges.

On crée des acronymes, on vous entraîne. On achète l’équipement qui vous y préparera. Vous irez en Espagne si elle a une longueur d’avance. On fera beaucoup de choses pour que vous découvriez un peu ce moment traumatisant et sachiez comment y réagir.

Mais comment s’y prendre pour préparer une personne à quelque chose d’aussi vaste que le préjudice moral?

Fardous

Excellente question. J’ignore si l’on peut le prévenir. Mes collègues et moi, on s’est mis d’accord que, en joignant l’armée, on risque de subir un traumatisme. Vous êtes conscient que vous vivrez des expériences très pénibles. Impossible de l’empêcher. Passons au plan secondaire. Si l’on vous dit que vous serez percuté par un autobus, de quelle manière peut-on vous y préparer? Bien que cet aspect échappe à notre contrôle, vu l’imprévisibilité de la guerre, il nous incombe de veiller à ce que vous soyez prêt à une telle éventualité. Sachant que cela vous est arrivé, quel type de soutien peut-on vous fournir? Il doit y avoir de sérieuses conversations au niveau organisationnel sur la préparation des soldats déployés, sur ce à quoi ils devraient s’attendre et sur la procédure à suivre dans chaque circonstance. Voilà pour le point de vue préventif. Au niveau de l’équipe, il faut également signaler aux dirigeants d’organisations que, puisque les personnes qui en relèvent vivront forcément ce genre de choses ou en seront témoins, il faudra prévoir des mesures qui les aideront à s’en remettre après leur retour. Il est tout aussi crucial d’allouer assez de temps pour un compte rendu.

Brian

Les progrès sont bien réels. À la fin de mon service militaire, chacun de mes dirigeants s’est rendu compte qu’ils devaient avoir une politique de porte ouverte. Je dis bien jusqu’à un certain degré. Les idées trop farfelues ne peuvent être envisagées. Les portes sont certainement ouvertes pour ceux qui veulent exprimer leurs inquiétudes. Cela dit, aussitôt que quelqu’un se trouvait au seuil de ma porte de bureau, j’avais un peu peur.

Si la personne qui m’approche a besoin de parler de sa carrière, ça me va. Je peux l’encadrer. Mais si son problème est d’ordre plus personnel, je ne suis pas sûr d’être en mesure de l’aider. À cet instant même, bien que je travaille au dossier du préjudice moral, je ne sais pas trop ce que je ferais si j’avais à conseiller quelqu’un concernant un événement préjudiciable sur le plan moral. Tout dépend du contexte, de l’expérience, de la façon dont la personne l’a gérée et de sa réponse émotionnelle. Je me demande ce qu’on peut faire sur ce plan-là à l’avenir. Et mon instinct me suggère qu’il faut en parler davantage.

Fardous

C’est le point de départ. Tu mentionnais que ta porte était ouverte et que les gens pouvaient discuter avec toi. Tu serais surpris des répercussions que cela peut avoir, savoir qu’on a un leader disposé à écouter. Il n’a peut-être pas toutes les réponses et n’est même pas prêt à digérer cette information, mais sa porte est ouverte et il veut entendre ce que j’ai vu ou vécu. Ça change des vies. Ensuite, même dans les soins de santé, il est crucial d’avoir une équipe cohésive parce qu’on peut mettre la recherche en application ici même. Ça remonte le moral de l’équipe.

En tant que leader, vous veillez d’abord à ce que votre équipe soit aussi soudée que possible, que chaque membre peut compter sur les autres. Après, vous pouvez aborder le soutien par les pairs. Si un membre sent que les autres sont là pour lui, il s’adressera à eux en cas de difficulté. Cette cohésion est donc primordiale.

En outre, le leader est tenu d’encourager le bien-être personnel. Assurez-vous que tout membre de l’équipe dispose d’un moment pour se ressourcer et tâcher de comprendre la situation dont il a été témoin ou encore ce choix qui violait ses croyances morales profondes. Veillez à créer cet espace et à libérer du temps. C’est ce qu’il faut entreprendre en premier en étant un leader, car on ne peut simplement imposer le fardeau à la personne. Ce n’est pas juste. Que va-t-elle faire? Elle est victime d’un préjudice moral et vous lui dites de se soigner et de chercher de l’aide.

Brian

Alors, Laryssa, ce que je voudrais réellement aborder, ce sont les choses que j’ai tendance à éviter.
En fait, j’ai plus de facilité à parler des traumatismes et de sujets dérangeants. Non seulement tu as été l’épouse d’un militaire, mais tu travailles avec beaucoup de familles. Est-ce que ces aspects trouvent écho chez toi?

Laryssa

C’est-à-dire quand le vétéran se renferme sur lui-même?

Brian

Oui.

Laryssa

Comme je l’ai déjà dit, les proches ont de la misère à comprendre. Ils l’interprètent comme une rupture dans leur relation. Je parlerai d’un sujet intime plutôt que d’un préjudice moral. Le vétéran essaie d’accepter des choses que lui-même ne saisit pas parfaitement. C’est donc d’autant plus difficile de les dévoiler aux êtres chers. Alors oui, je pense qu’un fossé se crée souvent à ce niveau.

Si vous me le permettez, je vais faire une petite transition afin d’explorer l’impact des préjudices moraux sur les proches avec Fardous. Tu affirmes que le dialogue et la recherche autour du préjudice moral sont très récents et je me demande si les familles en font déjà partie.

Fardous

Excellente question, Laryssa. On dit que la recherche à ce sujet n’en est qu’à ses débuts, mais le volet familial est encore plus méconnu. Brian vient de mentionner que les militaires n’ont pas envie d’aborder certains sujets, car c’est très difficile. Le proche se demande alors pourquoi sa personne de confiance, son allié, ne veut pas lui en faire part.

Cela le porte aussi à croire qu’il n’est pas assez bon. Ce traumatisme secondaire découle du fait que cette personne qui tente de vous protéger croit que vous ne lui faites plus confiance, car avant c’était la transparence totale. À présent, vous gardez tout pour vous.

Il s’agit là d’un poids supplémentaire. Et si vous dévoiliez des choses, comme l’a dit Brian, le proche voudrait-il vraiment savoir que vous avez ignoré des enfants affamés? Quel genre de père ou de mère cela ferait-il de vous si vous révéliez ces renseignements? Quelle opinion allez-vous avoir de moi? Alors vous vous remettez à douter, tout comme la personne en face de vous.

Laryssa

J’aimerais maintenant revenir sur certaines des familles que j’ai appuyées. D’après mes observations, il y a une dynamique selon laquelle le partenaire commence à voir le vétéran sous un jour différent, ne le reconnaissant plus comme la personne, la conjointe ou le conjoint. Si le vétéran se confie, le point de non-retour est franchi. Ses êtres chers entendent parler du côté inhumain de l’humanité. Ils entendent parler de choses inconcevables.

On les voit dans les films, ces aberrations qui surviennent sur terre. Les proches remettent alors en question leur propre boussole morale, car leur conception du monde ne tient plus debout. Je serais même curieuse de savoir si les proches peuvent aussi souffrir eux-mêmes de préjudices moraux. Et c’est étrange, parce que c’est par l’intermédiaire des révélations du vétéran. Et les enfants, comment sont-ils touchés? Normalement, les parents façonnent leurs schémas moraux en leur transmettant les valeurs et principes éthiques auxquels ils croient. Ainsi, quand la boussole morale d’un vétéran s’affole, comment les enfants vivent-ils cela? Donc, c’est la génération suivante qui est touchée.

Fardous

Cela renvoie au traumatisme indirect. À force d’entendre votre vétéran vous raconter son expérience encore et encore, vous aurez l’impression qu’elle vous est également arrivée et serez en train de la revivre avec lui. Même si vous n’étiez pas présente, vous revivez l’expérience par l’entremise de votre partenaire. Ainsi, sachant ce qu’a vécu votre partenaire, vous ressentez davantage de pression. Vous êtes chamboulée par ce que votre compagnon a dû subir et la décision qu’il a dû prendre. Vous avez de la compassion pour lui, mais vous ne comprenez pas son choix, parce que vous ne connaissez peut-être pas les règles d’engagement. Comme Brian l’a mentionné, certaines choses ne relèvent pas de nous. Peu importe à quel point je veux laisser ma porte ouverte, la nature inhérente de mon poste suppose une grande discrétion. Vous pouvez demander à la personne d’expliquer sa conduite, mais elle pourrait ne pas être autorisée de le faire.

Brian

Et l’inverse est parfois vrai aussi, car il y a toujours des moments où le partenaire du vétéran ne souhaite pas lui parler de ce qui le tracasse. C’est pas jojo. Rien d’agréable. Je déteste quand un proche me lance une remarque du type : « Ça ne me tente pas de t’en parler ». Je me sens coupable de quelque chose. Et plus je réfléchis au fait que j’ai mal agi, plus je comprends le comportement de l’autre personne.
Cependant, je ne suis pas sûr qu’elle comprend mon point de vue. L’autre idée qui me préoccupe souvent, c’est que je dois raconter quelque chose sur mon déploiement sans rien révéler d’important. À une occasion, j’ai été accueilli à la maison par un groupe de proches qui pensaient que je revenais de vacances en Europe.

Bon, c’est en partie de ma faute. Je leur ai uniquement montré des moments de mon séjour à Budapest et de mon congé en Allemagne. Leur perception était fondée sur ce fragment de 3 semaines où je m’amusais à fond.

En y repensant, c’est mon manque de communication qui a provoqué cette réaction. C’était en partie à cause de moi. Pour moi, tout est interrelié. Le préjudice moral perturbe d’abord la communication, puis la relation en souffre. Alors, un incident d’il y a 20 ans peut-il affecter mes enfants aujourd’hui? Tout à fait.

Fardous

Effectivement, Brian, comprendre le point de vue de l’être cher nécessite une communication ouverte. Cette personne essaie de vous dire ceci : « Gardes-tu cette information pour toi à cause d’une chose que j’ai faite? »

Il est également important que votre proche comprenne que, à certains moments, vous n’aurez pas envie de discuter. Créez donc cet espace sûr. Ne le prenez pas personnellement. S’il existait une formation à ce sujet, n’as-tu pas l’impression qu’elle aiderait énormément le vétéran et sa famille à comprendre les raisons pour lesquelles il préfère ne pas dévoiler certaines choses et que les proches n’ont pas à se sentir visés? Quel est ton avis?

Brian

On travaille tous dans le même domaine, chacun ayant un rôle différent, mais, maintenant que vous avez appris que votre collègue a négligé de nourrir des enfants quand il aurait pu le faire, votre réaction m’inquiète. Et je sais comment vous allez réagir. Vous réagirez positivement, car vous êtes mes amis, mes collègues, et que vous l’avez appris dans le cadre de votre travail, mais cette inquiétude persiste. Eh bien, imaginez ma réaction lorsqu’il s’agit de mon voisin ou de quelqu’un qui n’est pas partie prenante dans notre relation?

D’autre part, je risque aussi de détruire ma relation avec ma femme et mes enfants en leur disant ce que je viens de vous confier. C’est moi seul qui porterai ma croix. Je le fais depuis longtemps. C’est un aspect important. Je vous protège, mais je me préoccupe surtout de votre réaction potentielle.

Laryssa

Afin d’y voir plus clair, les gens gagneraient à être informés et à recevoir une formation, comme l’a suggéré Fardous. Y a-t-il des ressources sur le préjudice moral pouvant servir à un vétéran qui soupçonne d’en avoir été victime, à ses proches ou même à des fournisseurs de services qui veulent en savoir plus?

Fardous

Ce serait honteux de se vanter de notre travail chez Atlas, mais…

Laryssa

Sachez qu’on n’a prévu rien de tout ça (rires).

Brian

Bien joué!

Fardous

Vous verrez qu’une bonne partie de notre site Web est consacrée aux préjudices moraux. En mettant sur pied l’organisation, notre position était nette : les préjudices moraux allaient être l’une de nos priorités. Et on poursuivra nos efforts dans ce sens jusqu’à ce que ce diagnostic soit officiellement reconnu. Avec un peu d’espoir, Anciens Combattants Canada commencera à couvrir le sujet et ce sera toute une victoire. Quant à ce que disait Laryssa, la recherche dans ce domaine est très prometteuse. Le Canada, les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni, le Danemark, l’Israël, chacun a un rôle à jouer.

Cela touche tout le monde, tous les militaires. On se doit donc d’être coordonnés et de regrouper ces renseignements afin d’en créer un guichet unique. C’est justement le mandat d’Atlas : on ne veut pas que vous parcouriez Google à 2 ou 3 heures du matin à la recherche d’informations.

On aimerait que toute l’information se trouve au même endroit. C’est pourquoi on cherche à offrir aux vétérans, à leur famille et aux militaires des formations dans le cadre desquelles on demandera à des cliniciens ayant une expérience de terrain ce qu’ils auraient aimé savoir avant le déploiement. Je souhaite connaître le point de vue de Brian. Imagine qu’un clinicien te disait ceci : « En fait, vous n’êtes pas atteint du TSPT. Cela ressemble à autre chose. » Combien d’années de stress cela t’aurait-il épargné et quel poids cela aurait-il ôté de tes épaules si on te l’avait signalé dès le départ?

Brian

Vous vous libérez complètement sur le plan psychologique quand quelqu’un sait ce qui ne va pas chez vous. Même si la personne ignore ce que vous allez faire, elle vous aide rien qu’en vous disant que vous souffrez de X, que vous avez déchiré ceci. Je pense qu’il faut faire la promotion de notre travail parce que, pour un pompier, l’audace et le courage renvoient à une chose, tandis que, dans ce domaine où règne la controverse, ces concepts signifient autre chose. Rien n’y est prédéfini et il y a certaines zones d’ombre.
L’unanimité n’y règne pas non plus. Mais les vétérans et leur famille nous ont dit que ces sujets les interpellent. Ils trouvent écho chez eux. C’est ce à quoi ils doivent faire face. Et je suis très fier qu’on travaille là-dessus. Je le dis aux gens. Je leur présente nos trouvailles et, au tout début, ils en sont plutôt abasourdis.

J’ai employé l’analogie de l’escalier roulant. Un bon ami et collaborateur nous a dit que, tandis qu’il a perdu 2 camarades, le principal débat en ville à son retour était l’avenir de l’équipe de hockey locale. Cet argument a sa raison d’être, car j’aimerais qu’elle continue d’exister et qu’elle remporte enfin un tournoi. Toutefois, il est difficile de prendre cela au sérieux après l’expérience qu’on a vécue. Au cours des Première et Seconde Guerres mondiales, tout le pays était en guerre. Toute la nation économisait du beurre et remettait ses casseroles en trop. L’effort de guerre se déroulait d’un océan à l’autre.
Les conflits actuels sont de bien moindre envergure, et seul le personnel militaire est impliqué. On dirait que nous partons à la guerre tandis que les civils vaquent à leurs occupations ordinaires. Nous, on revient d’un événement traumatisant. En bas de l’escalier roulant, les gens se préoccupent du prochain iPhone à acheter. Je catégorise les gens bien sûr, mais on dirait qu’on revient vers un pays qui n’a aucune idée de ce qu’on faisait. C’est éprouvant. Mais cela constitue-t-il un préjudice moral?

Fardous

Oui, mais je ne sais pas où ça se situe sur le continuum. Cette expérience dont tu fais part, toi seul l’as traversée. Tu sens que ta communauté te trahit parce que personne ne reconnaît l’immense sacrifice que tes camarades et toi avez dû faire. Les gens vivent leur vie comme si de rien n’était. Je perçois donc un sentiment de trahison là-dedans. Le reste de la population ne s’imagine même pas le prix de la liberté. On a déjà évoqué de la trahison institutionnelle, et on doit poursuivre ces discussions, mais il nous incombe d’envisager et d’explorer la possibilité d’une trahison communautaire.

Brian

Il y a aussi quelques points sensibles autour du temps de réponse. En cas d’incident, on envoie une force de réaction rapide sur place en quelques minutes. On obéit, car le gouvernement veut stabiliser la situation. Puis, en rentrant au pays, on se fait dire : « Cela prendra 18 mois ou tel dossier sera traité d’ici 16 semaines. » C’est horrible parce qu’on compare cela parfois au temps de réponse attendu de notre part lorsque notre aide était sollicitée. Je ne veux pas attendre aussi longtemps pour obtenir mon évaluation médicale. Ce temps d’attente me paraît exagéré. D’ailleurs, cela va au-delà de l’attente, car je repense au moment où j’ai agi en bon petit soldat lorsqu’il le fallait. Puis, c’est ce qu’on me donne en échange?

Fardous

Vous vous êtes sacrifiés pour nous. Et il est tout à fait logique que le pays vous rende la pareille à votre retour. Tu n’as donc pas tort en disant : « J’ai été en mesure de tout laisser tomber et de réagir sur-le-champ pour mon pays. Cependant, personne n’est là pour moi maintenant que je suis rentré. Par ailleurs, je tiens à mettre en évidence les éléments du préjudice moral que vous venez de décrire en détail parce qu’il y a forcément d’autres personnes qui se sont senties interpellées par votre expérience. Elles peuvent à présent la qualifier d’événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral.

Brian

L’autre enjeu majeur auquel je pense ce sont les traumatismes sexuels militaires. Un seul cas c’est déjà terrible, mais on en a plusieurs. Il s’agit donc d’un problème de taille. Ce type d’incidents me donnent matière à réflexion : non seulement je subis des épreuves dans le cadre de mon travail, mais d’autres militaires sont également blessés par leurs pairs et on dirait que ces victimes sont tout particulièrement vulnérables aux préjudices moraux. Quand l’agresseur fait partie de l’équipe qui a promis de vous protéger, est-il juste de dire que les blessures subies dans ce contexte s’assimilent davantage à un préjudice moral ou bien suis-je le seul à avoir cette impression?

Fardous

On ne peut dire avec certitude qu’un type de blessure correspond plus à un préjudice moral qu’un autre. Cela dit, la trahison institutionnelle contribue grandement aux préjudice moral. Vous acceptez déjà de réaliser une tâche monumentale, mais vous ne saviez pas que le danger rôde au sein même de votre organisation. Certes, vous êtes à risque de subir un préjudice moral, mais je doute qu’il soit possible de déterminer qu’une blessure soit d’ordre moral davantage qu’une autre.

Il pourrait parfois même s’agir d’un effet cumulatif. Imaginons que vous étiez blessé en service et puis une autre fois par un militaire? Vous serez dévasté à la suite d’un double traumatisme. Quoi qu’il en soit, vous touchez une thématique qui doit être approfondie, car la recherche n’a pas encore établi dans quelle situation le préjudice serait plus important.

Brian

Qu’en est-il de la suite des choses? À ton avis, que pourrait-on raisonnablement accomplir en ce qui a trait aux préjudices moraux d’ici 2 ans?

Fardous

Je crois que l’échelle de résultats liés au préjudice moral, le fruit d’un partenariat multinational, constitue la voie de l’avenir. Mon espoir et ma vision, c’est qu’on l’utilisera au niveau clinique. Une fois approuvée, elle sera employée pour diagnostiquer les patients manifestant de multiples symptômes du préjudice moral.

Rendu là, on commencera à changer les choses. C’est l’une des prochaines étapes. L’autre est liée à notre conversation d’aujourd’hui. N’oublions pas que Brian, un défenseur de longue date de la cause qui travaille dans ce milieu, hésite toujours à révéler certaines informations.

Lui qui est bien placé dans son parcours de rétablissement et qui est entouré de collègues qui le comprennent, ressent pourtant cette réticence. Plusieurs parmi nous sont loin d’être aussi chanceux. On doit donc s’assurer que cette discussion se poursuive et qu’on ne perde pas de vue le pouvoir qu’elle revêt. Par ailleurs, c’est grâce à nous que certains intervenants, notamment des vétérans de la GRC, apprennent l’existence du terme « préjudice moral ».

Brian

Même situation de mon bord! Une fois le sens clarifié, ils constatent qu’ils en parlaient déjà depuis des années. Il ne leur manquait que le nom. Ah oui! Le préjudice moral a-t-il des effets indirects? Est-il « transmissible »? Le préjudice moral auquel je fais face peut-il se répercuter sur mes proches?

Fardous

C’était justement notre conversation de toute à l’heure. Le vétéran a l’impression que, en parlant de son traumatisme à sa famille, elle en sera affectée également. C’est une chose d’en faire part, puis de s’en aller. L’impact est alors inévitable. C’en est une tout autre si on cherche ensuite à résoudre le problème ensemble. On se munit des ressources de soutien nécessaires pour traverser cette épreuve. On se demande à quel moment se tourner vers un professionnel.

Il sera bien plus bénéfique de poursuivre la conversation que de s’arrêter à l’étape de partage. Vous verrez ainsi que vous avez mis un poids sur les épaules de l’autre. Sans votre appui, votre proche se mettra à douter d’un grand nombre de choses, et cela ne mènera à rien de bon. Malheureusement, cette conversation a toujours existé en santé mentale.

Laryssa

J’ai une grande question pour toi. Elle te donnera sûrement du fil à retordre.

Brian

Ce sont les meilleures questions! (rires)

Laryssa

Il nous reste justement une minute!

Fardous, tu as parlé de l’évolution de la situation concernant les préjudices moraux et de l’échelle de résultats, mais je présume que les gens à l’écoute veulent savoir ce qui se trouve de l’autre côté du préjudice moral?

Fardous

La croissance morale. La résilience morale.

Brian

Ça existe?

Fardous

Oui. Bien qu’on n’en ait pas parlé, la croissance morale est bien réelle. Lorsque la thérapie ou les conversations que vous avez portent leurs fruits, vous avez la possibilité d’en sortir grandi. Vous pourriez décider d’agir autrement si cette situation se reproduisait. Une fois que vous comprenez votre traumatisme, votre boussole vous montrera la voie à suivre.

De l’autre côté, il y a la croissance morale. C’est un parcours. Lorsqu’une personne est atteinte de TSPT et qu’elle reçoit du soutien, elle pourrait s’en remettre. C’est la même chose dans le cas d’un préjudice moral. La croissance et la résilience morales surviennent quand la victime dispose d’outils et d’un soutien professionnel adéquat.

Brian

Je sens venir un balado de suivi! La croissance morale. Cet épisode est tout à fait unique. Le sujet revêt une très grande importance pour moi. Ce sont des choses sur lesquelles je veux travailler. Pour ceux qui écoutent, c’est comme s’il s’agissait d’une mini-réunion de personnel. Ici, tout part d’une conversation. D’ailleurs, on s’apprête à rencontrer la communauté demain et c’est la raison de notre visite en ville. On tiendra une rencontre avec nos principaux conseillers. On demande aux gens de quoi ils veulent parler. Et il faut probablement se concentrer sur les sujets les plus tabous. Je suis heureux que nous soyons assez courageux et audacieux pour discuter de tout cela, surtout lorsqu’on vous pose des questions et que vous admettez ne pas en connaître les réponses. Il nous reste encore beaucoup à faire. On doit donc poursuivre sur cette lancée.

Laryssa

Bravo! Quelqu’un devrait amener des beignets et du café à la prochaine mini-réunion. Merci beaucoup de t’être joint à nous aujourd’hui, Fardous.

Fardous

Bien sûr. Merci de m’avoir invité. J’espère que cela a été utile.

Brian

Voilà qui met fin à cet épisode. Ici Laryssa Lamrock, Brian McKenna et notre chère Courtney. C’est notre réalisatrice, notre productrice. Aucun balado sans elle.

Laryssa

Elle est notre ciment.

Brian

Et on a eu la chance d’échanger sur les préjudices moraux avec le grand patron, notre PDG, Fardous Hosseiny.

Merci d’avoir pris le temps de venir ici aujourd’hui.

Fardous

Bien sûr. Merci.